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AVERTISSEMENT

En 1866, un illustre critique, M. Fétis disait ceci de Stephen Heller:

« A une époque de décadence générale, qui ne peut plus se dissimuler et frappe aujourd'hui tous les yeux, au milieu de ce temps de l'amoindrissement de l'art, inévitable lorsque le sentiment et les convictions morales s'affaissent, il est consolant de rencontrer çà et là quelque âme bien trempée, capable de résister à l'entraînement et de manifester l'énergie de son individualité par le dédain des courants vulgaires et par des productions empreintes de l'originalité de la pensée et de la forme. Soit que cette originalité éclate dans des œuvres de grandes proportions, soit qu'elle se renferme dans un petit cadre, elle a droit à nous intéresser, et ce qu'elle aura produit se placera parmi les monuments de l'histoire de l'art.

« Le courage de M. Stephen Heller à remplir sa mission spéciale mérite d'autant plus d'éloges qu'il ne fut pas d'abord apprécié ce qu'il valait et que, loin d'être découragé par l'oubli où il était laissé, il s'éleva de plus en plus et perfectionna chaque jour, par le travail, le talent que Dieu avait mis en lui.

<< La vraie poésie, sans laquelle il n'y a pas de vie dans l'art, peut se rencontrer dans l'élégie aussi bien que dans le long poëme. Dans l'exi

guïté des dimensions, le grand, le beau, trouvent leur place, parce que l'intelligence ne mesure pas la grandeur ou la beauté à la taille de l'œuvre. Ces qualités sont celles que Stephen Heller fait éclater dans le cadre restreint où il a contraint sa pensée de se renfermer. On ne les lui conteste plus aujourd'hui. Car, si le public prend souvent en défiance un nom inconnu, quel que soit le talent, il accueille avec joie. telui qui a triomphé de toutes les résistances. >>>

Ces lignes, vraies il y a dix ans, le sont plus que jamais, aujourd'hui que Stephen Heller a conquis une juste notoriété, et voilà pourquoi nous mettons en tête de nos Études sur les Artistes contemporains le nom d'un maître pour le talent et le caractère duquel nous ressentons une admiration réelle et une vive sympathie.

STEPHEN HELLER

I

Stephen Heller est né le 15 mai 1815 à Pesth, en Hongrie. Mais son nom, comme le caractère de sa musique, décèlent une origine allemande (1).

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Son père lui fit faire ses études au collège des pères Piaristes; mais, ce qui dominait chez l'enfant était un goût des plus vifs pour la musique. Celui qui guida ses premiers pas dans la carrière artistique n'était pas fait, cependant, pour lui tracer les routes de l'idéal : c'était un basson de la musique d'un régiment d'artillerie, un Bohême, en garnison à Pesth; plus tard, un bon maître le remplaça, M. Franz Brauër. — A l'âge de neuf ans, Heller exécuta avec son maître, au théâtre de Pesth, le concerto de Dusseck pour deux pianos. Quelques années après, les succès qu'il obtint et sa prédilection pour la musique décidèrent son père à céder à ses instances et à celles de quelques amis; il lui laissa la liberté de suivre une carrière vers laquelle l'entraînait une vocation irrésistible; il

(1) Le père et la mère de S. Heller étaient nés en Bohême, près d'Eger. Ses grands parents étaient Autrichiens,

l'envoya à Vienne pour y continuer ses études, sous la direction de Charles Czerny. Mais le célèbre musicien mettait à son enseignement un prix tellement exorbitant, que l'enfant ne put recevoir qu'un petit nombre de leçons de cet excellent maître; il devint élève d'un autre professeur renommé à Vienne, et comme musicien et comme un des amis peu nombreux de Beethoven, qui l'estimait particulièrement, M. Antoine Halm.

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En 1827, le jeune Heller se fit entendre dans des concerts à Vienne et à Pesth: il avait 12 ou 13 ans. Ce fut alors que commença son odyssée, son tour d'Allemagne qui devait le porter un jour à Paris, où, comme Chopin, il fixerait à jamais sa résidence.

Accompagné de son père, qui se chargeait de tous les détails matériels et financiers, l'enfant parcourut la Hongrie, la Pologne, l'Allemagne du nord, en donnant des concerts. Il y avait, à cette époque, une sorte d'engouement pour les enfants prodiges; ils pullulaient. Le jeune Heller avait des doigts agiles, l'aplomb de l'inexpérience; il avait, de plus, une faculté rare, le don de l'improvisation. L'affiche annonçait, qu'à la fin du concert, Stephen Heller improviserait sur des thèmes donnés par l'honorable auditoire, et ces fantaisies libres (freie phantasie), comme on les appelait, charmaient le public.

Que pouvaient être ces élucubrations d'une jeune imagination. à laquelle les œuvres des grands maîtres n'avaient pas servi d'aliment? L'enfant ne connaissait rien de Beethoven, presque rien de Mozart ou d'Haydn, pas un quatuor, pas une symphonie ; peut-être avait-il entendu à Vienne quelques-uns de ces chefs-d'œuvre; mais il n'y avait prêté qu'une oreille distraite ou ennuyée. Son éducation musicale se bornait à savoir

jouer nettement certains concertos de Moschelès, Hummel, Ries et plusieurs variations brillantes, ainsi que des rondeaux de ces mêmes auteurs; des airs variés de Herz, enfin des morceaux de concert de Kalkbrenner.

Si cette existence ne contribua pas à former le goût musical du jeune virtuose, elle ne fut pas stérile à d'autres points de vue. Si elle ne fit pas l'artiste, elle fit l'homme. Le jeune Heller était très-observateur: c'était une nature réfléchie; les impressions se fixaient dans son cerveau et y laissaient une empreinte durable. Lorsque l'artiste se révéla, il n'eut plus qu'à consulter sa mémoire, et, en retrouvant comme dans un casier bien ordonné les souvenirs de sa jeunesse, il n'eut qu'à laisser errer ses doigts sur le piano pour en faire jaillir une foule de mélodies dont les origines lointaines étaient ces premières impressions d'un jeune cœur et d'une intelligence précoce.

Que ne vit-il pas ! que n'entendit-il pas pendant ces trois ou quatre années où, comme le jeune Meister, il fit son apprentissage de la vie dans les coulisses du vaste monde ! Il vit toute sorte d'artistes, les uns reconnus grands dans l'univers entier, les autres grands seulement dans leur village; il vit de doctes professeurs de grandes universités, dont les femmes. et les filles parlaient de Mozart et de Beethoven comme leurs pères parlaient de Grotius et de Puffendorf, ou de Virgile et de Tacite, - et qui jouaient avec délices les variations de Herz et l'Orage de Steibelt.

Tout le monde, en Allemagne, cultivait la musique et se piquait d'être artiste, depuis le souffleur du théâtre de Dessau, qui avait, en Allemand qui se respecte, composé sa part d'oratorios et de symphonies, jusqu'au président de la Cour suprême qui ne dédaignait pas de soupirer un tendre lied. Tous accueil

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