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9.- Page 4. Errabant acti fatis maria omnia circum.

Virgile représente les Troyens poursuivis par les destins, errant depuis sept ans sur toutes les mers (maria omnia), toujours écartés par les destins des bords de l'Italie; et, six vers plus bas, Junon se plaint des destins, qui l'empêchent d'écarter les Troyens de l'Italie :

Nec posse Italia Teucrorum avertere regem!
Quippe vetor fatis.

C'est une contradiction. Le poète a-t-il voulu dire que les destins, après avoir servi pendant sept ans la colère de Junon, cesseraient enfin de lui prêter leur appui? Mais c'est ce qu'il fallait exprimer.

Le destin était plus puissant que les dieux. Jupiter lui-même pouvait dire vetor fatis: ainsi, dès les premiers temps du monde, le roi des dieux et des hommes pouvait moins que ce qu'il voulait, et l'autorité suprême avait ses limites.

10. — Page 4. Tantæ molis erat Romanam condere gentem!

Vers remarquable par son harmonie, par sa noblesse, et qui annonce la grandeur du sujet.

11. Page 4. Unius ob noxam et furias Ajacis Oilei!

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Quintus Calaber (chant xxiv, v. 420 et suiv.) raconte avec de longs détails la triste fin du fils d'Oïlée.

12.- Page 6. Ast ego, quæ divum incedo regina; Jovisque

Et soror et conjux.

Si, au lieu d'incedo regina, le poète eût dit sum regina, la pensée était la même, mais l'image de la majesté divine eût disparu. Properce a dit aussi :

.Incedit vel Jove digna soror.

(Eleg. lib. 11, eleg. 2, v. 6.)

Racine a senti la beauté de l'expression de Virgile, lorsqu'il fait lire à Mathan, dans Athalie.

Je ceignis la tiare, et marchai son égal.

Le poete français semble avoir encore imité ce passage dans Britannicus, où Agrippine dit à Burrus:

Moi fille, femme, sœur et mère de vos maîtres.

On peut opposer avec quelque avantage la traduction du discours de Junon par Ségrais à celle de Delille. Ces mots, unius sont rendus ainsi par ce dernier:

ob noxam,

Soldats, chefs, matelots, tout périt sous ses yeux :
Pourquoi? Pour quelques torts d'un jeune furieux.

Il y a plus de précision dans ce vers de Ségrais :

Pour la faute d'un seul, perdre mille vaisseaux !

Virgile avait imité Homère (Iliade, liv. xv111, v. 360); Boileau a imité Virgile. La Discorde se plaint, dans le Lutrin (chant 1, v. 45), comme le fait Junon dans l'Énéide:

Quoi! dit-elle, d'un ton qui fit trembler les vitres,

J'aurai pu jusqu'ici brouiller tous les chapitres,

Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins!
J'aurai fait soutenir un siège aux Augustins!

Et cette église seule, à mes ordres rebelle,

Nourrira dans son sein une paix éternelle !
Suis-je donc la Discorde ? et, parmi les mortels,
Qui voudra désormais encenser mes autels?

13. Page 6. .....

Et quisquam numen Junonis adoret?

Ovide a imité Virgile dans le liv. 111 des Amours (élég. 3, v.

Et quisquam pia tura focis imponere curat?

33):

Le commentateur Lacerda, et Rollin, dans son Traité des Études, ont savamment analysé le discours de Junon.

14. - Page 6.

.Hic vasto rex Æolus antro

Luctantes ventos tempestatesque sonoras
Imperio premit.

La plupart des traducteurs ont mal saisi le sens de Virgile, en représentant Éole régnant au fond d'une vaste caverne, et en même temps assis sur le haut d'un rocher (voyez BINET, DE GUERLE, etc.). Les vents sont seuls emprisonnés dans les flancs de la montagne, et Virgile n'enferme point Éole avec ses prisonniers : Celsa sedet

Eolus arce.

Virgile, en imitant Homère, le surpasse quelquefois. Éole est représenté dans l'Odyssée (liv. x) tenant les vents renfermés dans une outre. M. Tissot remarque avec raison qu'Horace offense le bon sens par cette puérile invention. « Virgile, en corrigeant son maître, a rendu la fiction presque aussi croyable que la vérité. » Valerius Flaccus a employé la même allégorie; mais combien il est inférieur à Virgile!

Les îles Éoliennes, aujourd'hui îles de Lipari, sont au nombre de sept, et voisines de la Sicile. Les anciens les appelaient Vulcaniæ et Ephæstiades.

Virgile a peint le bruit terrible des antres d'Éole, dans ce vers fameux :

Luctantes ventos, tempestatesque sonoras.

C'est la répétition de la lettre t qui produit ici l'harmonie imitative. 15.- Page 6. Illi indignantes magno cum murmure montis Circum claustra fremunt.

Lucrèce avait dit: Speluncas

Venti quum, tempestate coorta,

Complerunt, magno indignantur murmure clausi.

(Lib. vi, v. 195.)

Le même poète avait dit aussi (liv. 1, v. · 279): Corpora cœca,

Quæ mare, quæ terras, quæ denique nubila cœli

Verrunt, ac subito vexantia turbine raptant.

Les poètes de l'antiquité sont pleins de ces imitations, qui passeraient aujourd'hui pour des larcins et des plagiats.

16. — Page 6. Ad quem tum Juno supplex.

Junon suppliante offre un contraste singulier, mais naturel, avec la protection qu'elle promet à un dieu subalterne. Combien de fois n'a-t-on pas vu de grands personnages supplier avec hauteur un chef de bureau dont ils avaient besoin?

En promettant à Éole de beaux enfans, Junon semble faire allusion à Sisyphe, qui était déjà fils d'Éole, et devait peu flatter son orgueil paternel.

17.- Page 8. Extemplo Æneæ solvuntur frigore membra.

C'est la première fois que Virgile nomme Énée, et il le peint

tremblant comme une femme, dès que commence la tempête. Voilà le successeur d'Hector découragé : il regrette de n'avoir pas trouvé la mort dans les champs de Troie. On a beaucoup reproché au poète les frayeurs de son héros. « Pleurant au lieu d'agir, il ressemble trop à Octave, caché sur la flotte d'Agrippa pendant la bataille d'Actium. » ( Études sur Virgile, t. 1, p. 38.)

Mais le professeur Binet prétend qu'il n'est point ici question d'une frayeur láche et pusillanime, et qu'Enée éprouve un saisissement qui n'est point celui de la crainte ; car, dit-il, il gémit, mais il ne pleure pas. Le soupir qui lui échappe est d'un noble déses~ poir: il est glacé, non de crainte, mais d'horreur.

Ce raisonnement est à peu près celui de tous les commentateurs de Virgile : « Que je plains, dit Gaston, celui qui le premier a osé accuser de lâcheté un guerrier qui gémit de mourir sans gloire, un prince religieux qui n'espère pas même obtenir les honneurs funèbres! >>

Les anciens croyaient que le corps d'un naufragé était à jamais privé de sépulture, et cette croyance dut nuire long-temps aux progrès de la navigation. On voit par la pompe funèbre de Misène, au livre vi de l'Eneide, et par la prière de Palinure, toute l'importance que l'antiquité païenne attachait, sous les rapports de la vie future, à l'inhumation des corps dans les tombeaux.

On a dit encore, pour justifier Virgile, qu'Homère a représenté Achille lui-même saisi d'horreur en voyant le Xanthe enfler et soulever ses ondes; qu'Homère faisait pleurer ses héros; qu'Énée, enviant le sort des guerriers tombés avec honneur devant Troie, et rappelant son combat avec Diomède, faisait assez voir que ce n'était pas la mort qu'il craignait, mais le genre de mort dont il était menacé.

Cependant on ne peut s'empêcher de reconnaître tout ce qu'il y a de vrai dans les réflexions suivantes : « Observons que, lorsque Achille et Ulysse, l'un dans l'Iliade, l'autre dans l'Odyssée, expriment les mêmes sentimens qu'Énée, personne, excepté les dieux, ne peut les voir ou les entendre; leur désespoir, bien autrement motivé que celui d'Énée, n'éclate point devant un peuple qui se croit marqué au sceau du malheur, et dont le courage a besoin de trouver dans ses chefs l'exemple d'une constance à toute épreuve. (Études sur Virgile, t. 1, p. 88.) M. Tissot aurait dû s'arrêter

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là, et ne pas ajouter : « D'ailleurs leur faiblesse, si c'en est une, repose encore sur la crainte de mourir d'une mort obscure, sans tombeau et sans apothéose; » car cette crainte pouvait être aussi celle du héros troyen.

18. Page 10. Saxa vocant Itali, mediis

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quæ

in fluctibus, Aras.

Virgile désigne ici les îles Égates, voisines d'Érix, et qu'on appelait Phorbantia, Hiera et OEgusa (aujourd'hui Maritimo, Levanto et Favagnana ). C'est dans les eaux de ces îles que le consul Lutatius vainquit la flotte carthaginoise, et termina, par un traité, la première guerre punique.

19.

Page 10. Apparent rari nantes in gurgite vasto.

Ce vers, devenu proverbe, est détaché par le poète comme un trait, après la submersion du navire. Delille l'a confondu en le déplaçant, et en terminant par lui le tableau du naufrage :

Alors de toutes parts s'offre un confus amas
D'armes et d'avirons, de voiles et de mâts....
Et quelques malheureux sur un abîme immense.

L'image est affaiblie.

C'est le vers de Virgile qui a fourni au Poussin l'idée de sa fameuse composition du Déluge. Le peintre, comme le poète, ne montre que peu de malheureux luttant sur l'abîme des ondes.

Il n'est point d'épopée où ne se trouve la description d'une tempête. Thomas, en comparant la tempête de Virgile à celles d'Homère, d'Ovide, de Lucain et de Voltaire, dit : « Celle de Virgile est composée avec plus de calme : il a choisi avec art tous les traits de son tableau. Il peint à l'oreille et aux yeux; mais il ne fait point passer jusqu'à l'âme la sensation et le trouble de sa tempête : on admire son talent et l'on reste de sang-froid.

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Tel est aussi le jugement que porte M. Tissot : « Après les exclamations d'Énée, le poète achève sa peinture: on voit, on entend ce qu'il vient de décrire, et cependant il nous laisse froids, ́parce que toute espèce de mouvement dramatique et d'accent des passions manque à la scène. » (Études sur Virgile, t. 1, p. 23.) Si l'accent des passions manque, il y a du moins des effets dramatiques. Ne voit-on pas les Troyens suspendus au sommet des vagues, la mort partout présente, et ce vaisseau du fidèle Oronte,

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