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Le héros s'attendrit : « Prêtresse vénérable!
Pourquoi vers l'Achéron cette foule innombrable?
Pourquoi de ces mortels sur la rive entassés

Les uns sont-ils reçus, les autres repoussés ?
Quel destin les soumet à ces lois inégales? »
« O prince! devant vous sont les ondes fatales,
Le Cocyte terrible, et le Styx odieux,

Par qui jamais en vain n'osent jurer les dieux.
Ce vieillard, c'est Charon, leur nautonnier horrible,
Qui sur les flots grondants de cette onde terrible
Conduit son noir esquif. De ceux que vous voyez
Les uns y sont admis, les autres renvoyés :
Les premiers ont reçu les funèbres hommages;
Les autres sans cercueil ont vu les noirs rivages.
Tant qu'ils n'obtiennent pas les honneurs dus aux morts,
Durant cent ans entiers ils errent sur ces bords;
Enfin leur exil cesse, et leur troupe éplorée
Atteint au jour prescrit la rive desirée. »

Le héros est ému d'un sort si rigoureux,

Oronte et Leucaspis frappent soudain ses yeux:
Comme Énée échappés des murs fumants de Troie,
Des vagues en courroux tous deux furent la proie.
Palinure comme eux avoit fini ses jours:

Des astres de la nuit il observoit le cours,
Lorsqu'il tomba plongé dans la liquide plaine.

Le héros l'aperçoit, le reconnoît à peine :

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Palinure, est-ce toi? Comment t'ai-je perdu?

Apollon, qui jamais en vain n'a répondu,

Pour la première fois dément donc ses oracles!
Tu devois, avec nous forçant tous les obstacles,

Qui fore te ponto incolumem, finisque canebat
Venturum Ausonios. En hæc promissa fides est? »
Ille autem: «< Neque te Phoebi cortina fefellit,
Dux Anchisiade, nec me deus æquore mersit.
Namque gubernaclum multa vi forte revolsum,
Cui datus hærebam custos, cursusque regebam,
Præcipitans traxi mecum. Maria aspera juro,
Non ullum pro me tantum cepisse timorem,
Quam tua ne, spoliata armis, excussa magistro,
Deficeret tantis navis surgentibus undis.
Tris notus hibernas inmensa per æquora noctis
Vexit me violentus aqua: vix lumine quarto
Prospexi Italiam, summa sublimis ab unda.
Paullatim adnabam terræ ; jam tuta tenebam,
Ni gens crudelis madida cum veste gravatum,
Prensantemque uncis manibus capita aspera montis,
Ferro invasisset, prædamque ignara putasset.

Nunc me fluctus habet, versantque in litore venti.
Quod te per
coeli jucundum lumen et auras,
Per genitorem, oro, per spem surgentis Iuli,
Eripe me his, invicte, malis! aut tu mihi terram
Injice, namque potes, portusque require Velinos;
Aut tu, si qua via est, si quam tibi diva creatrix

Aux bords ausoniens conduire tes amis;

Et voilà comme il tient ce qu'il avoit promis! >>
« Les dieux, dit le nocher, que votre plainte cesse,
N'ont ni causé ma mort, ni trahi leur promesse.
La main au gouvernail, l'œil tourné vers les cieux,
Tandis que j'observois leur cours silencieux,
Par un sort imprévu précipité dans l'onde,
J'entraînai le timon dans ma chute profonde.
Mais, j'en atteste ici le terrible élément,

J'ai moins tremblé pour moi, dans ce fatal moment,
Que pour mes compagnons, pour vous, pour votre flotte;
Sur-tout pour mon vaisseau privé de son pilote.
Durant trois longues nuits, j'ai d'un bras courageux

Lutté contre les vents et les flots orageux;
Enfin mon œil, du haut d'une vague écumante,

Vit de loin cette terre, objet de notre attente.

Sous le poids dont les eaux chargeoient mon vêtement, Vers le bord desiré je nageois lentement:

De la rive éloigné une vague m'approche;

Je m'élance, et saisis la pointe d'une roche.
J'aperçois des humains, j'implore leur secours :
Et leur lâche avarice a terminé mes jours!
Depuis, mon triste corps est le jouet de l'onde.
Voilà mon sort. Mais vous, par le flambeau du monde, -
Par sa douce clarté, que je ne verrai plus,
Par votre cher Ascagne et ses jeunes vertus,
Par les mânes d'Anchise, abrégez ma misère!
Un peu de terre, hélas! suffit à ma prière;
Véline de mon corps vous rendra les débris :
Ou, s'il se peut, au nom de la belle Cypris,

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Ostendit', neque enim, credo, sine numine divum
Flumina tanta paras Stygiamque innare paludem;
Da dextram misero, et tecum me tolle
per undas,
Sedibus ut saltem placidis in morte quiescam.
Talia fatus erat, cœpit quum talia vates:
« Unde hæc, o Palinure, tibi tam dira cupido?
Tu Stygias inhumatus aquas, amnemque severum
Eumenidum adspicies, ripamve injussus adibis?
Desine fata deum flecti sperare precando:
Sed cape dicta memor, duri solatia casus.

Nam tua finitimi, longe lateque per urbes
Prodigiis acti cœlestibus, ossa piabunt;

Et statuent tumulum, et tumulo sollennia mittent;
Æternumque locus Palinuri nomen habebit ('1). »
His dictis curæ emotæ, pulsusque parumper
Corde dolor tristi; gaudet cognomine terra.

Ergo iter inceptum peragunt, fluvioque propinquant. Navita quos jam inde ut Stygia prospexit ab unda Per tacitum nemus ire, pedemque advertere ripæ; Sic prior adgreditur dictis, atque increpat ultro:

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Quisquis es, armatus qui nostra ad flumina tendis,

Fare age, quid venias; jam istinc et comprime gressum. Umbrarum hic locus est, Somni, Noctisque soporæ;

Corpora viva nefas Stygia vectare carina.

Nec vero Alciden me sum lætatus euntem

D'accord avec les dieux, qui vous guident sans doute,

Sur ces fatales eaux favorisez ma route;

Que je trouve un asile au-delà de ces flots,

Et

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que mon ombre au moins obtienne le repos. "

Quel téméraire espoir! lui répond la Sibylle :

Où t'égare un desir, une attente inutile?

De quelle vaine ardeur ton cœur est consumé!

Quoi! sans l'ordre des dieux, quoi! sans être inhumé,
Tu crois franchir le Styx et son onde sévère?
L'inflexible destin est sourd à ta prière;
Cesse de t'en flatter. Écoute toutefois

De ce même destin la consolante voix :

Les peuples, redoutant les vengeances célestes,
Par des tributs vengeurs consacreront tes restes;
Et ton nom à jamais illustrera les lieux

Qui doivent recevoir et ta cendre et leurs vœux. »
Ce discours le console, et sa gloire future

Calme un peu

la douleur de sa triste aventure.

Cependant à grands pas s'avance le héros. Le nocher, qui du Styx fendoit alors les flots, De loin le voit marcher vers la rive odieuse, Et traverser du bois l'ombre silencieuse.

A l'aspect du guerrier, de son casque brillant,

Le terrible nocher, de colère bouillant,
Gourmande le héros, et de loin le menace :

"

« Qui que tu sois, dit-il, que veux-tu ? Quelle audace Te présente à mes yeux contre l'ordre du sort? Arrête : c'est ici l'empire de la mort;

Nul n'y paroît vivant, et de mon indulgence
Je me rappelle trop la triste expérience;

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