Ipse oculis ereptus erat: non ocyor illo Addition de l'Éditeur. Homère a employé la même comparaison en parlant d'Hector fuyant devant Achille; mais la belle image du chien qui ouvre la gueule pour saisir sa proie qui lui échappe, n'appartient qu'à Virgile, de qui Ovide et Stace l'ont empruntée dans les passages suivans: Jam jamque tenere Sperat et extento stringit vestigia rostro. (Met. lib. I. ) Jam jamque teneri Credit, et elusos audit concurrere morsus. (Theb. 1. V. ) M. Delille a rendu ainsi les derniers vers de Virgile: Le cerf en cent détours fuit la mort qui s'apprête': Court la gueule béante, et, prêt à le saisir, rang Le cerf vole et se rit de sa fausse victoire; Et la dent, qu'il évite aussi prompt que l'éclair, (13) Le P. de la Rue remarque que Virgile est accusé de manquer d'art dans ce combat de Turnus avec Énée. Celui-ci est couvert d'armes divines; son rival, au con traire, n'a que des armes fragiles qui se brisent comme le verre: cette supposition ne sert point à relever le héros de l'Énéïde. En second lieu, Jupiter blâme Junon d'avoir fait rendre à Turnus son épée, comme si cela étoit contre les lois de l'équité. Enfin Turnus, lorsqu'on lui a rendu son épée, est tellement troublé et hors de lui-même, que, bien loin de s'en servir, il a recours à une pierre qu'il lance contre son rival. Le P. Le Bossu ne manqueroit pas de répondre que le héros de Virgile a mérité ce secours particulier de Jupiter, et qu'il en est plus estimable et plus grand. Une telle réponse n'a pas beaucoup de poids, comme je crois l'avoir démontré dans mes Réflexions sur le Poëme épique. A l'égard de cette masse énorme que douze hommes du temps de Virgile auroient eu peine à soulever, c'est Homère qui le premier a imaginé cette fiction pour relever la force de sou héros. Il faut, aulant qu'on peut, donner aux principaux personnages épiques une grandeur au-dessus de la nature, comme nous l'avons dit. La force du corps étoit autrefois très-vantée, et ce n'étoit pas sans raison. Nous voyons par cet endroit et par beaucoup d'autres, que les pierres servoient beaucoup dans les combats des anciens dans l'Iliade, livre cinquième, Diomède en lance, une coutre Éuée, et le poëte ajoute que deux hommes de son temps n'auroient pu l'ébranler. Comme on suppose que les siècles dégénèrent, Virgile prétend que de son temps douze hommes n'auroient pas été capables de faire ce que faisoit Turuus lui seul. Au vingt-unième livre de l'Iliade, Minerve frappe le dieu Mars d'une pierre qui servoit de borne à un champ. Ajax, au treizième livre des Métamorphoses, se vante d'avoir renversé Hector d'un coup de pierre.. Eminus ingenti resupinum pondere fudi. (14) Cette comparaison se trouve employée dans l'endroit du Télémaque qui offre le dénouement et la fin dé la guerre des alliés contre Adraste, comme c'est ici le dénouement de celle d'Énée contre Turnus. Il y a de la différencé entre ces deux morceaux, parce que le caractère d'Adraste, qui est un scélérat, est différent de celui de Turnus. Mais l'un et l'autre se trouble en com→ battant, l'un et l'autre est renversé, l'un et l'autre demande la vie. Quiconque lit ces ouvrages avec attention, saisit avec plaisir ces rapports et ces ressemblances. Le Tasse, au vingtième chant de la Jérusalem délivrée, a imité ainsi Virgile :.. Come vede talor torbidi sogni· Ne' brevi sonni suoi l'egro o l'insano : ' (Note de l'Éditeur.) (15) Ainsi, au vingt-deuxième livre de l'Iliade, Hector expirant supplie Achille au nom de son père, et le conjure de ne pas lui dérober les honneurs de la sépulture. Mais Achille ne se laisse pas attendrir un seul moment; dans le fils de Priam il ne voit plus que le meurtrier de Patrocle, et, transporté de rage, il s'écrie qu'il voudroit lui-même disputer ses restes aux corbeaux et aux chiens auxquels cette pâture est promise: il ne se borne point à cette insulte, il traîne encore le cadavre d'Hector autour du bûcher de Patrocle. Virgile s'est bien gardé de présenter à ses lecteurs des tableaux aussi révoltans : Turnus implore son vainqueur avec une dignité qui iutéresse; il rappelle la mémoire d'Anchise, et ne semble solliciter la pitié de son rival que pour épargner des regrets à son vieux père Daunus. Au souvenir d'Anchise, Énée déjà s'est attendri ; et, malgré la juste défiance qu'il doit avoir des promesses du vaincu, il est près de lui pardonner : il le feroit sans ce funeste baudrier, qui, en lui rappelant la mort de son cher Pallas, lui rappelle aussi l'orgueil insultant de son vainqueur, et la barbarie avec laquelle il a foulé aux pieds son cadavre. Dès-lors, il ne peut plus voir en lui qu'un objet odieux, indigne de tout ménagement et de toute compassion. Ce n'est plus Énée, c'est le fils d'Évandre qui immole Turnus, dont l'existence d'ailleurs ne peut plus s'accorder avec les intérêts de son rival et la tranquillité de l'empire Latiu. Cette conduite, contraire aux idées reçues parmi nous, étoit probablement dans les mœurs des anciens, accoutumés à ne voir la paix que dans la mort de leur ennemi; et il est à croire que Virgile n'auroit pas ainsi démenti le caractère de son héros par un acte de rigueur qui paroîtroit inutile et saus motif. (Note de l'Éditeur.) FIN |