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qui tourne trois fois sur lui-même, et disparaît englouti dans les flots; et ces malheureux, qu'on aperçoit luttant sur le gouffre immense? Virgile ne se borne point à peindre à l'oreille et aux yeux, et il y a bien quelques émotions dans ces grandes images. Mais si Homère est plus dramatique, Ovide plus touchant, aucune tempête n'égale celle de Virgile en rapidité, en mouvement, en vérité effrayante, en images variées. L'exagération de Lucain touche au ridicule : il fait passer la mer de Tyrrhène dans la mer Égée, et la mer Adriatique dans la mer d'Ionie. Les sommets des montagnes sont abattus, les planètes ébranlées, et les étoiles fixes près de se détacher.

20.- Page 12.

.Graviter commotus, et alto

Prospiciens, summa placidum caput extulit unda.

La plupart des traducteurs de l'Énéide n'ont pas fait attention que alto prospiciens ne pouvait signifier ici il regarde, il porte en haut ses regards (voyez les quatre professeurs, BINET, etc.). Neptune n'a pas encore élevé sa tête au dessus des eaux. Prospiciens veut dire également qui regarde devant soi, qui a la prescience, qui prévoit. Ce mot est employé dans ce dernier sens par Térence, par Cicéron, par d'autres auteurs latins. La prescience est un des attributs de la divinité, et Virgile la donne à Neptune. Il connaît avant de voir (sensit), que son empire est troublé par la tempête, contre sa volonté; il est vivement ému (graviter commotus); il prévoit ce qui peut arriver (alto prospiciens); il élève la tête au dessus des flots (caput extulit unda); il voit (videt): voilà la progression et le sens, tels qu'ils sont dans Virgile et tels qu'il faut les conserver. Le plus ancien commentateur de ce poète, Servius, explique le mot alto prospiciens par mari providens. Heyne veut, sans raison, que alto signifie ex fundo maris; mais quelle serait donc cette image de Neptune regardant du fond de la mer, lorsque immédiatement il élève sa tête au dessus des flots (caput extulit unda), pour voir ce qui se passe, et qu'il voit la flotte d'Énée dispersée :

Disjectam Æneæ toto videt æquore classem.

Ces mots, graviter commotus et placidum caput, paraîtraient contradictoires, si la colère des dieux devait ressembler à celle des mortels. Quand l'Apollon du Belvédère va percer le serpent

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Python, le dieu est irrité, mais son front tranquille n'a rien perdu de sa grâce et de sa majesté.

21. — Page 12. Tantane vos generis tenuit fiducia vestri?

Neptune semble reprocher aux vents l'obscurité de leur origine, que les poètes et les mythes anciens ne font pas bien connaître. 22. — Page 12. Quos ego.... Sed motos præstat componere fluctus. Ce vers fameux a été burlesquement travesti par Scarron: Par la mort.... Il n'acheva pas,

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On est d'abord étonné de voir le même dieu qui avait servi les vengeances de Junon contre les Troyens, protéger ici les débris d'un empire qu'il a concouru à détruire lui-même, mais les dieux se piquaient peu de constance dans leurs affections et dans leurs ressentimens. On les voit plus d'une fois changer de parti dans les querelles des mortels; et, suivant Euripide (dans son Hécube), immédiatement après le sac de Troie, Neptune s'était repenti d'avoir renversé de son trident les antiques murailles qu'il avait bâties avec Laomedon.

Les anciens employaient rarement les réticences : ils n'avaient pas comme nous la ressource et l'abus des points. On trouve quelques heureux exemples de cette figure dans Racine et dans Voltaire.

Agrippine dit, dans Britannicus:

Et le même Burrus

Qui depuis..

Rome alors estimait ses vertus.

Aricie, dans Phèdre, dit à Thésée:

.Et vous en laissez vivre

Un.... Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.

Athalie s'écrie, dans sa fureur :

Je devrais sur l'autel où ta main sacrifie

Te.... Du prix que l'on m'offre il faut me contenter.

Dans la Henriade, le poète parle ainsi de Biron :
Qui depuis.... Mais alors il était vertueux.

23.

- Page 14. Ac, veluti magno in populo quum sæpe coorta est
Seditio.

Comparaison justement admirée, qui plaît par sa vérité, et comme tirée de la vie humaine : elle rappelle le sage et courageux Molé, arrêtant par sa seule présence les fureurs de la sédition. Rosset a traduit cette comparaison dans le sixième chant de son poëme de l'Agriculture:

On se tait, on écoute, et ses discours vainqueurs
Commandent aux esprits et subjuguent les cœurs.

Ces vers rendent bien le sens de Virgile; et Delille, désespérant de mieux l'exprimer, ne s'est point fait scrupule de se les approprier avec un léger changement.

On se tait, on écoute, et ses discours vainqueurs
Gouvernent les esprits et subjuguent les cœurs.

24. — Page 14. Est in secessu longo locus : insula portum

Efficit.

Ce vers a beaucoup exercé la sagacité des commentateurs. Un moine, assez bon littérateur, le chartreux D'Argone, qui s'est caché, dans ses Mélanges, sous le nom de Vigneul-Marville, dit : « On aurait bien de la peine à trouver, sur toute cette côte, un endroit qui ressemblât à cette description. Le pays est fort chaud, fort sec et très-peu couvert de bois, et cependant le poète en met un très-épais et très-sombre sur le bord de la mer.... J'ai toujours été choqué de ces deux vers (310, 311):

Classem in convexo nemorum, sub rupe cavata,

Arboribus clausam circum atque horrentibus umbris.

Virgile parle de cette forêt noire, atrum nemus, dont l'ombre était effrayante, horrenti umbra.

Les opinions des savans étaient partagées : les uns pensaient que Virgile avait voulu imiter la description du port qu'on trouve dans l'Iliade (liv. x111), ou celle du port de Phorcyne, à Ithaque (Odyssée, liv. 1x); d'autres prétendaient que Virgile avait voulu décrire le port de Carthagène ou la baie de Naples; d'autres enfin, que le port où Virgile fait entrer Énée, n'avait existé que dans l'imagination du poète, lorsque le docteur Shaw est venu nous apprendre que le port décrit l'auteur de l'Énéide se voyait enpar core à quelque distance de l'ancienne Carthage. M. de Chateau

briand ne doute pas que le docteur anglais n'ait fait cette découverte, et il la rapporte dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, t. 111, p. 182, édit. de 1822.

L'Arvha - Reah, l'Aquilaria des anciens, est à deux lieues à l'est de Seedy-Doude, un peu au sud du promontoire de Mercure.... La montagne située entre le bord de la mer et le village, où il n'y a qu'un demi-mille de distance, est à vingt ou trente pieds au dessus du niveau de la mer, fort artistement taillée, et percée en quelques endroits pour faire entrer l'air dans les voûtes que l'on y a pratiquées. On voit encore dans ces voûtes, à des distances réglées, de grosses colonnes et des arches pour soutenir la montagne. Ce sont ici les carrières dont parle Strabon, d'où les habitans de Carthage, d'Utique et de plusieurs autres villes voisines, pouvaient tirer des pierres pour leurs bâtimens ; et comme le dehors de la montagne est tout couvert d'arbres, que les voûtes qu'on y a faites s'ouvrent du côté de la mer, qu'il y a un grand rocher de chaque côté de cette ouverture, vis-à-vis de laquelle est l'île d'Ægimurus, et que, de plus, on y trouve des sources qui sortent du roc, et des reposoirs pour les travailleurs, on ne saurait presque douter, vu que les circonstances y répondent si exactement, que ce ne soit ici la caverne que Virgile place quelque part dans le golfe, etc.

Mais quelques points de ressemblance qu'il y ait entre la baie de Virgile et celle du docteur Shaw, la description du poète latin ressemble beaucoup plus encore à celle qu'Homère a faite du port de Phorcyne. Voyez la sixième digression de Heyne sur l'opinion du docteur Shaw, adoptée par M. de Chateaubriand. La question reste encore indécise.

25.- Page 16. Et sale tabentes artus in litore ponunt.

Ce vers a fait croire à plusieurs médecins que les anciens connaissaient l'action des parties salines sur le corps humain, et la maladie du scorbut.

26.- Page 16. Suscepitque ignem foliis, atque arida circum

Nutrimenta dedit, rapuitque in fomite flammam.

On trouve dans le Lutrin (chant 111, v. 51) une imitation de

ces vers:

Des veines d'un caillou, qu'il frappe au même instant,

Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant;
Et bientôt, au brasier d'une mèche enflammée,
Montre, à l'aide du soufre, une cire allumée.

27.- Page 16.

.Frugesque receptas

Et torrere parant flammis, et frangere saxo.

Les anciens faisaient sécher le grain avant de le broyer sous la pierre. Pline parle de cet usage, et Virgile dit encore dans les Géorgiques (liv. 1, v. 267):

Nunc torrete igni fruges, nunc frangite saxo.

On ne connaissait point alors le levain qui fait fermenter la farine. Les moulins n'étaient pas encore inventés: on faisait rôtir où sécher le blé dans des vases d'airain. Tant ont été lents les travaux de la civilisation! Voyez GOGUET, Origine des lois, t. 1oo, liv. 11, art. 2.

er

On trouve dans le Moretum, poëme attribué à Virgile, une description curieuse de la boulangerie des Romains.

28.- Page 16.

.......

Aut celsis in puppibus arma Caici.

Plusieurs traducteurs ont cru qu'il s'agissait d'un dépôt d'armes placé sur la poupe de Caïcus. L'abbé Remy, auteur de la traduction des quatre professeurs, dit dans une note: « Les anciens avaient coutume d'arranger, sur la poupe de leurs vaisseaux, leurs armes offensives et défensives. » D'autres interprètes n'ont vu que des armes peintes (aplustra, ornemens de navire); mais les armes étaient peintes à la proue, et non sur la poupe. MM. Mollevaut, de Guerle et Morin ont adopté les armes peintes. Delille a évité la difficulté, en omettant tout ce que Virgile dit du vaisseau d'Anthée, des birèmes phrygiennes, de celles de Capys et de Caïcus. A la place de l'énumération du poète latin, on ne trouve que ce vers : Le vaisseau de Capys ou du fidèle Anthée.

29.

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Page 18. O socii, neque enim ignari sumus ante malorum,
O passi graviora! dabit deus his quoque finem.

Servius dit, dans ses vieux commentaires, que tout ce discours d'Énée est emprunté de Névius (totus hic locus de Navio Belli Punici lib. translatus est). Mais Névius l'avait pris dans l'Odyssée, et, suivant Macrobe (Saturn., liv. v ch. 11), Virgile est en cet endroit plus riche qu'Homère.

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