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Son luth harmonieux, qu'accompagne sa voix,
Ou frémit sous l'archet, ou parle sous ses doigts:
L'œil suit les plis mouvants de sa robe flottante;,
L'oreille est suspendue à sa lyre touchante;
Et, sur sept fils divins où résonnent sept tons,
Son doigt léger parcourt l'intervalle des sons.
Là brillent réunis dans des scènes champêtres
Les héros des Troyens, leurs princes, leurs ancêtres;
Tous, conservant les goûts dont ils furent épris,
Dans ce séjour de paix offrent aux yeux surpris
Des ombres retraçant les scènes de la guerre.
Ici des javelots enfoncés dans la terre,

Là des coursiers sur l'herbe errants paisiblement,
Des armes et des chars le noble amusement,
Ont suivi ces guerriers sur cet heureux rivage,
Et de la vie encore ils embrassent l'image.

Du tranquille bonheur qui règne dans ces lieux
Une scène plus douce attire encor ses yeux.
Plusieurs, couchés en paix sur l'épaisseur des herbes,
Où l'Eridan divin roule ses eaux superbes,

Sous l'ombrage odorant des lauriers toujours verts,
Joignent leurs douces voix au doux charme des vers.
Là règnent les vertus; là sont ces cœurs sublimes,
Héros de la patrie, ou ses nobles victimes;
Les prêtres qui n'ont point profané les autels;

Ceux dont les chants divins instruisoient les mortels;
Ceux dont l'humanité n'a point pleuré la gloire,

Et qui par des bienfaits vivent dans la mémoire;

Et ceux qui, de nos arts utiles inventeurs,

Ont défriché la vie et cultivé les mœurs:

T. IV. ÉNÉIDE. II.

18

Quos circumfusos sic est adfata Sibylla;
Musæum ante omnis; medium nam plurima turba
Hunc habet, atque humeris exstantem suspicit altis:
Dicite, felices animæ, tuque, optime vates,
Quæ regio Anchisen, quis habet locus? Illius ergo
Venimus, et magnos Erebi tranavimus amnis. »
Atque huic responsum paucis ita reddidit heros:
<< Nulli certa domus: lucis habitamus opacis,
Riparumque toros et prata recentia rivis
Incolimus. Sed vos, si fert ita corde voluntas,
Hoc superate jugum, et facili jam tramite sistam. »

Dixit, et ante tulit gressum, camposque nitentis Desuper ostentat; dehinc summa cacumina linquunt.

At pater Anchises penitus convalle virenti Inclusas animas, superumque ad lumen ituras, Lustrabat studio recolens, omnemque suorum Forte recensebat numerum, carosque nepotes, Fataque, fortunasque virum, moresque, manusque. Isque ubi tendentem adversum per gramina vidit Ænean, alacris palmas utrasque tetendit; Effusæque genis lacrimæ, et vox excidit ore: « Venisti tandem, tuaque spectata parenti Vicit iter durum pietas? datur ora tueri, Nate, tua, et notas audire et reddere voces! Sic equidem ducebam animo, rebarque futurum, Tempora dinumerans; nec me mea cura fefellit.

De festons d'un blanc pur leurs têtes se couronnent.
Avec eux est Musée; en cercle ils l'environnent;
Il les domine tous d'un front majestueux.
La Sibylle l'aborde : « O chantre vertueux
Qui charma les humains, la terre et l'Élysée!
De grace, apprenez-moi, vénérable Musée,
Où d'Anchise est fixé le paisible séjour :
C'est pour lui qu'exilés de l'empire du jour
Nous avons des enfers franchi les rives sombres.
« Nul espace marqué n'enferme ici les ombres,
Dit le vieillard; le sort abandonne à leur choix
Ces vallons enchantés, ces ruisseaux et ces bois..
Mais suivez-moi; venez sur ce coteau tranquille
Je conduirai vos pas; le chemin est facile.

Après avoir de loin contemplé ces beaux lieux,
Dont Anchise fouloit les prés délicieux,
Ils descendent. Anchise, au fond de ces bocages,
De ses neveux futurs contemploit les images;
D'un regard paternel il fixoit tour-à-tour

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Ce peuple de héros qui devoient naître un jour;
Il remarquoit déja les mœurs, les caractères,
Les vertus, les exploits des enfants et des pères.
Son fils sur les gazons vers lui marche à grands pas.
Le vieillard plein de joie étend vers lui les bras;
Et, l'œil baigné de pleurs, d'une voix défaillante,
<< Te voilà donc! dit-il; ta tendresse constante
A donc tout surmonté! Je puis donc, ô mon fils,
Ouïr ta douce voix, fixer tes traits chéris!
Hélas! en t'espérant dans ces belles demeures,
Mon amour mesuroit et les jours et les heures.

Quas ego te terras, et quanta per æquora vectum
Adcipio! quantis jactatum, nate, periclis!
Quam metui, ne quid Libya tibi regna nocerent! »

Ille autem: << Tua me, genitor, tua tristis imago, Sæpius occurrens, hæc limina tendere adegit. Stant sale Tyrrheno classes; da jungere dextram, Da, genitor, teque amplexu ne subtrahe nostro!»> Sic memorans largo fletu simul ora rigabat. Ter conatus ibi collo dare brachia circum (1); Ter frustra comprensa manus effugit imago, Par levibus ventis, volucrique simillima somno.

Interea videt Encas in valle reducta
Seclusum nemus, et virgulta sonantia silvis,
Lethæumque, domos placidas qui prænatat, amnem.
Hunc circum innumeræ gentes populique volabant;
Ac, veluti in pratis, ubi apes æstate serena
Floribus insidunt variis, et candida circum
Lilia funduntur, strepit omnis murmure campus.
Horrescit visu subito, caussasque requirit
Inscius Eneas, quæ sint ea flumina porro,
Quive viri tanto conplerint agmine ripas.

Tum pater Anchises: « Animæ, quibus altera fato
Corpora debentur, Lethæi ad fluminis undam,

Il ne m'a point trompé. Mais que de maux divers,
O mon fils, t'ont suivi sur la terre et les mers!
Combien j'ai craint sur-tout le séjour de Carthage!›

« O mon père! c'est vous, c'est votre triste image Qui, de tous les devoirs m'imposant le plus doux, Du séjour des vivants m'a conduit près de vous. Pour moi, pour mes vaisseaux bannissez vos alarmes. Donnez-moi cette main; que je goûte les charmes D'un entretien si doux. Ah! ne m'en privez pas : Laissez-moi vous tenir, vous presser dans mes bras! De ce dernier adieu ne m'ôtez point les charmes. >> Il dit, et de ses yeux laisse tomber des larmes; Trois fois pour le saisir fait de tendres efforts, Trois fois l'ombre divine échappe à ses transports: Tel fuit le vent léger, tel s'évapore un songe.

Cependant du héros l'œil avide se plonge

Au fond d'un bois profond, plein de verts arbrisseaux, Dont le doux bruit s'accorde au doux bruit des ruisseaux. Le Léthé baigne en paix ces rives bocagères.

Là des peuples futurs sont les ombres légères:

Tel aux premiers beaux jours un innombrable essaim
Sort, vole autour des fleurs, se pose sur leur sein;
Dans les airs, sur les eaux, le peuple ailé bourdonne,
Et de leur vol bruyant la plaine au loin résonne.
Le héros veut savoir quels sont ces lieux si beaux,
Quels peuples ont couvert ces rives, ces coteaux.
« Mon fils, dit le vieillard, tu vois ici paroître
Ceux qui dans d'autres corps un jour doivent renaître :
Mais avant l'autre vie, avant ses durs travaux,
Ils cherchent du Léthé les impassibles eaux;

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