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L'antique Ausonie, patrie de Saturne, et berceau de l'âge d'or, dont elle conservoit encore la simplicité, un autre climat, un autre gouvernement, une autre religion, d'autres costumes, d'autres mœurs, d'autres armures, rajeunissoient ce que son sujet avoit de trop antique. On ne pouvoit plus que glaner dans la Grèce, il y avoit à moissonner en Italie; cependant, il lui étoit permis de recueillir et de seiner dans son récit tout ce que l'histoire fabuleuse des Grecs offroit de plus intéressant. De plus, les traditions populaires qui unissoient ensemble, par des parentés et des alliances, les familles grecques et latines les plus illustres, constatoient, indépendamment des oracles, les droits d'Énée, les opposoient à ceux du jeune héros d'Ardée, et augmentoient l'intérêt national.

Le Tasse, celui de tous les poëtes épiques

qui, par la disposition de son pian et la grandeur imposante des caractères, s'est le plus rapproché d'Homère, n'a pas négligé de flatter la vanité de ses compatriotes, non-seulement en nommant les premiers auteurs des plus illustres familles d'Italie, mais encore en répandant dans toutes les parties de son poëme les idées de féerie et de chevalerie qui dominoient alors dans ces contrées comme dans le reste de l'Europe. D'ailleurs, la peinture des croisades devoit plus particulièrement intéresser les peuples d'Italie, qui possédoient dans leur capitale le chef suprême de la chrétienté.

Milton n'est point un poëte national; il est le poëte du monde chrétien. C'est dans le jardin d'Éden, que sa Muse religieuse semble avoir planté cet arbre céleste dont les rejetons se sont étendus dans l'univers entier.

Les premiers hommages offerts à l'Être-suprême, la première transgression de la loi divine, le premier châtiment, l'innocence primitive perdue, la race des humains proscrite, la grande perspective de la rédemption future, tout ce qu'il y a pour l'homme d'cspérance et de crainte, de crimes et de vertus, de bonheur et de malheur dans le présent et dans l'avenir, la terre continuellement en commerce avec le ciel : voilà le sublime sujet de Milton, et quel autre peut lui être comparé?

Une qualité non moins indispensable dans l'épopée, c'est la variété. La raison en est simple: l'action, source de l'intérêt et de la curiosité, étant distribuée dans tout le poëme, à de grands intervalles, ne peut attacher autant que celle d'une tragédie resserrée dans un court espace, et marchant avec rapidité

vers le dénouement. C'est à cet inconvénient

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qu'il faut remédier dans le poëme épique par une immense variété d'objets, de scèncs, d'évènemens et de personnages qui entretiennent l'attention et excitent la curiosité. Le Tasse, voyageant avec un de ses amis, et parvenu sur le sommet d'une montagne trèsélevée, d'où se découvroit une vaste campagne, lui disoit : « Vois-tu ces montagnes, >> ces rochers, ces forêts sauvages, ces val>>lons cultivés et fertiles, ces beaux pâtu» rages, ces cascades écumantes, ce fleuve » majestueux, ces ruisseaux limpides, cette » foule de perspectives riches et variées : » voilà mon poëme. »

Ce qui manque le plus à l'auteur de la Henriade, poëme beaucoup trop admiré à sa première apparition, et beaucoup trop décrié depuis, c'est ce charme de la variété. Il

est aisé de voir que lorsque Voltaire écrivit cet ouvrage, il ne connoissoit guères que les livres, Paris et la cour: la morale, la philosophie, la politique, voilà les objets qui reparoissent sans cesse dans son poëme. La nature toute entière se trouve dans les grands poëmes épiques. La poésie d'Homère, de Virgile, de Milton et du Tasse lui-même, avoit été fécondée par de longs voyages et par une grande variété de scènes. L'inconstance naturelle au cœur humain fait qu'il n'aime pas à se reposer long-temps sur les mêmes objets. La peinture de la campagne et des occupations champêtres lui rendent nécessaire le tableau des grands chocs des nations et des grands orages de l'ame; ce trouble et ces agitations lui donnent le besoin de revenir à des idées plus innocentes et plus douces.

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