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Alors son esprit flottant est partagé entre mille résolutions qui se détruisent, et l'empêchent de se fixer à aucune. Il regarde tour à tour les Rutules et la ville de Laurente, il craint le coup qui le menace; il ne sait ni comment l'éviter, ni comment se jeter sur son ennemi; ses yeux ne voient nulle part, ni son char, ni sa sœur qui le conduisoit.

Énée, toujours armé de son terrible javelot, le poursuit, le menace, ne lui laisse pas le temps de se reconnoître, et cherche l'occasion de frapper un coup assuré. Enfin il jette de toute sa force le funeste dard. Les rochers poussés par la baliste frappent les remparts avec moins de fureur, et les éclats de la foudre sont moins violens. Le trait perce l'extrémité du bouclier à sept cuirs, pénètre le bas de la cuirasse et s'enfonce dans la cuisse de Turnus. Le guerrier malheureux plie le genou et tombe à terre a fa

De joie et de douleur mille cris se confondent,
L'Olympe en retentit, et les monts lui répondent.
Lui, foible, suppliant, soumettant son grand cœur,
De l'œil et de la main implore le vainqueur:
« Oui, j'osai t'attaquer, et j'en subis la peine;
Jouis de ton succès et satisfais ta haine:
Loin de moi d'un pardon l'opprobre injurieux!
Mais un père autrefois étoit cher à tes yeux;
Le mien respire encore, épargne son vieil âge;
Ou du moins, si tu veux m'immoler à ta rage,
Du tombeau paternel accorde-moi l'honneur.

Tu le vois, rien ne manque à ton cruel bonheur;
Tous ont vu ma défaite, ainsi que ta victoire;
Lavinie est à toi, ne souille pas ta gloire:

C'est peu d'être vainqueur, sois humain.....» (*)

Le redoutable Énée, le bras levé sur son rival; le regardoit d'un air furieux, et rouloit des yeux enflammés de colère; mais insensiblement il commençoit à se laisser fléchir par sa voix suppliante, lorsqu'il vit briller sur son épaule le baudrier de Pallas, ce baudrier précieux que Turnus avoit enlevé au jeune fils d'Évandre, après l'avoir tué de sa main; ornement funeste pour lui, et qu'il se faisoit gloire de porter.

A peine il aperçoit cet horrible trophée,
Réveillant dans son cœur sa colère étouffée,
Furieux, il s'écrie : « Assassin d'un enfant!
Eh quoi! de sa dépouille à mes yeux triomphant,
Tu vivrois! Non, cruel! que ta mort le console;
C'est Pallas, par ma main, c'est Pallas qui t'immole.
Il dit, le sacrifie à ces manes si chers,

Et son ame en courroux s'enfuit dans les Enfers. (**)

(*) Delille.

(**) Delille.

FIN DU DOUZIÈME LIVRE.

DU DOUZIÈME LIVRE DE L'ÉNÉIDE.

(1)CETTE comparaison est imitée de celle-ci d'Homère, traduite par M. Aignan, livre cinquième de l'Iliade:

Tel le roi des forêts, qu'une flèche incertaine,
D'un bras foible lancée effleure et touche à peine,
Terrible, se retourne et fond sur le berger
Que le bercail dérobe à ce pressant danger;
Le monstre rugissant redresse sa crinière;
Il franchit des longs pieux l'impuissante barrière,
Et le nombreux troupeau qui se presse en bêlant,
Tambe en foule, égorgé dans son bercail sanglant.

Lucain en a aussi tiré parti dans le premier livre de la Pharsale. Voici ses vers :

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Sic cum squalentibus arvis
Estiferce Libyes visó leo cominùs hoste
Subsidit dubius, totam dum colligit iram ;
Mox ubi se sævæ stimulavit verbere caudæ
Erexitque jubam, et vasto grave murmur hiatu
Subgemuit: tum torta levis si lancea Mauri
Hæreat, aut latum subeant venabula pectus;
Perferrunt tanti securus vulneris exit.

(Note de l'Éditeur.)

(2) Homère, au quatrième livre de l'Iliade, en parlant de Ménélas blessé, s'exprime ainsi dans la traduction de M. Aignan :

'Goutte à goutte le sang découle de son corps,

Comme, des fiers coursiers pour enrichir le mors,

Aux champs Méoniens favoris de la gloire,
éblouissante a coloré l'ivoire.

La pourpre

Virgile, comme on voit, a employé cette comparaison, mais dans une circonstance différente. Le Tasse, au troisième chant de la Jérusalem, compare la pourpre du sang qui dégoutte des cheveux blonds de Clorinde, à des rubis enchassés dans de l'or. L'Arioste, au vingt-quatrième chant du Roland furieux, assimile la blessure de Zerbinà un ruban de pourpre qui se joue sur une toile d'argent. (Note de l'Éditeur.)

(3) La formule de serment qui précède ici le combat singulier d'Énée et de Turnus, est la même que celle employée par Homère au troisième livre de l'Iliade, Jorsque Pâris et Ménélas engagent un combat à mort; en voici la traduction par M. Aignan:

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O toi qui sur la terre,
Des sommets de l'Ida déchaînes le tonnerre;
Toi, Soleil, qui vois tout de l'empire des airs!
O Fleuves, ô Cybèle, et vous, dieux des Enfers,
Dieux vengeurs du parjure et l'effroi des coupables,
Soyez de nos sermens les témoins redoutables!
Si Pâris est vainqueur, nous désertons ces bords,
En leur abandonnant Hélène et ses trésors;
Mais s'il périt, frappé d'une main vengeresse,
Qu'Hélène reconquise appartienne à la Grèce,
Et qu'un tribut rappelle aux siècles à venir,
D'llion subjugué l'immortel souvenir,' etc.

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(4) C'est le titre que portoient les douze rois d'Étrurie:

chacun d'eux étoit à son tour le chef des autres.

(5) M. Delille a traduit librement cet endroit de Virgile:

Animé par l'espoir, enflammé de colère,

Mes armes! mes chevaux! dit son fier adversaire.
Tout est prêt; sur son char il s'élance soudain,
Élève un front superbe, et les rênes en main
Il presse ses coursiers ; ils volent, le char roule,
Des Troyens dans sa course il écrase la foule:
Ici tombent les morts, là roulent les mourans;
De bataillons entiers il moissonne les rangs,
Désarme les fuyards, s'élance à leur poursuite,
Et de leurs propres traits ensanglante leur fuite.
Tel de l'Ebre glacé quand le terrible dieu,
Frappant son bouclier, farouche, l'œil en feu,
A lancé ses coursiers, précurseurs de la guerre,
Plus prompts que les zéphyrs, plus craints que le tonnierre;
Ils partent, le char vole, et la terre en frémit;

Sous leurs pas foudroyans la Thrace au loin gémit;

De cadavres sanglans la Victoire entourée,

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La Déroute au front pâle, à la marche égarée,
La bouillante Fureur, le Piége insidieux,
Le Meurtre au bras sanglant, et le fer, et les feux,
Du dieu dévastateur sont l'escorte effrayante;
Après lui la Ruine, au-devant l'Épouvante :
Tel s'élance Turnus; de ses coursiers fumans
Ainsi sa main terrible aiguillonne les flancs;
Dans son œil enflammé brille une affreuse joie;
Il presse, atteint, égorge et foule aux pieds sa proie;
Et des rangs enfoncés écrasant les débris,

Des mourans sous les morts il étouffe les cris:
Le sang au loin jaillit sous sa roue embrasée,
Sur le sable rougi pleut l'affreuse rosée,
Et du char dont la course emporte le héros
Le rapide sillon s'en abreuve à grands flots.

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