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et si précise, odora canum vis, n'a pu se rendre que par des équivalents. L'empressement avec lequel les grands admis à cette chasse arrivent au rendez-vous n'est pas oublié; il étoit naturel aussi d'exprimer l'impatience avec laquelle est attendu le principal personnage; et le cheval même qui doit le porter a fourni à cette description des traits également justes et brillants; la richesse de son harnois est parfaitement rendue en deux mots, qui le couvrent à-la-fois de ce qu'il y a de plus précieux, d'or, et de pourpre, ostroque insignis et auro.

(30) Stat sonipes, ac frena ferox spumantia mandit.

Ce vers exprime admirablement un cheval bien dressé, qui réunit ensemble l'ardeur et la docilité. On y trouve d'ailleurs une magie d'harmonie, qui fait qu'on croit entendre l'action d'un coursier fougueux rongeant son frein d'impatience.

Tandem progreditur exprime parfaitement la longue attente occasionée par le retard de la reine, et le plaisir que fait naître sa présence. Un des privilèges de la grandeur est de ne pas attendre, et d'être attendu. Louis XIV, arrivant en même temps que sa voiture au pied du grand escalier de Versailles, dit, en se retournant vers son grand écuyer: J'ai failli attendre. Ce mot exprime vivement le sentiment qu'il avoit de l'élévation de son rang et du respect qui lui

étoit dû.

Si le souverain de Carthage avoit été un homme, Virgile ne se seroit peut-être pas arrêté à décrire son costume; mais une jeune reine, mais une amante intéressée à plaire, ne devoit rien avoir oublié de ce qui pouvoit y contribuer. Le poëte lui prête tout le goût et toute la magnificence dont une toilette de chasse est susceptible. Il est tout simple que, dans ce jour, les Troyens et leur chef jouent un des premiers rôles. La comparaison d'Énée avec Apollon, si elle n'est pas d'une grande exactitude, est de la plus belle poésie.

C'est toujours aux dieux qu'Homère et Virgile comparent les hommes qu'ils veulent faire valoir. Dans la suite de cette description, le lieu de la scène, les chasseurs, les animaux poursuivis, sont peints avec tout le mouvement et toute la vérité nécessaires. Pour faire partir ces animaux sauvages, Virgile attend avec raison que la chasse soit parvenue dans les taillis les plus épais et les lieux les plus impraticables; alors, par un mélange heureux de syllabes brèves et longues, par la cadence et la coupe des vers, il nous fait entendre les sauts, les bonds impétueux, et la fuite précipitée des daims, des chevreuils, et des chamois, chassés précipitamment de leurs retraites. Nous avons remarqué ailleurs comment il a peint, dans la personne d'Ascagne, l'ardeur et l'émulation que mettent les jeunes gens dans ces sortes d'exercice.

(3) Interea magno misceri murmure cœlum, etc.

On a observé avec raison que ce qui se passe de mystérieux dans la grotte où l'orage conduit Énée et Didon, est décrit par Virgile avec toute la décence de la pudeur; et, si une foule d'autres peintures fait honneur à son génie, celle-ci a toujours honoré son caractère. Une observation plus importante, et peut-être plus nouvelle, c'est que, pour donner plus de solennité à cet hymen, il suppose que ce sont de grandes divinités qui ont donné le signal; c'est le tonnerre qui le proclame; c'est la foudre qui l'éclaire. Les nymphes, hurlant au sommet des montagnes, rappellent les femmes qui, suivant l'usage antique, annonçoient par des cris celui de la pudeur mourante. Ainsi, ce sont tous les éléments, ce sont les dieux, c'est la nature entière qui fait les frais de cet hymen : idée vraiment neuve et imposante.

(32) Extemplo Libyæ magnas it Fama per urbis, etc.

Plusieurs poëtes, après Virgile, ont fait des descriptions

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de la Renommée; la première est celle d'Ovide dans le douzième livre des Métamorphoses, très bien rendue par M. de Saint-Ange. Le palais de la déesse y est décrit d'une manière brillante; mais la prolixité et la monotonie des couleurs empêchent d'en distinguer les traits les plus remarquables.

La description de Boileau, dans le second chant du Lutrin, est beaucoup moins étendue; mais aucun des traits que comportoit son sujet n'y est oublié:

Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
Ce monstre, composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit par-tout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas;
La Renommée enfin, cette prompte courrière,
Va d'un mortel effroi glacer la perruquière.

Voltaire a fait aussi, en décrivant la Renommée dans le huitième chant de la Henriade, une heureuse imitation de Virgile. Mais celle de J.-B. Rousseau, dans sa belle ode au prince Eugène, nous paroît supérieure à toutes les autres par la rapidité et le mouvement.

Quelle est cette déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme,
Tout couvert d'oreilles et d'yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui, des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux?

C'est l'inconstante Renommée,
Qui, sans cesse les yeux ouverts,

Fait sa revue accoutumée

Dans tous les coins de l'univers;

Toujours vaine, toujours errante,

Et messagère indifférente

Des vérités et de l'erreur,

Sa voix, en merveilles féconde,

Va chez tous les peuples du monde

Semer le bruit et la terreur.

(33) Juppiter omnipotens, cui nunc Maurusia pictis, etc.

Ce discours d'Iarbe est plein de toute la chaleur et dé tout l'emportement d'un caractère exalté par les ardeurs du ciel africain; il exprime d'ailleurs tout l'orgueil d'un fils de Jupiter, qui semble lui-même tenir en main les foudres de son père.

(34) Vade age, nate, voca Zephyros, et labere pennis.

M. de Marmontel a remarqué avec raison l'extrême légèreté de ce vers, presque tout entier composé de dactyles.

Le discours de Jupiter a toute la dignité convenable au souverain des dieux: Gravidam imperiis est une de ces hardiesses si communes à Virgile, et si difficiles à transporter dans notre langue; elle rappelle le feta armis du second livre.

(35) Naviget. Hæc summa est; hic nostri nuntius esto.

Ce vers a, si j'ose ainsi dire, toute la précision et toute la fermeté du commandement.

La description de l'appareil dont s'entoure Mercure a perdu une grande partie de l'intérêt qu'elle avoit pour les anciens; mais les vers qui l'expriment conservent encore pour nous tout le charme que ne perd jamais la belle poésie. On en peut dire autant de la description d'Atlas, l'aïeul de Mercure, changé en montagne. La comparaison de ce dieu, effleurant d'une aile légère le rivage de Carthage, est un des larcins assez fréquents que le poëte latin a faits à Homère.

(36) Adrectæque horrore comæ, et vox faucibus hæsit.

Ce vers est encore un de ceux que Virgile s'est pris à lui-même. Ce n'est point la crainte des dieux qu'il a voulu exprimer, c'est le respect d'Énée pour la présence de la divinité. Aussi son premier mouvement est d'obéir, mais

avec tout le regret que doivent lui inspirer les bienfaits de Didon, sa tendresse pour elle, et le charme d'un asile où il trouvoit un repos si chèrement acheté par un long exil et les fatigues d'une pénible navigation: son irrésolution concourt encore à diminuer ce que son départ peut avoir d'odieux. La joie empressée avec laquelle les Troyens se disposent à partir sert aussi à justifier Énée. Enfin, Virgile n'a oublié, dans la suite de ce chant, aucun des traits qui pouvoient disculper son héros des torts qu'on s'obstine à lui trouver; ce qui prouve qu'il sentoit bien que, sous ce rapport, le caractère de son héros n'est pas tout-à-fait irréprochable.

(37) At regina dolos, quis fallere possit amantem!
Præsensit, motusque excepit prima futuros, etc.

Ces premières impressions que produit sur le cœur de Didon la nouvelle du prochain départ d'Énée, sont peintes avec beaucoup de force et de vérité. Cette exclamation : Quis fallere possit amantem! est sur-tout remarquable. Omnia tuta timens exprime bien les alarmes et l'inquiétude qui accompagnent l'amour. On ne pouvoit mieux peindre son délire, qu'en le comparant à celui des bacchantes.

(38) Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum

Posse nefas, tacitusque mea decedere terra? etc.

Nous avons déja observé le caractère de ce discours, où la passion est véritablement éloquente. Didon espère encore, et l'amour, dans cette situation, met quelque mesure à l'expression de sa fureur; aussi, dans cette première explication, les sentiments tendres et passionnés reviennent-ils plus souvent que les accents de la colère et de l'emportement. La reine paroît craindre autant les dangers auxquels s'expose son amant, que les malheurs qui l'attendent elle

même.

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