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XII

Dans le prélude encore, Heller a été vraiment novateur. Præ-ludium, morceau qui se joue avant un autre. Autrefois toute fugue était précédée de son prélude. Tantôt le prélude avait une forme vague, comme dans certaines pièces de Hændel; le plus souvent, comme chez Bach, il avait une forme très-serrée; c'était presque une fugue, ou tout au moins un morceau traité en imitation ou en canon.

Plus tard il fut admis qu'avant de jouer un solo, le pianiste devait laisser courir un instant ses doigts sur le piano et, pendant quelques secondes, préparer l'auditeur à l'audition du morceau. Quelques auteurs, Clémenti, Czerny, etc., ont vu là une matière à codifier, à réglementer, et écrivirent des préludes dans tous les tons. C'était là le résultat d'une erreur, puisqu'un prélude dans un ton donné ne s'applique pas nécessairement au caractère d'un morceau écrit dans ce ton.

Les admirables préludes de Chopin échappent à ce système. Mais tous ne sont pas de vrais préludes; les uns sont des études, des pièces complètes; les autres des embryons de morceau, des cartons dont il a profité dans la suite, et dont il a tiré des œuvres plus étendues, qu'il serait facile de désigner.

Heller a fait du prélude un petit morceau court, complet néanmoins dans toutes ses parties, se suffisant à lui-même; il a créé un genre. Citons ses Arabesques (op. 49), sa première tentative dans cette voie; ses Préludes (op. 79) déjà en progrès sur l'œuvre précédente; enfin, les préludes op. 81, recueil vrai

ment admirable où tout serait à mentionner. Les pièces intitulées: Chanson de mai, Rêverie, Feu follet, Arabesque, Berceuse, Sonnet, sont de petits chefs-d'œuvre, de goût et de sentiment.

Dans les trois remarquables préludes op. 117, dédiés à M. Niels Gade, Heller a cru devoir s'écarter de la forme habituelle qu'il a adoptée. Ces pièces sont plus développées, et peut-être le titre d'étude leur aurait-il mieux convenu que celui de prélude.

Op. 119, Préludes à mademoiselle Lili.-Ici, nous tombons dans l'excès contraire. Ils sont trente-deux en trente-quatre pages. C'est de l'imperceptible comme proportion, et pourtant comme cela est charmant de pensée, délicat de forme, plein d'invention! Mais combien peu comprendront ce qu'il y a d'art et de véritable poésie dans toutes ces petites pages si finement écrites, et combien, même parmi les admirateurs sincères de Heller, préfèreront les œuvres 49, 79 et 81, moins raffinées, plus corsées et plus vigoureuses!

XIII

Heller a écrit plus de deux cents études de piano. C'est un des maîtres les plus féconds en ce genre. Disons cependant que les études de Heller ne ressemblent en rien aux compositions qui portent généralement ce titre; il n'a pas voulu faire des études utilitaires, propres à déraciner certains défauts inhérents à tous les élèves, et à leur donner de l'agilité, du mécanisme. Il n'a

pas voulu, non plus, faire de ces grandes études dont Chopin a posé le dernier modèle. Il a écrit de petits poëmes lyriques, sans penser un instant à quelque but d'école; il a voulu faire d'agréables morceaux, ne rejetant aucun rhythme, aucune harmonie, s'astreignant seulement à ne pas dépasser un certain degré de difficulté, simplifiant la forme et évitant tout ce qui n'était pas 'absolument nécessaire à l'expression de sa pensée.

Son point de départ a été l'œuvre 16, l'Art de phraser, vingtquatre études, composées librement sans préoccupation d'éditeur; ces études affectent toutes les formes, surtout celle du lied. On y trouve des préludes, impromptus, chansonnettes, romances, églogues, etc. Quand Heller les joua à Paris, elles ne furent pas suffisamment appréciées. Une amie éclairée des arts, Mme Jenny Mongolfier, qui était la première autorité musicale de Lyon, où elle vit très-âgée et retirée du monde, vit par hasard ces études, publiées chez M. Schlesinger; elles la frappèrent, et elle écrivit à Heller pour s'informer de cet auteur inconnu qui avait fait de si charmantes pièces. Depuis, elle fit,dans les limites de ses moyens, tout ce qu'elle put pour populariser l'ouvrage. Mais elle éprouva des résistances.

Le succès vint cependant, et, avec le succès, les éditeurs. On commanda des études à l'auteur, et c'est ainsi qu'il lui fallut écrire les vingt-cinq études de l'œuvre 45 pour faire introduction à l'œuvre 16; puis l'œuvre 46 pour préparer aux études de l'œuvre 45, et enfin l'œuvre 47 pour servir de prologue à l'œuvre 46. Il lui fallut composer trois ou quatre études par jour, retrancher des passages que l'éditeur toruvait trop savants ou trop difficiles, en ajouter d'autres... Eh bien! ce furent ces études qui, pendant longtemps, eurent le seul, le véritable succès. Heller était cité comme un agréable compositeur d'é

tudes; le reste ne comptait pas. Ces études sont une source de revenu pour les éditeurs, pendant que certaines compositions où Heller a mis toute son âme et tout son talent restent inconnues sur les rayons. Après trente ans, un

professeur de piano du Conservatoire de Vienne (M. Haus Schmit) vient de publier un travail de bénédictin sur toutes les études; il y a ajouté les préludes op. 81 et l'œuvre 138, il a classé les deux cent quatre pièces dont se composent ces recueils, indiqué l'ordre d'après lequel il faut les travailler, en les déclarant indispensables pour l'art du piano moderne.

L'op. 90, Nouvelles études, appartient à un tout autre ordre d'idées que les œuvres 16, 45, 46, 47. Heller ne les a pas faites sur commande. C'est une série de morceaux qui rappellent les Promenades d'un solitaire, dans un ordre d'idées tout à fait élevé. Depuis les premiers qui peignent l'enfant mutin égaré dans les bois, jusqu'aux derniers qui peignent les souffrances de l'âge mur, le côté dramatique de la vie, l'inspiration ne faiblit pas, et, sans l'avoir voulu, Heller a peut-être écrit là une de ses œuvres les plus personnelles et les mieux inspirées.

Op. 125: Vingt-quatre Nouvelles études d'expression. — C'est dans l'ordre d'idées des Préludes à Lili. C'est de l'infiniment petit, du plus charmant et du plus délicat. La dernière pièce : la Leçon de piano, avec l'exercice des cinq doigts et le souvenir de Cramer, est une des plus aimables fantaisies que l'on puisse imaginer.

Heller a écrit des études séparées, op. 96, op. 116. Dans l'étude op. 96 il a, contre ses habitudes, sacrifié à la virtuosité. Des deux études de l'œuvre 116, nous préférons la première, qui déborde de sentiment et de poésie.

XIV

Dans cette rapide analyse de l'œuvre de Heller nous avons dû négliger bien des morceaux. Il en est qu'il serait injuste de passer sous silence, notamment les douze pièces écrites avec le violoniste Ernst, sous le titre de Pensées fugitives, qui sont charmantes. Nous donnons, du reste, à la fin de cette étude, la liste complète des compositions de Heller. Ce catalogue permettra de juger de l'importance du monument et inspirera à plus d'un le vif désir d'en connaître les détails.

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XV

Le troisième style d'un artiste consiste quelquefois dans l'exagération de certains procédés pour lesquels il se passionne.

Dans les premiers temps de sa carrière artistique, Heller a écrit des morceaux assez développés. Il en a même écrit depuis. Il y a aujourd'hui chez lui une tendance à restreindre les proportions de ses œuvres. Il s'est, sans doute, aperçu avec effroi que, pour maintenir l'attention du public pendant toute l'étendue d'un concerto, d'un caprice longuement traité, voire même d'une sonate, il ne fallait pas s'abstraire trop longtemps dans l'idée pure, mais flatter de temps à autre l'oreille en usant des ressources matérielles qui font briller l'instrument, avoir re

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