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M. de Laborde faillit de me coûter cher : Buonaparte menaça de me faire sabrer sur les marches de son palais; ce furent ses expressions. Il ordonna la suppression du Mercure et sa réunion à la Décade. Le Journal des Débats, qui avoit osé répéter l'article, fut bientôt après ravi à ses propriétaires.

Au retour du roi, je réclamai auprès du gouvernement la propriété du Mercure, que j'avois acheté de M. de Fontanes pour une somme de 20,000 francs. Je m'étois imaginé que la cause qui avoit fait supprimer cet ouvrage feroit un peu valoir mon bon droit; je me trompai. C'est ainsi qu'ayant eu à répéter une part de mes appointements de ministre, je n'ai pu l'obtenir, par la raison qu'ayant fait le voyage de Gand, je ne m'étois pas rendu à mon poste à Stockholm; c'est ainsi qu'en sortant du ministère, non-seulement on ne m'a pas alloué le traitement de retraite accoutumé, mais encore on m'a supprimé ma pension de ministre d'État. Je rappelle ceci, non pour me plaindre, mais afin

qu'on ne fasse pas à l'avenir porter sur d'autres que moi ces misérables vengeances et ces ignobles économies, si peu d'accord avec la générosité naturelle de nos monarques et la dignité de la couronne.

Un choix des articles du Mercure a été fait par moi: ces articles, réunis à quelques autres articles littéraires tirés du Conservateur et du Journal des Débats, forment la collection renfermée dans ce volume. Les lettres n'ont jamais été si honorables que lorsque, dans le silence du monde subjugué, elles proclamoient des vérités courageuses, et faisoient entendre les accents de la liberté au milieu des cris de la victoire.

Puisque le nom de M. de Fontanes est venu se placer naturellement sous ma plume, qu'il me soit permis de payer ici un nouveau tribut de regret et de douleur à la mémoire de l'excellent homme que la France littéraire pleurera long-temps. Si la Providence me laisse encore quelques jours sur la terre, j'écrirai la vie de mon illustre et généreux

ami. Il annonça au monde ce que, selon lui, je devois devenir; moi, je dirai ce qu'il a été : ses droits auprès de la postérité seront plus que les miens.

sûrs

LITTÉRAIRES.

DE

L'ANGLETERRE ET DES ANGLOIS.

Juin 1800.

Si un instinct sublime n'attachoit pas l'homme à sa patrie, sa condition la plus naturelle sur la terre seroit celle de voyageur. Une certaine inquiétude le pousse sans cesse hors de lui; il veut tout voir, et puis il se plaint quand il a tout vu. J'ai parcouru quelques régions du globe; mais j'avoue que j'ai mieux observé le désert que les hommes, parmi lesquels, après tout, on trouve souvent la solitude.

J'ai peu séjourné chez les Allemands, les Portugais et les Espagnols, mais j'ai vécu assez longtemps avec les Anglois. Comme c'est aujourd'hui le seul peuple qui dispute l'empire aux François, les moindres détails sur lui deviennent intéressants.

Érasme est le plus ancien des voyageurs que je connoisse, qui nous ait parlé des Anglois. Il n'a vu à Londres, sous Henri III, que des Barbares et des huttes enfumées. Long-temps après, Voltaire, qui

avoit besoin d'un parfait philosophe, le plaça parmi les Quakers, sur les bords de la Tamise. Les tavernes de la Grande-Bretagne devinrent le séjour des esprits forts, de la vraie liberté, etc., etc., quoiqu'il soit bien connu que le pays du monde où l'on parle le moins de religion, où on la respecte le plus, où l'on agite le moins de ces questions oiseuses qui troublent les empires, soit l'Angleterre.

Il me semble qu'on doit chercher le secret des mœurs des Anglois dans l'origine de ce peuple. Mélange du sang françois et du sang allemand, il forme la nuance entre ces deux nations. Leur politique, leur religion, leur militaire, leur littérature, leurs arts, leur caractère national, me paroissent placés dans ce milieu; ils semblent réunir, en partie, à la simplicité, au calme, au bon sens, au mauvais goût germanique, l'éclat, la grandeur, l'audace et la vivacité de l'esprit françois.

Inférieurs à nous sous plusieurs rapports, ils nous sont supérieurs en quelques autres, particulièrement en tout ce qui tient au commerce et aux richesses. Ils nous surpassent encore en propreté ; et c'est une chose remarquable, que ce peuple qui paroît si pesant, a, dans ses meubles, ses vêtements, ses manufactures, une élégance qui nous manque. On diroit que l'Anglois met dans le travail des mains la délicatesse que nous mettons dans celui de l'esprit.

Le principal défaut de la nation angloise, c'est l'orgueil, et c'est le défaut de tous les hommes. Il domine à Paris comme à Londres, mais modifié

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