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L'appareil, inouï pour ces mortels nouveaux,
De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux.

(3) Cæca regens filo vestigia.

Catulle avoit dit non moins bien :

Errabunda regens tenui vestigia filo.

Ce vers se trouve dans l'épisode d'Ariane, qui est un si brillant hors-d'œuvre du poëme de Thétis et Pélée. On y reconnoît l'original de ces deux vers de Racine :

Pour en développer l'embarras incertain

Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.

Phèdre, act. II, sc. v.

(4)

Tu quoque magnam

Partem opere in tanto, sineret dolor, Icare, haberes.

Bis conatus erat casus effingere in auro;

Bis patriæ cecidere manus.

Il n'est chante à Icare: les vers se soulėvent et retombent avec la main paternelle qui veut en vain graver la funeste aventure de son fils; ils font sentir tour-à-tour l'effort et l'affaissement de la douleur.

pas besoin de faire admirer cette apostrophe tou

(5)

. Deus, ecce, deus. Cui talia fanti
Ante fores, subito non voltus, non color unus,
Non comtæ mansere comæ; sed pectus anhelum
Et rabie fera corda tument, majorque videri, etc.

L'abbé Desfontaines observe fort bien que ce tableau de la Sibylle échevelée, hors d'elle-même, et luttant contre le dieu qui veut la dompter, a fourni les plus belles images des premières strophes de l'ode au comte du Luc. Rousseau compare fort heureusement les approches du génie qui vient s'emparer du poëte à celles de la divinité qui veut subjuguer la prêtresse :

Tel, aux premiers accès d'une sainte manie,

Mon esprit alarmé redoute du génie

L'assaut victorieux;

Il s'étonne, il combat l'ardeur qui le possède,
Et voudroit secouer du démon qui l'obséde
Le joug impérieux.

Ces vers sont l'imitation de ceux-ci de Virgile:

Bacchatur vates, magnum si pectore possit
Excussisse deum...

Rousseau ajoute :

Mais sitôt que, cédant à la fureur divine,
Il reconnoît enfin du dieu qui le domine
Les souveraines lois,

Alors, tout pénétré de sa vertu suprême,

Ce n'est plus un mortel, c'est Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.

Virgile dit aussi dans la même occasion:

Nec mortale sonans....

Majorque videri,

Cette description de la Sibylle est sans doute admirable; mais, comme l'a dit un critique moderne, celle de Joad saisi de l'esprit prophétique semble encore supérieure. On sent, pour ainsi dire, l'effort et le trouble du mensonge dans les mouvements désordonnés qui transportent la prétresse d'Apollon; mais l'enthousiasme du prophète a quelque chose de naturel et de tranquille comme la vérité. Il se livre sans résistance à l'esprit divin qui le domine, et ses paroles ont l'autorité du dieu dont il explique les oracles :

C'est lui-même, il m'échauffe, il parle; mes yeux s'ouvrent,

Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

RACINE, Athalie, act. III, sc. VIII.

Virgile est de tous les poëtes celui qui choisit le mieux les détails de ses peintures; il les varie sans cesse, et ne les

épuise jamais. A cette description poétique de l'antre de la Sibylle il fait succéder le tableau touchant de la mort et des funérailles de Misène; il place à côté l'image gracieuse des colombes de Vénus qui descendent au milieu de la forêt où s'égare Énée, et qui le conduisent vers l'arbre mystérieux où brille ce rameau d'or sans lequel on ne peut franchir les enfers.

(6) Te quoque magna manent regnis penetralia nostris:
Hic ego namque tuas sortis, arcanaque fata,
Dicta meæ genti, ponam, lectosque sacrabo,
Alma, viros.

On a déja remarqué avec quel soin Virgile remonte à tous les anciens usages de sa patrie. Ici, Énée promet à la Sibylle un temple où seront déposés ses oracles, et des prêtres pour les expliquer.

<«< On raconte en effet que, sous le règne de Tarquin-leSuperbe, des livres sibyllins furent apportés à Rome; ce "prince en confia la garde à deux personnes distinguées << dans la noblesse, et à deux officiers publics qui leur obéis<< soient. Après l'exil de ses rois, la république prit un soin << plus particulier du recueil de ces oracles; elle le fit enfer« mer dans un coffre de pierre qui fut déposé sous une des << voûtes du Capitole, et remis à la fidélité de deux prétres << nommés pour cette fonction. L'an 387 de Rome, ces prê«tres furent augmentés au nombre de dix, et à celui de <«< quinze sous la dictature de Sylla. Ils étoient choisis dans les premières familles de la noblesse. On consultoit les li«vres sibyllins, par l'ordre du sénat, dans toutes les gran« des calamités. » (Rollin, Histoire romaine, in -4°, tome I, p. 17.)

(7) Idem ter socios pura circumtulit unda,

Spargens rore levi et ramo felicis olivæ,

Lustravitque viros, dixitque novissima verba.

Plusieurs de ces usages religieux se sont conservés dans

T. IV. ÉNÉIDe, ii.

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le christianisme, qui leur donne encore une fin plus noble et plus touchante. Les anciens regardoient avec raison les cérémonies funèbres comme le point le plus important de la police sociale et de la science des mœurs; et c'est pour cela que les honneurs rendus aux tombeaux tiennent tant de place dans les poëmes grecs et romains. Virgile se plait sur-tout à ces peintures attendrissantes. Avant la pompe funébre de Misène il a décrit celle de Polydore au commencement du troisième livre, et l'apothéose d'Anchise occupe une partie du cinquième. Nous verrons les funérailles de Pallas dans le onzième livre, et ce dernier tableau surpassera tous les autres.

(3) Di, quibus imperium est animarum, Umbræque silentes,
Et Chaos, et Phlegethon, loca nocte tacentia late, etc.

Cette invocation aux puissances de la mort est d'un effet sublime; l'harmonie du poëte est sombre et lugubre comme les enfers dont il veut ouvrir les profondeurs. Des sons graves et lents, multipliés à dessein, imitent l'uniforme immensité de ces royaumes du silence et du vide.

Ibant obscuri sola sub nocte per umbram......

La longue et pénible marche de la Sibylle et d'Énée se fait sentir dans l'accumulation de ces spondées, qui semblent appesantir le vers comme les ombres de la nuit, et l'alonger comme les espaces du chaos.

Cette apostrophe aux divinités infernales n'est, je crois, qu'un très beau mouvement de l'enthousiasme poétique. Toutes les fois que le génie veut exprimer des choses nouvelles, il cherche des tours nouveaux pour s'emparer de l'attention, et justifier son audace. Cependant l'évêque Warburton a cru qu'en cet endroit l'auteur de l'Énéide s'excusoit de révéler la doctrine secrète des initiés. Il ne voit enfin dans ce sixième livre qu'une peinture allégorique des mystères de Cérès et de Proserpine. L'opinion de l'évêque an

glais a trouvé beaucoup de partisans. Voltaire lui-même l'avoit d'abord adoptée; mais un examen plus réfléchi l'a désabusé dans la suite.

« Cette descente aux enfers, dit-il, imitée d'Homère beau« coup moins qu'embellie, et la belle prédiction des destins « des Césars et de l'empire romain, n'ont aucun rapport aux « fables de Cérès et de Triptolème. Ainsi il est fort vraisem<«< blable que le sixième livre de l'Énéide n'est point une des«cription des mystères: si je l'ai dit, je me dédis."

Il observe de plus que Virgile vivoit sous un prince ami des formes religieuses, et qui, étant initié lui-même, n'auroit pas toléré une semblable profanation. Horace ne regarde-t-il pas cette révélation comme un sacrilège?

Vetabo, qui Cereris sacrum

Vulgarit arcanæ, sub iisdem

Sit trabibus.

Je me garderai bien de loger sous mes toits
Celui qui de Cérès a trahi les mystères.

VOLT., vol. XLI de l'édit. de Kehl en 70 vol.

Comment le sage Virgile se seroit-il permis un attentat qui alarmoit si fort Horace? Observons d'ailleurs que ces dogmes d'une vie future, et des peines et des récompenses qui attendoient le crime et la vertu dans le Tartare et l'Élysée, étoient des dogmes fort populaires, et répandus chez toutes les nations avant Virgile: quel besoin avoit-il donc, pour les chanter, de se rendre coupable aux yeux de ses compatriotes en profanant le secret des mystères? Si Warburton avoit eu un goût égal à son érudition, il auroit su que ce n'est point sur le système obscur de quelques initiés, mais sur les croyances vulgaires, qu'un poëte épique doit fonder l'intérêt de ses fictions. Virgile a vraisemblablement traité ce sujet par un motif tout contraire à celui que sup. pose Warburton. Loin d'apporter une doctrine cachée et nouvelle, il vient opposer une doctrine antique et connue à celle d'Épicure, qui s'étoit introduite jusque dans le

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