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l'Énéide a pris dans l'Iliade un assez grand nombre de traits de ce tableau; mais que de fois il perfectionne ce qu'il emprunte, et surpasse ce qu'il imite!

(10) Qualis spelunca subito conmota columba,

Cui domus et dulces latebroso in pumice nidi,
Fertur in arva volans, plausumque exterrita pennis

Dat tecto ingentem, etc.

Dans cette foule de vers également admirables, où Virgile porte à un si haut degré l'art d'imiter par les sons, et varie avec une oreille si juste et si savante tous les effets du rhythme poétique, il est quelques endroits qui réclament une admiration plus particulière telle est, si je ne me trompe, cette image si heureuse sous laquelle il peint la rapidité de la course de Mnesthée. Ce vaisseau qui, libre de tous les obstacles, gagne après quelques efforts le milieu des mers, et devance tous ses rivaux, est comparé à la colombe qui, chassée tout-à-coup de son nid, bat des ailes, s'essaie quelque temps à prendre l'essor, et, s'élançant enfin au plus haut des airs, les fend d'un vol précipité, et semble immobile à force de vitesse.

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Radit iter liquidum, celeris neque commovet alas.

Dans ces dactyles multipliés, dans ces sons si vifs et si doux à-la-fois, ne croit-on pas entendre glisser l'aile légère de la colombe, et peut-on mieux exprimer l'agilité d'un navire qui vole sur l'onde, que par celle d'un oiseau qui nage au milieu des airs?

Plus bas, un effet tout contraire est rendu par une comparaison non moins riche, et non moins originale. Le poëte veut peindre la marche embarrassée de Sergeste, dont le vaisseau s'est brisé contre l'écueil. Il compare ses efforts à ceux d'un serpent dont une blessure a roidi les anneaux:

Qualis sæpe viæ deprensus in aggere serpens,

Ærea quem obliquum rota transiit, aut gravis ictn
Seminecem liquit saxo lacerumque viator;
Nequidquam longos fugiens dat corpore tortus;
Parte ferox, ardensque oculis, et sibila colla
Arduus adtollens; pars volnere clauda retentat
Nexantem nodis, seque in sua membra plicantem.

Ici, dans sept vers savamment travaillés, la période marche avec lenteur, et revient en quelque sorte sur elle-même, comme les mouvements tortueux du reptile. Des suspensions imitatives semblent quelquefois arrêter la phrase avec lui.

(12) Ærea quem obliquum rota transiit, etc.

Les syllabes lourdes et traînantes ont été multipliées à dessein.

(13) Nexantem nodis, seque in sua membra plicantem.

Ne voit-on pas, dans ce dernier vers, les pénibles replis du serpent, qui cherche et ne retrouve plus son agilité première?

(4) Emicat Euryalus, et munere victor amici

Prima tenet, etc.

Madame Dacier, qui, jusque dans les moindres détails, défend la prééminence d'Homère, se fâche sérieusement contre Nisus. «Son injustice, dit-elle, méritoit punition. » C'est pousser un peu loin l'amour de la justice. Ce stratagème de Nisus, en faveur de son cher Euryale, jette au contraire le plus tendre intérêt sur tous les deux. Madame Dacier aime-t-elle mieux qu'Apollon, irrité contre Diomède, lui arrache le fouet des mains pour lui faire perdre le prix; ou que la haine de la sage Minerve brise le char d'Eumélus, quand il est près de passer la borne? C'est pourtant ce qu'on voit dans Homère; et madame Dacier ne veut pas qu'un jeune homme se serve d'un innocent artifice pour faire triompher son ami!

(15)

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.Palmam Entello taurumque relinquunt, etc.

Des critiques, plus équitables que madame Dacier, ont observé que Virgile, en montrant l'arrogance de Darès punie, avoit marqué plus de jugement qu'Homère, qui fait triompher l'orgueil présomptueux d'Énée.

(16) Olli discurrere pares, atque agmina terni

Diductis solvere choris, etc.

Virgile n'a point imité Homère dans ce dernier jeu; et, comme dit Pope, il s'y montre inimitable.

Au reste, Auguste aimoit beaucoup ce genre de spectacle. Lorsqu'après la bataille d'Actium il célébra la dédicace du temple de César, il fit exécuter des courses de chevaux par les enfants de la première noblesse. Tibère commandoit le premier escadron. Cet exercice s'appeloit le Jeu de Troie : il flattoit l'opinion des Jules, qui vouloient remonter jusqu'à Énée. (Voyez Suétone, et l'Histoire romaine de Rollin, continuée par Crévier, tome 8 de l'édition in-4°.)

Cette ressemblance des jeux décrits par Virgile avec ceux que fit célébrer Auguste, justifie l'opinion de quelques critiques éclairés, qui croient voir dans l'apothéose d'Anchise une image de l'apothéose de César.

(17) At procul in sola secretæ Troades acta

Amissum Anchisen flebant, cunctæque profundum

Pontum adspectabant flentes, etc.

On admire justement l'image de ces femmes troyennes qui pleurent assises au bord des mers, en songeant au malheur de l'exil et au charme de la patrie; leur douleur, qui contemple l'abime immense des eaux, semble s'accroitre et s'approfondir dans l'harmonie douloureusement prolongée de ces vers, tout remplis de spondées :

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Mais les mouvements qui suivent ne sont pas moins dignes de remarque, et ne me paroissent pas moins beaux :

Nullane jam Troja dicentur mœnia? nusquam

Hectoreos amnes, Xanthum et Simoenta, videbo?

«N'habiterai-je jamais une ville qui porte le doux nom « de Troie? Ne verrai-je point les eaux d'un autre Xanthe, << d'un autre Simoïs, de ces fleuves défendus par Hector.... » Je m'étonne qu'aucun critique n'ait observé la ressemblance de ce tableau avec celui des tribus captives, qui, assises aux bords des fleuves de Babylone, pleurent au souvenir de Sion. C'est le même fond de sentiments, et quelquefois exprimé par les mêmes tours.

On avoit déja remarqué plusieurs traits de conformité entre la quatrième églogue de Virgile et divers passages d'Isaïe. Virgile a-t-il eu quelque notion des livres hébreux? Je n'oserois soutenir cette opinion, quoiqu'ils aient pu; à toute force, lui être connus par la version grecque faite du temps des Ptolémées; mais il faut plutôt penser que la nature et le génie ont le même accent dans tous les siècles.

(18) Tum pius Eneas humeris abscindere vestem,
Auxilioque vocare deos, et tendere palmas ;

Vix hæc ediderat, quum effusis imbribus atra
Tempestas sine more furit, etc.

Godefroy, à-peu-près dans la même situation, prie le ciel; et les nues et les torrents descendent à sa voix. C'est le même tableau.

Così dicendo, il capo mosse; e gli ampi

Cieli tremaro, etc.

Jérusalem dél., ch. XIII, st. 74.

(19) Ipsæ jam matres, ipsi, quibus aspera quondam
Visa maris facies, et non tolerabile cœlum,
Ire volunt, omnemque fugæ perferre laborem.

Ces femmes, qui ont brûlé la flotte troyenne, pour con

traindre Énée à séjourner en Sicile, veulent, au moment de la séparation, le suivre sur toutes les mers; elles sont prêtes à braver tous les périls; elles ne peuvent se détacher de leurs compatriotes,

Complexi inter se noctemque diemque morantur.

Rien n'est plus vrai que ce contraste; rien n'est plus touchant que cette peinture.

(20) Cæruleo per summa levis volat æquora curru.

Subsidunt undæ, etc.

Cette description de Neptune faisant voler son char sur la surface des eaux, et des monstres marins, inmania cele, qui bondissent autour de lui, est imitée de l'Iliade; et, quoiqu'elle soit très belle, elle n'est pourtant pas égale à l'original, à l'image de ce dieu qui atteint en trois pas au but de sa course. Mais, dans d'autres passages, les dieux de l'Énéide ont un caractère non moins imposant que ceux de l'Iliade. Si les dieux d'Homère paroissent avoir quelquefois des traits plus fiers et plus hardis, Virgile donne aux siens une majesté plus soutenue, et les fait agir avec plus de jugement. « Homère, dit Pope, ressemble à son Jupiter, qui, « lorsqu'il veut effrayer le monde, ébranle l'Olympe, lance « la foudre et les éclairs. Virgile aussi ressemble à Jupiter, " mais à Jupiter bienfaisant, lorsqu'il délibère avec les dieux, << trace le plan des empires, et dispose tout avec une souve«raine sagesse. »

(21) Currit iter tutum non secius æquore classis,

Promissisque patris Neptuni interrita fertur.

Jamque adeo scopulos Sirenum advecta subibat;
Difficilis, etc.

Enée s'échappe de Carthage, et sa flotte cingle droit vers l'Italie. Dès qu'il se trouve en vue des ports de Sicile, où il avoit éprouvé le terrible naufrage qui l'avoit jeté en Afrique, les vents lui deviennent contraires, des nuages s'amon

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