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Là ceux qui, sans goûter des plaisirs mutuels,

N'ont connu de l'amour que ses poisons cruels,

Dans des forêts de myrte, aux plus sombres retraites, Vont nourrir de leurs cœurs les blessures secrètes;

Là le trépas n'a pu triompher de l'amour;

Là se voit rassemblé dans le même séjour

Tout ce qu'il eut de noble, et ce qu'il eut d'infame :
C'est Évadné, qui suit son époux dans la flamme;
Phédre, brûlant encor d'illégitimes feux;
Procris, mourant des mains d'un époux malheureux;
Et toi, qui te perdis par ton amour extrême,
Tendre Laodamie! et Pasiphaé même;

Ériphyle à son tour montre aux yeux attendris
Les coups, les coups affreux que lui porta son fils:
Cénis enfin, Cénis, tour-à-tour homme et femme,
Et tour-à-tour changeant et de sexe et de flamme.

Triste et sanglante encor des traces du poignard,
Didon, au fond d'un bois, erroit seule à l'écart.
Comme on voit ou croit voir, sous des nuages sombres,
L'astre naissant des nuits poindre parmi les ombres,
Son fantôme léger apparoît au héros.

Il vient, il s'attendrit, et lui parle en ces mots :

« Est-ce vous que je vois, d reine malheureuse ?
Elle est donc vraie, hélas! cette nouvelle affreuse,
Qui m'a dit votre mort et votre désespoir!
Malheureux! j'en suis cause, et n'ai pu le prévoir!
Non, je n'ai pu prévoir qu'un destin si sévère
Suivroit de votre amant la fuite involontaire.
Qu'à regret je quittai ces rivages si chers!
Oui, j'atteste les dieux, les astres, les enfers,

Imperiis egere suis; nec credere quivi

Hunc tantum tibi me discessu ferre dolorem.

Siste gradum, teque adspectu ne subtrahe nostro.
Quem fugis? extremum, fato quod te adloquor, hoc est. »
Talibus Æneas ardentem et torva tuentem

Lenibat dictis animum, lacrimasque ciebat.
Illa solo fixos oculos aversa tenebat;

Nec magis incepto voltum sermone movetur,
Quam si dura silex, aut stet Marpesia cautes.
Tandem conripuit sese, atque inimica refugit
In nemus umbriferum, conjux ubi pristinus illi
Respondet curis, æquatque Sichæus amorem.
Nec minus Æneas, casu percussus iniquo,
Prosequitur lacrimans longe, et miseratur euntem.

Inde datum molitur iter: jamque arva tenebant Ultima, quæ bello clari secreta frequentant. Hic illi occurrit Tydeus, hic inclutus armis Parthenopaus, et Adrasti pallentis imago. Hic multum fleti ad superos, belloque caduci, Dardanidæ: quos ille omnis longo ordine cernens Ingemuit,Glaucumque, Medontaque, Thersilochumque, Tris Antenoridas, Cererique sacrum Polyphoten, Idæumque, etiam currus, etiam arma tenentem.

Que de ces mêmes dieux, dont la loi souveraine
Entraîne ici mes pas dans la nuit souterraine,
L'ordre sacré lui seul put m'arracher à vous.
Arrêtez: pourquoi rompre un entretien si doux?
Laissez-moi prolonger cette douce entrevue.
Pour vous pleurer encor mes yeux vous ont revue,
Et je vous entretiens pour la dernière fois!»

Ainsi, mêlant aux pleurs sa douloureuse voix,
Il parloit: Didon garde un farouche silence,
Se détourne en fureur de l'objet qui l'offense;
Et ses yeux, d'où partoient des regards courroucés,
Demeurent vers la terre obstinément baissés :
Le marbre de Paros n'est pas plus inflexible.
Enfin elle s'échappe, et son ame sensible

Retourne au fond des bois, à ses douleurs si doux,
Jouir des tendres soins de son premier époux.
Le héros plaint tout bas sa triste destinée,
Et suit long-temps des yeux cette ombre infortunée.
Mais il reprend sa route; il arrive en ces lieux
Où la valeur jouit d'un repos glorieux.

Il y voit Parthénope et le vaillant Tydée,
L'ombre du pâle Adraste encore intimidée:
Il reconnoît sur-tout ces généreux Troyens
Que moissonna le fer dans les champs phrygiens;
Glaucus avec Médon, Thersiloque son frère;
Les trois fils d'Anténor, si dignes de leur père:
Polyphėte, jadis ministre de Cérès;

Idée enfin, qu'on voit, pour charmer ses regrets,
A ses premiers travaux trouver encor des charmes,
Conduire des coursiers et manier des armes.

Circumstant animæ dextra lævaque frequentes.
Nec vidisse semel satis est; juvat usque morari,
Et conferre gradum, et veniendi discere caussas.
At Danaum proceres, Agamemnoniæque phalanges (15),
Ut videre virum, fulgentiaque arma per umbras,
Ingenti trepidare metu. Pars vertere terga,
Ceu quondam petiere ratis : pars tollere vocem
Exiguam; inceptus clamor frustratur hiantis.

Atque hic Priamiden laniatum corpore toto
Deïphobum vidit, lacerum crudeliter ora,
Ora, manusque ambas, populataque tempora raptis
Auribus, et truncas inhonesto volnere naris.
Vix adeo adgnovit pavitantem, et dira tegentem
Supplicia; et notis compellat vocibus ultro:

Deïphobe armipotens, genus alto a sanguine Teucri,
Quis tam crudelis optavit sumere pœnas?
Cui tantum de te licuit? Mihi fama suprema
Nocte tulit fessum vasta te cæde Pelasgum
Procubuisse super confusæ stragis acervum.
Tunc egomet tumulum Rhoteo in litore inanem
Constitui, et magna Manis ter voce vocavi.

De ces guerriers fameux en foule environné,
De leur nombreux concours il s'arrête étonné.
Mais à peine ils ont vu son armure guerrière,
Les Grecs épouvantés reculent en arrière :
Les uns, glacés d'effroi, vont fuyant devant lui,
Tels
que dans leurs vaisseaux jadis ils avoient fui;
D'autres veulent crier, et leurs voix défaillantes
Expirent de frayeur sur leurs lèvres béantes.

Déiphobe soudain frappe ses yeux surpris,

De la race des rois misérable débris,

Sanglant, percé de coups, reste affreux de lui-même,
A qui le fer ravit, dans son malheur extrême,
L'organe de l'ouïe et l'usage des yeux.

Son corps tout mutilé n'est plus qu'un tronc hideux,
Et son nez, disparu de son affreux visage,
Du fer déshonorant y marque encor l'outrage.
Tout honteux, il recule; et, détournant son front,
De ses mains qu'il n'a plus en veut cacher l'affront.
Le héros effrayé le reconnoît à peine,

Et la voix d'un ami console ainsi sa peine :
<< Noble fils de Priam, ah! parle, réponds-moi :
Quel féroce ennemi s'est acharné sur toi?
Quel monstre, assouvissant sa rage impitoyable,
S'est fait de ton supplice un plaisir exécrable?
Est-ce un tigre? est-ce un homme? Hélas! on m'avoit dit
Que, dans la nuit qui fut notre dernière nuit,

Sanglant et fatigué d'un immense carnage,
Toi-même avois péri dans ce confus ravage.

J'honorai ta mémoire; et, d'une triste voix,

Auprès d'un vain tombeau je t'appelai trois fois.

T. IV. ÉNÉIDe. m.

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