ページの画像
PDF
ePub

pensiez vous être acquis, songez, s'il vous plaît, à la perte qui m'arrive, si voulez que je sois toujours, Monsieur,

» Votre très humble et très obéissant serviteur,

A Paris, ce 25 aoust 1668.

Réponse.

→ ANGOT. »

« Monsieur,

Le courrier m'a rendu fort fidèlement la satire que vous lui avez confiée pour m'en faire part, aussi bien que la lettre dont il vous a pleu de l'accompagner. Comme j'ay raison croire que ces deux pièces sont du mesme autheur, je vous diray franchement que le soin que vous avez pris de supprimer vostre nom en l'une et de le changer en l'autre n'a pu me les faire méconnoistre. Au contraire, la précaution timide avec laquelle vous produisez les ouvrages que vous avez conçus avec une fureur si déterminée, ne sert qu'à monstrer que vous ne les croyez pas vous-mesmes des productions légitimes, puisque vous ne les traitez que comme on traite les enfans qui naissent des crimes de leurs pères.

»Ne vous imaginez pourtant que, toutes piquantes et injurieuses qu'elles sont, elles m'obligent à vous faire l'honneur d'en avoir du ressentiment, ni que je songe jamais à m'en venger que par le mépris qu'un honneste homme doit faire de ces bagatelles. Je ne saurois estre en cela de l'humeur de quelques autheurs que vous avez irritez par vos satires, et ils me pardonneront si je dis qu'en se donnant la peine d'écrire contre yous, ils l'ont fort malheureusement employée. J'estime qu'ils eussent esté plus prudents, s'ils eussent esté moins sensibles, et s'ils eussent considéré que nous autres autheurs pouvons bien souffrir vos injures, puisque de plus grands princes souffrent vos louanges, et qu'il est encore plus fâcheux d'être loué par un badin que d'être blâmé par un satirique. En tous cas, il se

devroient souvenir que le Parnasse est un païs de liberté, que le plus habile y est toujours exposé à la censure du plus ignorant; que cette maxime y a esté reçue pour plus d'une raison, et qu'enfin, pour montrer que vous ne l'avez pas avancé témérairement dans un discours, vous avez voulu la confirmer par vostre exemple.

» Pour moy, je vous déclare que je ne puis avoir du chagrin contre un homme qui donne la comédie à tout le monde, et vous m'avez fait rire en quelques endroits de si bon cœur que je vous pardonne volontiers celui où vous m'attaquez de si mauvaise grâce. Cet endroit même, ne choquant qu'une vérité de peu d'importance, n'a pu me mettre en mauvaise humeur, et quand j'aurois eu quelque déplaisir de me voir harcelé si mal à propos, il se seroit perdu dans la joie que j'ay euè de vous en-. tendre mentir si plaisamment.

>> Cela fait qu'en lisant ce que vous avez écrit contre les autheurs mes confrères et contre moy, je ne puis que me réjouir de vos extravagances. Je sens, après les avoir lues, que ma rate s'en porte mieux, sans que mon cœur en soit plus malade; et pourquoy aussi voudriez-vous que je fusse fâché contre un bouffon qui ne sauroit choquer qu'en chatouillant, et qui n'a que le secours de bons mots pour rendre de mauvais offices? En vérité, je ne saurois avoir cette complaisance pour vous ni vous donner cet avantage pour moy, que de vous laisser croire un moment que vous avez mérité ma colère, et que la raillerie d'un rimeur profane a pu mettre en désordre la raison d'un philosophe chrétien.

» En cette qualité, je vous prie de croire qu'il n'y a personne qui supporte vos mauvais discours avec plus de patience et de charité que moy, ny qui souhaite davantage que vous le répariez par de bonnes œuvres. A quoy j'ajousteray, sans trop faire le politique, qu'on doit vous permettre, pour l'intérest du public, de passer votre fougue à composer des satires, de peur que l'intempérance de votre génie, prenant un autre cours, ne vous porte à fabriquer de faux contrats ou de fausses

quittances. Si l'on vous défendoit le métier de reprendre les autheurs, il seroit à craindre que vous ne vous rendissiez savant dans l'art de ruiner les citoyens. Si l'on ne vous donnoit la liberté d'être un déterminé satirique, on ne sauroit éviter que vous ne fussiez un dangereux homme d'affaires, et nous serions en peine de faire acheter une corde pour vous punir, au lieu que la berne suffit pour vous châtier.

» Cela étant, je n'ai garde d'entreprendre ce que vous me conseillez, qui est de m'opposer à vos médisances, et d'arrêter votre réputation. J'estime qu'il vaut mieux qu'on lui laisse courir les rues, que si on l'arrestoit en si beau chemin; quand elle sera lasse de courir, elle sera contrainte de s'arrester. J'ay pour vous les mêmes sentimens que pour votre réputation; je tiens qu'il faut vous laisser faire et je ne seray jamais d'avis qu'on vous enferme dans les petites-maisons. Vous pouvez estre de quelque usage dans les plus grandes; vous méritez d'avoir de l'employ à la cour, et si j'en estois creu, le rang que l'Angély a chez le roy seroit le prix des louanges que vous luy avez données.

» Vous voyez comme je songe à vous trouver des récompen→ penses lorsque vous travaillez à me dire des injures, et comme je vous rends des fleurs pour les pierres que vous m'avez jetées. J'avoue néanmoins que ce n'est pas faute de vous faire faveur que vous rendre justice, puisqu'il est constamment vray que vous estes un des plus agréables fous que la France ait jamais produits. Mais à Dieu ne plaise que pour faire des rieurs, je m'érige en maistre ridicule comme vous et les autres badins, vos bons amis. Jouez et boufonnez tant qu'il vous plaira, j'assisteray avec plaisir à la représentation de vos jeux et de vos bouffonneries; mais n'attendez pas que je m'expose à la honte d'ajouter un acteur à votre troupe, ny que je me prive du contentement d'estre le spectateur de vos comédies et de vos farces.

» Vous avez beau me nommer l'ennemi qui m'attaque et m'apprendre qu'il s'appelle D... ou B...; en m'apprenant son

nom, vous m'avez dit justement tout ce qu'il faut que je sache pour le faire mépriser.

>> Comme je ne connois cet autheur que par la qualité de poëte médisant, je ne me sens pas plus offensé de ces mots piquans que je le serois des injures que me diroit un phrénétique. Eh! certes, quand je considère que la phrénésie de la médisance vous est naturelle, que vous ne pouvez rencontrer une rime pour louer ; que votre plume auroit regret d'épargnér vos meilleurs amis, qu'elle a écrit contre tous les hommes en général, et qu'elle leur a préféré les bêtes, il me semble qu'on doit vous excuser sur ce qu'il vous est impossible d'en user autrement. Vous parlez mal, parce que vous n'avez jamais appris à rien dire de bien, et vous ne sauriez vous abstenir de médire non plus que les asnes de braire et les chiens d'aboyer.

» Cependant vous tirez plus de vanité de cette profession publique de japper et de mordre que n'ont jamais fait tous les cyniques de l'antiquité. Vous n'estes pas marry qu'on vous ac couple avec les sycophantes de la Grèce et avec les délateurs de l'Italie. Le nom d'accusateur vous semble le plus beau de tous ceux de la grammaire, et le mestier de censeur est l'unique objet de vostre ambition. Mais, outre que vous estes de si mauvaise humour que vous vous en prenez aux meilleurs escrivains, vous estes encore si difficile à contenter, qu'il s'en faut peù que vous ne trouviez des taches dans le soleil. Pour ce dernier article, je ne trouve nullement estrange qu'un homme qui est si soumis aux influences de la lune cherche des taches dans le soleil. Mais de s'en prendre aux meilleurs autheurs, d'exercer une barbare hostilité dans la république des lettres, de chercher à se rendre célèbre en mettant le feu au temple des Muses, d'imiter ce que font les ennemis publics, les assassins et les pyrates, c'est une entreprise qui ne peut venir que d'un orgueil excessif et d'un chagrin insupportable. Ce procédé tient plus du démoniaque que du poète, et l'on dit de ceux qui font le mestier que vous faites:

Ces impitoyables censeurs

Exercent mille barbaries,

Et choquent toutes les neuf sœurs
Pour obliger les trois Furies.

«En effet, je croy que les Furies vous agitent lorsque vous prétendez que les Muses vous inspirent; et si vous avez quelque part aux faveurs de ces sages et vertueuses filles, il faut nécessairement que ce soit de la même façon que les Satyres (qui ont donné le nom à cette sorte de poésie qui vous est si chère) obtenoient des Nymphes par surprise et par violence ce qu'elles ne leur pouvoient accorder ny par justice ny par amour.

» Et, après tout, de quel droit et de quelle autorité entreprenez-vous de juger souverainement des poèmes héroïques, vous qui n'avez pu vous signaler jusqu'ici que par quelques satires té méraires et malicieuses. Un poëte qui n'a jamais que médit estil juge compétent des ouvrages d'un autre poëte qui ne s'est proposé que de louer les vertus et de célébrer les actions des hommes illustres? Outre qu'il faut estre capable de composer un poëme épique pour estre digne de faire le procès à un au+ theur qui s'est rendu recommandable en ce genre d'écrire, je dis aussi que, pour faire un affront à un autheur du premier ordre, il faut pouvoir lui soustenir, la plume à la main, qu'il a mérité cet outrage en le convainquant de s'estre mal acquitté de son devoir. Un versificateur qui n'est pas dans les bonnes grâces de Calliope n'est pas recevable à se moquer des vers de la Pucelle, et un rimeur qui n'est pas regardé favorablement d'Uranie n'est pas en droit de condamner le David et le Jonas,

» Vous avez creu pourtant pouvoir estre le juge souverain et le censeur infaillible de ces deux ouvrages, et vous voudriez encore me faire croire que par un seul coup de bec vous leur avez donné la mort et les avez précipitez dans le tombeau. Bec d'un oison, comme vous y allez ! Vos coups sont si perçans, qu'ils semblent estre d'un bec de grue. C'est Turnus, sans doute, qui vous a fait le bec pour jetter contre nous ces cris de mauvais augure: car, si Apollon s'estoit mêlé de vous le faire,

[ocr errors]
« 前へ次へ »