ページの画像
PDF
ePub

Elle n'augure pas de sa douleur cachée

Un désespoir plus grand qu'à la mort de Sichée,
Et dresse innocemment le funèbre appareil.

Dans un lieu retiré, mais ouvert au soleil,
Des rameaux du sapin, des longs éclats dù chêne,
On forme le bûcher; il s'élève; et la reine
Du sacrifice affreux fait les tristes apprêts,
Suspend en noirs festons la feuille du cyprès;
Elle place au sommet la dépouille d'Énée,
Et ce lit nuptial qu'a maudit l'hyménée,
Et le fer du parjure, et son image, hélas !
Instruments et témoins du plus cruel trépas.
Les autels sont dressés ; la prêtresse terrible
Court, les cheveux épars, lance un regard horrible.
Tout-à-coup sa voix tonne; elle invoque et Pluton,
Et la triple Diane, et l'ardent Phlégéton;
Réveille le Chaos dans ses abîmes sombres,

Et trouble par ses cris le long repos des ombres;
Puis d'une onde funèbre elle verse les flots,
Qui du noir Achéron représentent les eaux;
Exprime un lait impur d'une herbe empoisonnée,
Au flambeau de la nuit par l'airain moissonnée.
Enfin, pour rendre encor le charme plus puissant,
Elle y joint la tumeur que le coursier naissant
Apporte sur son front, et que, pour ce mystère,
On enlève aussitôt à son avide mère.

La reine sans ceinture, un pied sans brodequin,
Déja tient son offrande en sa tremblante main.
Dévouée à la mort, en silence elle atteste
Les dieux, sacrés témoins de son destin funeste,

Curæ numen habet, justumque memorque, precatur.

Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem (5) Corpora per terras, silvæque et sæva quierant Equora: quum medio volvuntur sidera lapsu, Quum tacet omnis ager, pecudes, pictæque volucres, Quæque lacus late liquidos, quæque aspera dumis Rura tenent, somno positæ sub nocte silenti, * Lenibant curas, et corda oblita laborum*. At non infelix animi Phoenissa, neque unquam Solvitur in somnos, oculisve aut pectore noctem (52) Adcipit: ingeminant curæ, rursusque resurgens Sævit amor, magnoque irarum fluctuat æstu.

Sic adeo insistit, secumque ita corde volutat:
<«< En, quid ago? rursusne procos inrisa priores (53)
Experiar? Nomadumque petam connubia supplex,
Quos ego sim toties jam dedignata maritos?
Iliacas igitur classis, atque ultima Teucrum
Jussa sequar? Quiane auxilio juvat ante levatos,
Aut bene apud memores veteris stat gratia facti?
Quis me autem, fac velle, sinet? ratibusve superbis

Ces dieux justes, vengeurs des malheureux amours.
La nuit avoit rempli la moitié de son cours;
Sur le monde assoupi régnoit un calme immense;
Les étoiles rouloient dans un profond silence;
L'aquilon se taisoit dans les bois, sur les mers;
Les habitants des eaux, les monstres des déserts,
Des oiseaux émaillés les troupes vagabondes,

Ceux qui peuplent les bois, ceux qui fendent les ondes,
Livrés nonchalamment aux langueurs du repos,
Endormoient leurs douleurs, et suspendoient leurs maux.
Didon seule veilloit; la noire solitude

Aigrit de ses chagrins l'ardente inquiétude.
De l'amour renaissant le terrible réveil

A ses yeux, à son cœur, refuse le sommeil.
De ses sens agités la tempête s'augmente;
En butte à tous les coups de l'horrible tourmente,
D'espérance, d'effroi, d'amour, et de fureur,
Un reflux orageux bouleverse son cœur;

Énée?

Et son esprit flottant roule ainsi ses pensées,
Admises tour-à-tour, tour-à-tour repoussées:
«Que faire, hélas! Irai-je, abaissant mon orgueil,
Chez Iarbe, à mon tour, implorer un coup d'œil,
Ou des rois mes voisins mendier l'hyménée,
Eux que j'ai tant de fois dédaignés pour
Pour suivre les Troyens, dois-je, loin de ces lieux,
Me mettre à la merci de ce peuple orgueilleux?
En effet, ils ont droit à tant de confiance!
Mes bienfaits sur leur ame ont eu tant de puissance!
Et, quand je le voudrois, le pourroient-ils souffrir?
Dans ces vaisseaux ingrats qu'ils m'ont vu secourir,

Invisam adcipiet? Nescis, heu! perdita, necdum
Laomedonteæ sentis perjuria gentis?

Quid tum? sola fuga nautas comitabor ovantis?
An Tyriis, omnique manu stipata meorum
Inferar? et, quos Sidonia vix urbe revelli,
Rursus agam pelago, et ventis dare vela jubebo?
Quin morere, ut merita es, ferroque averte dolorem.
Tu lacrimis evicta meis, tu prima furentem (54)
His, germana, malis oneras, atque objicis hosti.
Non licuit thalami expertem sine crimine vitam
Degere, more feræ, talis nec tangere curas!
Non servata fides cineri promissa Sychæo! »
Tantos illa suo rumpebat pectore questus.

Æneas celsa in puppi, jam certus eundi, Carpebat somnos, rebus jam rite paratis (55). Huic se forma dei voltu redeuntis eodem Obtulit in somnis, rursusque ita visa monere est, Omnia Mercurio similis, vocemque, coloremque, Et crinis flavos, et membra decora juventæ:

[ocr errors]

Nate dea, potes hoc sub casu ducere somnos? Nec, quæ te circum stent deinde pericula, cernis? Demens! nec Zephyros audis spirare secundos? Illa dolos dirumque nefas in pectore versat, Certa mori, varioque irarum fluctuat æstu.

Non fugis hinc præceps, dum præcipitare potestas? Jam mare turbari trabibus, sævasque videbis

Les cruels voudroient-ils m'accorder une place?
Ah! de Laomedon connois la digne race;
Après leurs trahisons, après leurs attentats,
Malheureuse! peux-tu ne les connoître pas?
D'ailleurs, suivrai-je seule une foule insolente?
Et mon peuple, jouet de ma fortune errante,
Lui qu'avec tant de peine on arracha de Tyr,
A cet exil nouveau voudra-t-il consentir?
Non, ne t'abuse plus d'un espoir inutile:
Meurs, tu l'as mérité; meurs, voilà ton asile.
C'est toi, ma sœur, c'est toi qui, cédant à mes pleurs,
M'as livrée à ce traître, as fait tous mes malheurs.
Que n'ai-je pu, grands dieux ! dans un chaste veuvage,
Conserver de mon cœur la rudesse sauvage;

Au sein de la vertu fuir ces affreux tourments!
Mânes de mon époux! j'ai trahi mes serments! »
Tels étoient ses transports et son trouble funeste.
Le héros cependant, plein de l'ordre céleste,
Pour sa fuite, à regret, avoit tout préparé;
Le sommeil de ses sens enfin s'est emparé :
Tout-à-coup dans un songe il croit revoir Mercure ;
C'étoit sa voix, son port, sa blonde chevelure,
Enfin du jeune dieu tous les traits éclatants.
«Eh quoi! fils de Vénus, dans ces affreux instants
Tu dors! tu n'entends pas le souffle du Zéphire!
D'une amante en fureur tu braves le délire!
Prête à mourir, en proie au plus affreux transport,
Quelque horrible forfait va signaler sa mort.
Pourquoi ne fuis-tu pas, quand tu le peux encore?
Si ta voile tardive attend ici l'aurore,

« 前へ次へ »