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cette magnifique forme musicale qui a nom sonate, et qui est celle de toutes les grandes œuvres, depuis la simple sonate de piano jusqu'à la symphonie. Elle a cela de particulièrement fécond que chaque partie peut en être détachée pour servir de cadre à des œuvres étendues, de telle sorte que l'andante, le scherzo, le rondo, développés séparément, constitueront des œuvres où le compositeur saura déployer les ressources les plus variées. Voyons ce que Heller a réalisé, en traitant la sonate et ses dérivés.

La première sonate (op. 9), écrite dans un style très-tendu et qui ne nous paraît pas suffisamment mélodique, n'a été publiée qu'en Allemagne, à Leipsig; lorsqu'il la composa, l'auteur l'envoya morceau par morceau à Schumann. Tout en y reconnaissant les germes d'un vrai talent, l'illustre compositeur-critique fit ses réserves sur cette œuvre, dont il publia, du reste, l'analyse dans son journal.

La sonate op. 65 est écrite d'une main très-sûre. Le style est ferme et serré, tout est élevé dans cette œuvre. Mais les mélodies ne sont pas suffisamment pénétrantes ni variées. Dans le premier morceau, le motif est plutôt une formule qu'un chant, formule à laquelle l'auteur reste fidèle jusqu'à la fin. Les développements sont d'une rare sagacité ; mais le style est haletant et le caractère général trop sombre. La ballade qui sert d'andante rentre dans le même ordre d'idées; l'intermezzo ne s'en éloigne pas non plus; on retrouve dans le trio la formule même qui détermine le premier morceau de la sonate. Le meilleur morceau nous semble l'épilogue, qui se distingue par des qualités énergiques. Telle est notre impression au sujet de cette œuvre, remarquable à plus d'un titre, mais dont le défaut capital nous paraît être une trop grande uniformité de style.

La troisième sonate (op. 88) est moins serrée de style, moins développée; mais il se dégage de toutes ses parties un charme pénétrant, qui nous fait dire que c'est là une des meilleures inspirations de Heller. Le premier morceau est extrêmement mélodique; l'auteur y a introduit un développement qui ne trouve en général sa place que dans le concerto; c'est une sorte de cadence qui prépare la conclusion. Mais ce procédé est employé avec tant de discrétion qu'il ne change pas le caractère du morceau. Le scherzo oscille entre un rhythme à trois temps qui a quelque affinité avec celui de la tarentelle et un rhythme à trois temps plus accentué. L'effet produit est charmant. L'allegretto, très-sobre de développements, est d'un caractère mélancolique plein de poésie. Le final, très-court, brille par la gaieté et l'entrain. Ces différences de teinte entre les diverses parties de la sonate produisent un heureux effet et soutiennent jusqu'au bout l'attention.

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Heller a publié quatre scherzi. Le premier (op. 8), dédié à Robert Schumann, est un morceau écrit avec soin et pureté, qui indique des tendances élevées, révèle un compositeur d'avenir, mais qui est inférieur aux œuvres de même nature qui lui ont succédé.

L'œuvre 24, dédiée à Liszt, est pleine de fraîcheur, de jeunesse, d'originalité. C'est bien là une œuvre écrite au printemps de la vie, où tout est lumineux et souriant. Le scherzo fantastique (op. 57) appartient à un ordre d'idées plus troublé. C'est là une œuvre qui ne dément pas son titre. Heller a trouvé des accents d'une extrême originalité. Toute la première partie se distingue par une science des rhythmes peu commune et des oppositions de nuance saisissantes. La partie intermédiaire est tout à fait étrange; en étudiant l'ensemble du morceau, on se

prend à regretter qu'il n'ait pas été écrit pour l'orchestre. Il y a là matière à une remarquable transcription orchestrale.

Le quatrième scherzo (op. 108) est exclusivement du domaine du piano. C'est une œuvre aimable qui peut rivaliser avec les bonnes inspirations de Chopin en ce genre.

Nous arrivons à des compositions qui doivent être signalées d'une façon toute spéciale: nous voulons parler des grands caprices, pièces d'une facture qui n'a pas de précédent. Dans ces remarquables productions, Heller se révèle avec des qualités qui lui sont particulières, une originalité qui est bien à lui, des procédés qu'il ne doit à personne.

Le caprice op. 27 débute par une admirable introduction du caractère le plus élevé et le plus grandiose. Le presto est étourdissant de verve, et, quoique le caractère mélodique ne soit pas extrêmement saillant, les développements sont si ingénieux, les effets si piquants et si inattendus, que l'intérêt ne languit pas un seul instant.

Le Caprice symphonique (op. 28) est conçu sur un plan trèsétendu. Les traits sont brillants, les chants d'une distinction extrême, les développements sont conduits avec une habileté qui n'exclut jamais l'inspiration. Ce long morceau se termine en majeur par un beau chant à la Mendelssohn, qui s'épanouit dans une coda éblouissante. Au temps où Charles Hallé joua en public ce beau morceau, l'éducation musicale du public ne le mettait pas encore à même d'en saisir toute la valeur.

Le Presto capriccioso (op. 64) est presque aussi développé, mais dans un genre totalement différent. Rien de plus ingénieux que ce charmant morceau qui fourmille de chants suaves, de traits délicats, d'inspirations poétiques. C'est une merveille

d'un bout à l'autre.

Le Caprice humoristique (op. 112) est moins longuement traité. Le mezzo canto est un peu décousu; mais la première partie, reproduite à la fin avec de légers changements, est pétillante d'esprit et d'imprévu.

La Fantaisie pour piano (op. 54) est une œuvre vigoureuse, énergique, une très-belle inspiration. Elle se termine par une coda d'un grand éclat. Nous aimons moins la Fantaisie caprice (op. 113), qui n'a pas la même fermeté et, malgré des passages intéressants, est loin de produire le même effet.

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Le musicien qui a écrit la sonate op. 88, le scherzo fantastique, les quatre caprices et la fantaisie op. 54 était évidemment doué par la nature pour écrire des œuvres de longue haleine et des œuvres symphoniques. Comment a-t-il été conduit à choisir le plus souvent, pour contenir sa pensée, de petits cadres ? Pourquoi est-il devenu un admirable peintre de chevalet, quand il aurait pu faire de la grande peinture et s'inscrire au rang de ces grands maîtres qui n'ont jamais trouvé de limites assez vastes pour contenir leur génie ?-Ne serait-ce pas là une douloureuse histoire à raconter, celle de bien des artistes rebutés par les difficultés de la vie, réduits à la presque impossibilité de se faire connaître et applaudir, s'ils veulent dépasser un certain horizon et s'ils n'ont pas l'énergie suffisante pour affronter la lutte ?

VII

« Le caractère de Stephen Heller, dit M. Fétis, le porte à la rêverie; ami de la solitude, il évite le contact pernicieux de la

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vulgarité qu'on s'expose à coudoyer, aussi bien dans le salon que dans la rue. Il vit avec sa pensée, avec les poëtes ses amis de tous les jours; il travaille à ses heures et quand l'idée le presse. Ses rêves ne sont pas toujours mélancoliques, comme paraissent le faire croire l'extérieur de sa personne et sa conversation. Rien ne prouve mieux la variété de ses impressions que la nature très-diverse des morceaux qu'il a composés. Il peint aussi bien l'entrain du scherzo, de la chasse, de la valse que la douce joie pastorale, la désinvolture élégante des arabesques, la pétulance de la tarentelle; la passion ardente à côté de la passion sereine, la fraîcheur du matin et le calme du soir, partout la libre fantaisie. »

Heller a composé un grand nombre de valses; dans les cinq premières œuvres (42, 43, 44, 59, 62), on sent l'influence de Chopin: coupe et développements analogues, même distinction dans la forme, même poésie dans la pensée. Ces cinq valses seraient signées Chopin que personne n'y contredirait; elles iraient aux nues et on les proclamerait des chefs-d'œuvre. Sans accorder cette qualification ambitieuse à un genre de pièce qui n'a jamais eu la prétention de s'élever au sublime, nous dirons que les valses de Heller peuvent soutenir la comparaison avec celles du maître polonais; le seul reproche qu'on puisse leur faire, si toutefois c'en est un, c'est de trop rappeler un modèle représenté comme inimitable.

Les deux valses (op. 95) dédiées à M. Antonin Marmontel, décèlent un caractère plus personnel, en même temps qu'une tendance plus mélancolique. Ce double caractère s'accentue encore davantage dans les valses-rêveries (op. 122), qui sont au nombre de neuf. Ce sont des pièces très-courtes, toutes de sentiment, qui n'ont rien de commun avec la valse que

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