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considérations religieuses. Pygmalion, frère de Didon, est d'autant plus à craindre, qu'il est l'assassin d'un époux vivement regretté. L'arrivée d'Énée à Carthage n'est plus pour elle un événement ordinaire; elle a été dirigée par les dieux mêmes, et principalement par Junon, protectrice de son empire.

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La pudeur est ici représentée, avec beaucoup de justesse, comme un lien qu'il a fallu dénouer. Tout ce qui suit est d'une admirable beauté. Les idées religieuses, mêlées à celles de l'amour, donnent à la poésie un caractère touchant et solennel. Pope l'a bien senti dans la composition de sa belle épître d'Héloïse à Abailard. C'est dans le temple, c'est au pied des autels qu'il amène ces deux amants, et qu'il représente l'amour victorieux de la majesté des cérémonies et de la sainteté du sacrifice.

« Viens, dit Héloïse, que son amour malheureux doit << conduire à la mort, viens, Abailard, viens, le cierge fu<< néraire dans la main, viens m'adoucir le passage de cette « vie à l'autre. » Si on supprimoit de cet ouvrage, l'une des plus belles productions de Pope, l'heureux mélange de l'amour et de la religion, on lui ôteroit son principal mérite. Colardeau, qui paroît l'avoir senti quelquefois, n'est pas entièrement à l'abri de ce reproche.

En général, on voit trop qu'il n'a pu lire Pope que dans une traduction française. Plusieurs des beautés de l'original sont mieux conservées dans une imitation que M. de La Harpe en a faite pour remplir les vides laissés par le jeune traducteur. Celui-ci n'avoit pas assez vu combien ce mélange de religion et d'amour est propre à produire de profondes impressions.

(17)

Pecudumque reclusis
Pectoribus inhians, spirantia consulit exta, etc.

Le mot inhians peint avec une grande énergie l'attention profonde avec laquelle Didon cherche à lire son destin dans les entrailles des victimes. Ce passage a inspiré à Racine plusieurs beaux vers qui en sont évidemment une imitation:

De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchois dans leurs flancs ma raison égarée:
D'un incurable amour remèdes impuissants!
En vain sur les autels ma main brûloit l'encens:
Quand ma bouche imploroit le nom de la déesse,
J'adorois Hippolyte; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisois fumer,
J'offrois tout à ce dieu que je n'osois nommer.
Phèdre, act. I, sc. III.

On peut remarquer ici qu'il y a dans Racine une sorte d'esprit, de finesse, et d'élégance plus appropriée au génie de notre langue, et dans Virgile plus d'énergie et de mouvement, particulièrement dans ces vers:

(18)

Heu! vatum ignaræ mentes! quid vota furentem,

Quid delubra juvant?

Est mollis flamma medullas

Interea, et tacitum vivit sub pectore volnus.

Mollis flamma est une expression heureuse, parcequ'elle rend avec une extrême précision les tourments et les délices de l'amour.

Tacitum vivit sub pectore volnus est tellement intraduisible, que Racine même n'a pas tenté de l'imiter.

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On a toujours admiré avec raison la comparaison de Didon blessée des traits de l'amour, avec une biche qui emporte dans ses flancs la flèche qui l'a percée. L'épithète ne

scius est heureuse, parceque l'objet d'une passion l'allume souvent sans le savoir.

(20) Nunc media Enean secum per monia ducit, etc.

Virgile, après avoir peint l'amour de Didon, peint mieux peut-être encore les efforts qu'elle fait pour se faire aimer, et pour arrêter Énée dans Carthage. Ce héros fugitif cherche une patrie; Didon le conduit dans sa cité naissante, déja riche des dépouilles de Sidon, et prête à le recevoir, urbemque paratam.

(21) Incipit effari, mediaque in voce resistit.

Didon veut déclarer son amour, et s'interrompt tout-àcoup. Les aveux les plus intéressants dans ce genre sont toujours les plus timides, et le silence de la pudeur est peutêtre plus éloquent que les expressions les plus brûlantes de la passion.

(22) Nunc eadem, labente die, convivia quærit, etc.

Rien de plus naturel que l'empressement avec lequel Didon cherche à ramener Énée à ses festins du soir; c'est ce que veut dire labente die. Les heures du soir sont véritablement celles de l'amour. Il est également naturel qu'elle veuille entendre de nouveau les aventures qui ont fait sur son ame une impression si profonde; c'est encore Énée qu'elle cherche dans ses récits.

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M. de Pompignan a cherché à rendre cette expression par ce vers:

Chaque instant qu'attachée au plaisir de l'entendre....

Didon, act. I, sc. Iv.

L'image de Didon suspendue à la bouche du héros qui raconte, est infiniment plus belle et plus hardie.

(24) Sola domo mæret vacua, stratisque relictis

Incubat. Illum absens absentem auditque videtque, etc.

Tous les mouvements de Didon, lorsque Énée s'est retiré dans son appartement, sont saisis avec la plus extrême sagacité. Au milieu de sa cour, entourée de ses gardes, elle se croit plongée dans la plus profonde solitude. C'est ainsi que Racine fait dire à Antiochus, après le départ de Bérénice:

Dans l'Orient désert quel devint mon ennui!
Bérénice, act. I, sc. Iv.

L'Orient fut désert du moment que Bérénice fut absente. Didon s'empare du siège que son amant vient de quitter. Absent, elle croit encore le voir et l'entendre. La répétition des mêmes mots exprime fort bien ici l'obstination avec laquelle cette reine s'attache ou à la personne ou au souvenir de son amant. Mais ce qui surpasse la beauté de ces images, c'est celle de Didon prenant le fils du héros dans ses bras, et cherchant dans les traits d'Ascagne le portrait de son père, comme un dédommagement et une consolation.

(25) Non cœptæ adsurgunt turres; non arma juventus, etc.

Cette pensée de Virgile est très philosophique, et elle exprime de la manière la plus heureuse comment les passions des souverains nuisent à la prospérité d'un grand empire, et répandent dans toute leur nation l'oubli de ses plus grands intérêts, et de tout ce qui produit la félicité publique. Peut-être n'a-t-on pas assez bien compris le véritable sens des mots minæque murorum ingentes. Toutes les grandes constructions imparfaites ont un air de menace, parcequ'elles font naître l'idée d'un écroulement prochain.

(16)

Quam simul ac tali persensit peste teneri

Cara Jovis conjux, nec famam obstare furori, etc.

Ce passage est difficile à traiter, parceque dans cette lutte de deux déesses aucune des deux ne devoit être dégradée.

Junon, toujours fidèle au projet d'écarter les Troyens de l'Italie, propose à Vénus d'unir ensemble les Tyriens et les Troyens par l'hymen d'Énée et de Didon, qui deviendra le sceau de la réconciliation des deux divinités: mais Vénus, par un sourire, marque qu'elle a deviné les intentions de sa rivale ; elle lui répond d'une manière pleine de finesse et de convenance.

(27) Una dolo divum si femina victa duorum est!

Racine a mis dans la bouche de Phèdre une heureuse imitation de ce vers (act. II, sc. v):

Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle

De séduire le cœur d'une foible mortelle...

Le vers de Virgile a l'avantage d'exprimer que les deux divinités qui ont triomphe de Didon ont joint l'artifice à la puissance.

(28) Connubio jungam stabili, propriamque dicabo, etc.

Ce vers tout entier se trouve déja dans le premier livre, et c'est aussi dans la bouche de Junon. Virgile s'est souvent ainsi répété; et cette observation seule prouveroit qu'il s'étoit toujours proposé de revoir son ouvrage.

(29) Oceanum interea surgens Aurora relinquit, etc.

Virgile a mis une extrême perfection dans la description de cette chasse ; elle est pleine d'images bien choisies, de convenance, et de rapidité. Delecta juventus exprime fort bien. l'espèce d'étiquette qui n'admet autour des souverains, dans leurs parties de plaisir, que l'élite de leur cour; et la jeunesse y paroît avec de grands avantages. L'appareil, les instruments de la chasse, le cortège de la reine, sont décrits avec beaucoup de justesse. Le poëte ne manque pas de faire paroître dans cette fête les cavaliers numides, renommés par leur adresse dans l'équitation. L'expression si heureuse

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