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ELLE dit, épand en libation, sur la table, les prémices de la liqueur, effleure la coupe de ses lèvres, et, la présentant à Bitias, le provoque et défie son courage. Le Tyrien intrépide reçoit le vase écumant, s'inonde de ce qu'il contient, et le vide d'un trait. Et tandis que les autres convives suivent son exemple, Iopas, à la longue chevelure, répète, sur la lyre d'or, les chants qui lui furent appris par le grand Atlas: il dit la course errante de Phœbé, et les travaux du Soleil; l'origine des hommes et des animaux; comment se forment la pluie et les feux de l'éther; il chante Arcturus, les Hyades orageuses, le char glacé des deux Ourses. Il raconte comment les soleils de l'hiver hâtent leur course dans l'Océan, et quel obstacle, pendant l'été, rend la nuit paresseuse. Les Tyriens font entendre leurs applaudissemens, et les Troyens y répondent.

CEPENDANT, la malheureuse Didon prolongeait la nuit par divers entretiens, et s'enivrait d'un long amour. Sans cesse elle interroge Énée et sur Priam et sur Hector: tantôt elle veut savoir avec quelles armes était venu le fils de l'Aurore; tantôt quels étaient les noms des coursiers de Diomède; tantôt combien grand était Achille « Mais plutôt, dit-elle, hôte illustre, reprenez dès leur origine les artifices des Grecs, les malheurs des Troyens, et vos propres infortunes; car voilà le septième été qui vous voit errant sur tous les rivages et sur toutes les mers. »

NOTES

DU LIVRE PREMIER.

1. DANS un assez grand nombre d'éditions et de traductions de l'Eneide, ce poëme commence par les vers suivans:

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Ille ego qui quondam gracili modulatus avena
Carmen, et, egressus silvis, vicina coegi

Ut quamvis avido parerent arva colono,

Gratum opus agricolis; at nunc horrentia Martis
Arma virumque cano.....

Moi qui, jadis, sur un léger chalumeau, modulai des airs champêtres; qui depuis, abandonnant les bois, forçai les champs d'obéir aux vœux du laboureur avide, et sus lui plaire par mes leçons : aujourd'hui, suivant les horribles travaux de Mars, je chante les combats, etc. »>

Ces vers ne semblent point appartenir à l'Énéide, dont le début, dans plusieurs anciens manuscrits et dans un assez grand nombre d'éditions, commence plus dignement par: Arma virumque canó. Cependant divers commentateurs ont pensé que le poète avait placé ces quatre vers au commencement de l'Énéide, dans le but de fixer, pour la postérité, le souvenir de ses ouvrages. Le plus ancien biographe de Virgile (Donat) rapporte que Varius et Tucca, amis du poète, chargés par lui et par Auguste de publier l'Énéide, en retranchèrent les quatre premiers vers. D'autres commentateurs ont cru que ces vers étaient l'ouvrage de quelque grammairien du moyen âge, lequel aurait voulu imiter les rhapsodes, qui avaient ajouté à un des poëmes d'Hésiode un début de leur façon. Burmann fait connaître les savans qui ont rejeté les quatre vers. Ovide, Martial et d'autres poètes ont parlé de l'Énéide comme commençant par Arma virumque cano. Je n'ai donc pas cru devoir suivre l'exemple de Heyne, de Delille et de plusieurs autres, qui ont conservé les quatre vers, en présumant que Virgile avait pu vouloir

imiter le début du poëme des Argonautes, attribué à Orphée, et où de précédens ouvrages se trouvent rappelés.

La plupart des anciens éditeurs ont conservé séparément ces vers dans les opuscules du poète latin.

2.- Page 2.

· Qui primus ab oris Italiam, fato profugus, Lavinia venit

Litora.

Quelques critiques ont pensé que primus signifie ici chef, et non le premier, parce qu'Anténor était venu avant Énée fonder une colonie dans la Gaule Cisalpine. Antérieurement encore, les OEnotriens, Évandre et Hercule avaient abordé en Italie. Virgile a voulu dire sans doute que le fils d'Anchise fut le premier Troyen qui aborda dans le Latium. C'est par anticipation que le poète désigne, par Lavinia litora, la contrée où le héros devait bâtir la ville de Lavinie. Le Latium, où le vieux roi Janus avait reçu Sa·turne, chassé du ciel, s'étendait depuis le Tibre jusqu'au Vulturne. Dans les temps héroïques, les royaumes et les républiques se composaient d'un petit territoire ou de l'enceinte d'une ville.

3.

Page 2.

.....Sævæ memorém Junonis ob iram.

Cette colère qui se souvient est une beauté hardie qui ne peut passer dans notre langue. Tite-Live dit qu'Appius perdit la vue memori deorum ira.

4.— Page 2. Musa, mihi causas memora.

Boileau a tort de dire, dans son Art poétique, que Virgile,

Pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.

Virgile promet les aventures d'un héros législateur et guerrier, long-temps errant sur la terre et les mers, poursuivi par les dieux, vi Superum; livrant des combats, donnant à l'Italie et ses dieux et ses lois, et jetant les fondemens de l'empire romain. Eh! quoi de plus grand pouvait-il promettre? Il fallait donc louer Virgile, non du peu qu'il promet, mais des grandes choses promises par lui avec simplicité. « Il mériterait, au contraire, dit avec raison l'ingénieux et savant auteur des Études sur Virgile, le reproche de témérité pour des promesses qui surpassent tout ce qu'Homère a pu tenir en deux immortelles épopées.

"

Le Tasse, Camoëns et Voltaire, ont imité le début de l'Enéide; Milton et Klopstock ont pris pour modèle celui de l'Iliade.

Virgile trace, dans l'exposition, le plan des deux parties de son poëme. La matière des six premiers chants, contenant les voyages du héros jusqu'à son arrivée en Italie, est indiquée par ces vers: ...Multum ille et terris jactatus et alto,

Vi Superum, sævæ memorem Junonis ob iram.

Le sujet des six derniers chants, où le poète doit dire les combats, chanter le roi législateur et le berceau de l'empire du monde, est compris dans ces vers:

Multa quoque et bello passus, dum conderet urbem,
Inferretque deos Latio : genus unde Latinum,

Albanique patres, atque altæ mœnia Romæ.

5.- Page 2.

Tantæne animis cœlestibus iræ!

On voit ici les progrès déjà faits par la philosophie, dans le siècle d'Auguste. Virgile accuse les dieux de se livrer à des passions coupables: Homère se contente de les montrer injustes et cruels; mais il n'a garde de les accuser. « Il trouvait tout simple, dit Delille, que les dieux eussent des passions, et il en avait besoin pour la marche de son poëme. Des dieux impassibles ne sont point épiques; ils peuvent être imposans, mais non intéressans. Ce n'est qu'en les rabaissant jusqu'à lui, que l'homme s'élève jusqu'à eux. Les prophètes même donnent au vrai dieu la colère et la vengeance. Peut-être Virgile aurait-il dû profiter des avantages de ce merveilleux sans en faire sentir le ridicule et l'inconséquence. »

Boileau a imité Virgile dans ce vers du Lutrin (chant rer,

Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots!

Et Delille, imitant Boileau, a dit:

Tant de fiel entre-t-il dans les âmes des dieux !

ง.

12):

Mais ces mots, tant de fiel, sont loin d'avoir l'énergie et la noblesse de tantæ iræ. Gaston a cru se montrer plus fidèle au texte, en disant :

Eh quoi! les dieux aussi connaissent donc la haine!

Mais la haine peut être sans emportement et sans crime: elle

est vertu contre le vice. Mais Virgile donne aux dieux des haines violentes et criminelles : Tantæne animis cœlestibus iræ!

6.- Page 2. Urbs antiqua fuit.

Carthage, détruite par Scipion l'Africain, l'an 608 de la fondation de Rome, c'est-à-dire près d'un siècle et demi avant l'époque où Virgile écrivit l'Énéide. Carthage était moins éloignée de l'extrémité méridionale de l'Italie, qu'elle ne l'était de l'embouchure du Tibre. Cette ville n'est appelée antiqua, par le poète, que parce qu'il s'était écoulé huit siècles depuis sa fondation.

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C'est aussi à Carthage qu'Ovide place les armes et le char de Junon. Il fait dire à la déesse elle-même :

Poeniteat, quod non foveo Carthaginis arces;

Quum mea sint illo currus et arma loco.

(Fastorum lib. vI, V. 45.)

Les anciens donnaient à Junon deux chars, l'un attelé de deux paons, l'autre de deux coursiers; le premier pour traverser les airs, le second pour.combattre au milieu des mortels. Quelques commentateurs se sont avisés de rechercher lequel des deux chars était conservé dans Carthage in tenui labor. Il suffisait de voir qu'en joignant les armes et le char, le poète désignait le char de guerre.

Junon avait son temple le plus célèbre dans l'île de Samos (HÉch. 60). Argos, Sparte, Mycènes, lui avaient aussi

liv.

III,

RODOTE,
élevé des autels.

8.- Page 4. Judicium Paridis, spretæque injuria formæ,
Et genus invisum, et rapti Ganymedis honores.

Junon et Pallas, qui avaient d'abord protégé Troie, voulurent la détruire après le jugement de Pâris. Ovide fait dire à Junon, dans les Fastes (liv. vi, v. 43):

Causa duplex iræ : rapto Ganymede dolebam;

Forma quoque Idæo judice victa mea est.

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