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avait agi sur ses sens. Les yeux de ma petite Jocko paraissaient plus animés; elle était plus expansive, plus confiante, et se familiarisa au point de s'approcher de moi assez près pour toucher légèrement mes habits du bout de ses doigts. J'aurais pu la saisir sans peine, mais je m'en gardai bien ; je ne voulais ni l'affliger, ni lui rendre ses premières méfiances.

Les jours suivans, mon vin de Calcavallo, mon vin de Xérez, dont je lui versais avec discrétion de légères doses, paraissaient toujours lui faire le même plaisir; enfin je m'avisai de lui porter d'excellente liqueur des îles, dont j'avais une assez bonne provision. Après lui avoir fait manger un peu plus de mes friandises qu'à l'ordinaire, je posai devant elle un petit verre de crême de créole; elle parut d'abord surprise et inquiète, mais bientôt le plaisir l'emporta, elle avança ses deux petites pates

en dansant autour de moi; c'était samanière de me demander quelque chose: je plaçai un second verre devant elle, mais à moitié plein, car je craignais de nuire à la santé de ce charmant animal. Ma petite Jocko le saisit avec avidité, mais elle ne but la liqueur que peu à peu et à doses modérées; elle semblait la savourer avec délices. Bientôt il s'ensuivit une demi-ivresse qui se manifesta dans ses regards; alors ses craintes, ses hésitations disparurent, elle se précipita sur moi, appuya sa petite tête sur mon épaule, la roula en folàtrant sur ma poitrine : je marchais toujours, elle me suivait en piétinant; je lui donnais de temps en temps de petits gâteaux, elle les mangeait sans même les regarder ; il n'était plus question de méfiance entre nous. Je pris son bras droit, je le passai sous mon bras gauche, et nous continuâmes à marcher ainsi près d'un quart de mille [17],

tantôt elle me quittait pour courir après des papillons [18], tantôt elle marchait à mes côtés et conformait ses pas aux miens avec une justesse admirable.

Comme ses bras, sans être entièrement disproportionnés, étaient un peu plus longs que dans l'espèce humaine, je m'avisai de prendre ses deux mains et de les croiser devant elle. Je ne sais quelles furent ses idées, mais elle s'effraya, s'éloigna de moi de quelques pas, et prit un petit air boudeur. Je me rappelai alors ce que j'avais lu dans plusieurs relations de voyages, et ce que j'avais observé moi-même à diverses reprises sur la pudeur naturelle aux femelles de cette espèce [19], et ma mémoire me retraçant subitement plusieurs faits de l'histoire ancienne, je frémis d'horreur; mais en jetant les yeux sur la petite Jocko, je souris de mon indignation, et je fus tenté de placer au rang des

fables, ou de considérer comme des caprices de l'art, certaines représentations grecques et même romaines, que j'avais vues en Italie, spécialement à Portici, et sur plusieurs médailles antiques.

Je la rappelai du geste et de la voix ; je lui présentai un petit gâteau, elle revint le manger sans donner aucun signe de satisfaction, et marcha longtemps sur la même ligne que moi, mais à une assez grande distance.

Il fallut se séparer ; je m'amusai à lui oter mon chapeau et à lui faire un profond salut d'abord elle me parut un peu embarrassée, mais elle eut bientôt pris son parti; elle arracha plusieurs feuilles de bananier, et façonna avec adresse une espèce de coiffe ce fut l'affaire d'un instant; puis elle la posa sur sa tête et me fit à son tour un profond salut de l'air du monde le plus comiquement grave [20]. Ensuite chacun de nous s'en alla de son côté, non

sans tourner nos regards l'un vers l'autre à diverses reprises.

Le lendemain, elle m'aborda, coiffée d'un capuchon de feuilles entrelacées et plus artistement travaillées que celles de la veille; elle tenait à sa main une espèce de canne ornée de quelques feuilles légères et assez semblable à un thyrse [21]. Je trouvai qu'elle avait dans cette attitude un petit air moitié enfantin, moitié redoutable, qui me fit sourire. Elle m'avait apporté plusieurs belles noix de coco; nous en mangeâmes la chair, nous en bûmes le lait ; je lui donnai des morceaux de biscuits, un peu de bon vin; nous étions les meilleurs amis du monde lorsqu'il survint une scène qui pensa nous brouiller ; je vais la raconter en peu de mots.

Je m'étais muni, sans dessein formel, d'un petit miroir; je le tirai de ma poche et je le lui présentai subitement. Au même instant, la surprise, l'effroi et une

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