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Troyens, suivant Denys d'Halicarnasse, toucha dans une île qu'on appela Leucasie ou Leucosie, en l'honneur d'une des parentes d'Énée qui y finit ses jours. Cette île, qui n'est qu'un rocher, se nomme aujourd'hui l'ile Piana, et elle se trouve à l'extrémité méridionale du golfe de Salerne, vis-àvis et tout proche du cap qui porte le nom de Licosa, et avec lequel on la confond sur les cartes générales. Les Troyens, en s'avançant vers le lieu de leur destination, aperçoivent les rochers des Sirènes; ce sont les îles nommées aujourd'hui Galli, à l'autre extrémité du golfe de Salerne :

Jamque adeo scopulos Sirenum advecta subibat;
Difficilis...

Homère, dans son Odyssée, liv. XII, vers 167, ne fait mention que d'une île des Sirènes, et les Grecs et les Romains, en donnant ce nom à un groupe de plusieurs îles, paroissent faire ici, comme dans beaucoup d'autres circonstances, une application erronée de la géographie obscure et mysté rieuse de l'Odyssée. La flotte troyenne pénètre ensuite dans le golfe de Campanie ou de Naples, habité alors, selon Denys d'Halicarnasse, par les Opiques. « Les Troyens, dit cet historien, entrèrent ensuite dans un des ports des Opi«ques, également beau et profond; ils lui donnèrent le « nom de l'illustre Misène, qui y mourut. » Dans Virgile, Énée, à qui la Sibylle a prédit la mort d'un de ses compagnons, retourne au port, trouve Misène étendu sur le bord du rivage, l'inhume et lui érige un monument :

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Atque illi Misenum in litore sicco,

Ut venere, vident, indigna morte peremptum.

Nec minus interea Misenum in litore Teucri
Flebant, et cineri ingrato suprema ferebant.

At pius Æneas ingenti mole sepulcrum

Inponit, suaque arma viro, remumque, tubamque,

Monte sub aerio, qui nunc Misenus ab illo

Dicitur, æternumque tenet per sæcula nomen.

et le nom de Misène, chez les modernes comme chez les anciens, est resté attaché au promontoire, grand port, et au cap qui se trouvent au sud-ouest de Puzzuoli à l'entrée de sa vaste baie. Nos cartes topographiques marquent l'emplacement d'un théâtre et d'autres ruines de l'ancienne ville de Misène (1). On voit donc que Virgile s'accorde assez bien avec Denys d'Halicarnasse, et paroît avoir suivi les mêmes autorités; mais le poëte, dans cette dernière partie de la navigation d'Énée, donne moins de détails, et fait arriver son héros en Sicile sur le rivage de Cumes, sans aborder dans aucun autre lieu; de sorte qu'il semble conduire la flotte des Troyens, non dans le port de Misène, mais sur le rivage même de Cumes où il n'y a point de port; car, au commencement du chant suivant, il dit :

Et tandem Euboicis Cumarum adlabitur oris.

En sortant du port de Misène, Denys d'Halicarnasse dit que la flotte d'Enée relácha à l'ile Prochyta, qui est l'ile Procida des modernes, près du promontoire et du port de Misène. L'historien grec conduit ensuite Énée au promontoire Épytique, ainsi nommé, dit-il, à cause de la nourrice du héros troyen; ce qui nous indique que ce promontoire est le même que celui auquel Virgile donne le nom de Caieta, aujourd'hui Gaëte:

Tu quoque litoribus nostris, Æneia nutrix,
Eternam moriens famam Caieta dedisti.

Avant d'arriver au Tibre, Virgile signale encore l'île de Circé,

Proxima Circææ raduntur litora terræ.

(') Consultez Topografia dell' agro Napolitano, delineata da Rizzi-Zannoni, 1793, ou la feuille 4 de la grande carte du royaume de Naples, par le même.

T. IV. ÉNÉIDE. II.

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C'est aujourd'hui le mont Circello, promontoire élevé qui est à l'extrémité des marais Pontins. Du temps de Virgile, ce promontoire tenoit à la terre comme aujourd'hui; mais les marais et les lagunes dont il étoit, et dont il est encore environné, faisoient penser qu'il avoit été une île, que la tradition prétendoit être l'île d'Æea, célébre dans Homère, pour avoir été la demeure de l'enchanteresse Circé ('). A la fin, Énée entre dans le Tibre avec sa flotte. « Ils arrivèrent, "dit Denys d'Halicarnasse, à Laurente en Italie: l'endroit « où ils campèrent a porté depuis ce temps-là le nom de « Troie, et est éloigné de la mer de quatre stades. » Ce lieu devoit donc être près d'Ostie.

Nous avons éclairci tout ce qui, dans Virgile, concerne les voyages d'Énée, jusqu'à son arrivée en Italie; il ne sera pas inutile, avant de terminer, de faire connoître les diverses opinions des autres auteurs de l'antiquité sur les voyages du héros troyen. Dès le début de cette navigation, se trouve une difficulté dont nous n'avons point fait mention. Plusieurs auteurs, tels que Denys d'Halicarnasse et Étienne de Byzance, font, au sortir de Troie, aborder la flotte d'Énée à Enia, ville différente d'Enos, et qu'on place près du cap grand Bournous des modernes, à l'entrée de la baie de Thessalonique. Virgile s'étant servi du mot Eneadas, plusieurs auteurs modernes, et entre autres Ortélius dans sa carte de navigation d'Énée, ont pensé qu'il étoit question dans l'Enéide de la ville d'Enia, en Macédoine, et non de celle d'Enos; mais la tragique histoire de Polydore ne laisse aucun doute, suivant moi, que Virgile n'ait voulu parler d'Enos; car Pline, en décrivant la Thrace, dit: Oppidum Enos liberum, cum Polydori tumulo. Quant à Ænia, fondée aussi par Énée, non seulement Denys d'Halicarnasse, mais Tite-Live, Étienne de Byzance, Lycophron, et, je crois,

(') Homère, Odyssée, liv. X, v. 133; Strabo, lib. V, pag. 232; Theophrast., Histor. plant., lib. V, c. 1x ; Servius, ad Virgil., lib. III.

encore quelques autres, font mention de cette tradition. D'autres traditions faisoient arriver Énée en Arcadie, où il fonda la ville Capys (1) et celle d'Orchomène, que M. Barbier du Bocage place au village de Kalpaki, dans la Morée (2). Pausanias, dans la description de l'Arcadie, dit qu'en allant de Mantinée à Orchomène, on rencontroit une montagne nommée Anchisia, parcequ'Anchise y avoit été enseveli; il ajoute qu'Énée, en se rendant en Sicile, aborda en Laconie, et y fonda deux villes, Etia et Aphrodisia; il répète la même chose dans son voyage de Laconie, et nomme encore la ville de Sida, dont il attribue de même la fondation à Énée. Les deux premières villes sont placées par M. Barbier du Bocage (3) sur la côte orientale du golfe Bœæ, ou Vatica des modernes, et la troisième un peu au nord du cap Malée, sur la côte de l'Archipel. Telles sont les diverses tra'ditions que l'on trouve dans les anciens, relativement aux voyages d'Énée et aux villes qu'il a fondées. Je n'ai pas prétendu parler ici des récits contradictoires que l'on a faits sur les aventures du héros troyen; ces choses sont étrangères aux recherches géographiques dans lesquelles je me suis renfermé exclusivement: ceux qui voudront avoir satisfaction sur le reste peuvent lire la dissertation de Bochart, les notes et excursions de M. Heyne sur Virgile, et sur-tout les excellents commentaires sur les épîtres d'Ovide, par Bachet de Meziriac.

C. A. WALCKENAER.

N. B. Virgile a, dans les six derniers livres de l'Énéide, plus que dans les premiers, prodigué les détails géographiques; mais comme ces détails se rallient à tout ce qu'il y a de plus important dans l'histoire des premières colonies

(') Strabo, Geogr., lib. XIII, p. 608 (905).

(2) Voyez M. Barbier du Bocage, Abrégé de Géogr. ancienne, dans l'Abrégé de Géographie par Pinkerton et Walckenaër, p. 655.

(3) Voyez Atlas d'Anacharsis, no 31.

et des premiers peuples de l'Italie, ils exigent des développements et des explications qui excéderoient de beaucoup les bornes que nous avons dû nous prescrire dans les notes qui accompagnent cette traduction en vers du plus parfait des poëtes de l'antiquité, faite par le plus grand des poetes de notre temps.

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