surtout que, dans votre âme, la conscience du bien, vous donnent la récompense méritée! Quels siècles fortunés vous ont vue naître! et quels parens illustres vous donnèrent le jour! Tant que les fleuves auront leur course vers les mers, tant qu'on verra les ombres se projeter sur les montagnes, tant que le pôle fournira leur nourriture aux astres, quelles que soient les terres où le destin m'appelle, sans cesse vivront pour moi votre gloire, votre nom et vos bienfaits. » Il dit, et tend la main droite à son ami Ilionée, la gauche à Sergeste, puis aux autres, au brave Gyas, au valeureux Cloanthe. La reine émue à l'aspect du héros, et touchée de ses infortunes: <«< Fils d'une déesse, dit-elle, quel sort contraire vous poursuit dans de si grands dangers? et quelle puissance vous a jeté sur ces rives barbares? Vous êtes donc cet Énée que, après avoir reçu Anchise dans ses bras, l'auguste Vénus enfanta sur les bords du Simoïs? Je me souviens que Teucer, banni de sa patrie, et cherchant un nouvel empire, vint à Sidon implorer le secours de Belus. Alors Belus, mon père, ravageait l'opu. lente Cypre, et, vainqueur, la tenait sous ses lois. Dès. ce temps, je connus les malheurs de Troie, et votre nom, et les rois de la Grèce. Quoiqu'ennemi des Troyens, Teucer lui-même exaltait leurs exploits, et se disait issu des chefs antiques de Troie. Venez donc, vaillans guerriers, partager nos demeures. Et moi aussi, j'ai trouvé comme vous, dans de longs travaux, la fortune contraire, avant qu'elle ait voulu me fixer enfin sur ces rivages. N'ignorant point le malheur, j'ai appris à secourir les malheureux. » SIC memorat: simul Ænean in regia ducit Nec minus interea sociis ad litora mittit Terga suum, pingues centum cum matribus agnos, AT domus interior regali splendida luxu ENEAS (neque enim patriųs consistere mentem ELLE dit, et conduit Énée dans son palais. Eu même temps, elle ordonne que l'encens fume aux autels des dieux, et qu'on envoie aux Troyens, restés sur le rivage, vingt taureaux, cent porcs pesans dont le dos se hérisse de soies, cent agneaux gras avec leurs mères bêlantes, et les dons aimables de Bacchus qui font naître la joie. CEPENDANT l'intérieur du palais est décoré avec un luxe royal, et le banquet se dispose sous de riches lambris. Là sont étendus de riches tapis de pourpre, où l'art fait admirer son travail; là brillent sur des tables, en nombre immense, des vases d'argent et des coupes d'or où sont gravés les hauts faits des aïeux de Didon longue série de l'histoire de Tyr et de ses rois depuis leur antique origine. ÉNÉE (car l'amour paternel ne laisse point de repos à son cœur) envoie vers ses vaisseaux le diligent Achate, qui portera ces nouvelles au jeune Ascagne, et l'amènera dans les murs de Carthage : toutes les sollicitudes du héros sont pour son cher Ascagne. En même temps, il ordonne qu'on apporte, pour en faire des présens, les richesses arrachées aux ruines de Troie : un manteau où l'aiguille a relevé des figures en or, un voile qu'entoure l'acanthe dorée, don magnifique qu'Hélène avait reçu de Léda, sa mère, qu'elle apporta de Mycènes, et qui parait son sein quand Pergame vit son funeste hyménée. Le héros veut qu'on ajoute à ces ornemens le sceptre que jadis portait Ilioné, la plus âgée des filles de Priam, son collier de perles, et sa couronne où l'or se mêle à l'éclat des pierreries. Empressé d'exécuter ces ordres, Achate suit rapidement le chemin qui conduit au rivage. Ar Cytherea novas artes, nova pectore versat CEPENDANT, Cythérée roule dans son esprit de nouveaux projets et de nouvelles ruses: elle veut que, changeant son air et ses traits, Cupidon vienne à la place du jeune Ascagne, et qu'en offrant les présens d'Énée il embrase les sens de la reine, et la pénètre de tous ses feux car la déesse craint un palais suspect, et les Tyriens au double langage; surtout elle redoute l'implacable Junon, et son inquiétude veille au milieu de la nuit. S'adressant donc au dieu qui porte des ailes : « Mon fils, dit-elle, toi qui seul fais ma force et mon pouvoir suprême, mon fils, toi qui seul méprises les traits dont Jupiter foudroya Typhée, c'est à toi que j'ai recours, et, suppliante, je viens implorer ta puissance. Tu sais comment ton frère Énée est rejeté de rivage en rivage par la haine de l'odieuse Junon. Tu connais ma douleur, et souvent tu l'as partagée. Ton frère est maintenant dans le palais de Didon, retenu par des paroles amies; mais je crains l'hospitalité de Junon qui, dans un moment si favorable, ne restera point oisive, et je songe à la prévenir. Il faut enflammer la reine, afin qu'elle ne change point au gré d'une divinité contraire, et qu'un invincible amour l'attache, comme je suis attachée moi-même aux intérêts d'Énée. Pour l'exécution de ce dessein, connais quelle est ma pensée. Appelé par son père, le jeune Ascagne, si cher à mon amour, se prépare à porter, dans le palais de Carthage, des dons précieux, qu'ont respectés la tempête et les flammes de Troie. Je vais, le livrant au sommeil, l'enlever et le cacher dans un des bois sacrés de Cythère ou d'Idalie, afin qu'il ne puisse ni voir notre stratagème, ni lé rendre vain par sa présence. Toi, pour une nuit seulement, emprunte son image: enfant toi-même, prends les traits de cet enfant; |