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Ninive pénitente (Paris, in-12, chez Charles Angot, rue SaintJacques, au Lion-d'Or), plus célèbre par les critiques de Boileau que par lui-même. Ce poëme, curieux et bizarre, est précédé d'une dédicace à très haut et très puissant prince, monseigneur Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, etc.; elle est signée : DE CORAS, et non Coras, ce qui prouve que notre auteur tenoit à sa noblesse.

« Je say bien, Monseigneur, dit le poëte dans cette épître, que les gens de ma profession ne s'estudient guère à faire des poèmes épiques; mais je m'assure que vous me ferez l'honneur de croire que mon loisir n'a pas esté tout à fait mal employé en la production de celui-cy, quand vous aurez considéré que toutes les Muses ne sont pas filles d'Apollon; qu'il y a des Muses chrétiennes, que les personnes les plus sacrées peuvent aimer et saisir innocemment ; et qu'au pis-aller, il ne nous doit pas estre défendu d'enrichir la montagne de Sion des dépouilles du Parnasse, puisqu'il fut permis aux Israélites d'employer l'or d'Egypte à l'embellissement des lieux saints, etc. »

Cette épître dédicatoire est suivie d'une préface fort longue, qui s'ouvre par ces paroles: « J'avertis d'abord le lecteur que je donne au public un ouvrage qui a esté veu et corrigé en plusieurs endroits, et, si je l'ose dire, assez apprécié par trois ou quatre des meilleurs esprits de la Cour et de l'Académie. » Voilà une recommandation qui ferait sourire aujourd'hui. Il en seroit de même de la modestie de ces puissans patrons de son livre, qui défend à notre auteur de les nommer au public. Cette vertu-là a bien passé de mode. Malgré la révision de ces beaux esprits, Coras est obligé, sans doute par modestie également, de reconnoître que son livre est fort imparfait de toutes façons. Aussi ajoute-t-il : « Véritablement, si j'attendois de mon mérite un avantage que je ne puis ni ne veux devoir qu'à la bonté de mes lecteurs, je serois coupable d'une extrême ignorance et d'une excessive présomption. Je n'aurois pas appris à connoistre mon siècle, et moins encore à me connoistre moy

mesme; je ne saurois pas que les hommes sont aujourd'huy si subtils et si délicats, qu'ils découvrent des taches dans le soleil, et ne trouvent pas la manne à leur goust.»

Ailleurs, Coras avoue encore qu'il eût condamné son poëme à une prison perpétuelle, si des personnes qu'il ne peut dédire en quoy que ce soit, ne l'eussent tiré de l'obscurité de son cabinet, « par une généreuse imitation de cette puissance et de cette bonté qui firent sortir du ventre de la baleine le prophète qui 'en est le sujet. »

L'auteur explique ensuite qu'il ne donne pas à son ouvrage le titre de poëme héroïque, parce qu'il n'est pas persuadé que le sujet qu'il traite pût en soutenir la dignité. Il l'intitule poëme sacré, parce que ce titre est entendu de tout le monde. Passant immédiatement au contenu du poème, il discute et justifie, chant par chant, ses inventions poétiques. Voici, par exemple, ce qu'il du sixième chant: «Dans ce livre, je fais faire à la baleine qui avoit englouti Jonas un chemin bien long et bien étrange, puisque je luy fais traverser la mer Egée, qu'on nomme aujourd'hui l'Archipelague, franchir l'Hellespont, qui est le détroit de Gallipoli; passer la Propontide et le Bosphore, c'est à dire le canal et le détroit de Constantinople, pour entrer dans la mér Euxine, etc.; mais, si ce chemin est une invention, c'est celle de Josèphe, qui raconte que Jonas fut vomy par la baleine sur les bords du Pont-Euxin; et chacun voit assez qu'en suivant l'autorité de cet historien, que je ne dois pas rejeter, je ́n'ai pu mener le poisson que par le chemin que j'ay marqué...... Quant à ceux qui soutiennent que le poisson qui engloutit Jonas estoit une de ces lamies que Pline décrit en son histoire natu'relle, ils sont plus hardis que moy, qui me suis contenté de l'exprimer par le nom général que l'Ecriture sainte lui a donné; mais, après tout, qui leur a révélé que ce fust une lamie plutôt qu'un de ces affreux poissons d'Islande, lesquels, au rapport de Munster, sont grands comme des montagnes, qui'renversent les navires si on ne les effraie par des trompettes, ou si

on ne leur jette des vaisseaux ronds et vuides pour les amu

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Pour le septième chant de son poëme, Coras s'excuse sur une hardiesse toute différente qu'il s'est permise. Voici ses paroles, elles sont curieuses par leur naïveté :

Dans le septième livre et dans les suivans, je donne au roy de Ninive une maîtresse que je nomme Adine, c'est-à-dire voluptueuse et délicate, selon la force de la langue hébraïque, dont j'ai emprunté ce nom. J'avoue que l'Histoire sainte ni la profane ne parlent point de cette femme, et mon dessein n'est point de faire croire que ce roy eust une maîtresse qui portast ce nom; mais je ne pense pas aussi que personne osast soustenir qu'il n'en avoit point du tout; car il y a beaucoup apparence qu'un monarque payen, qui faisoit son séjour ordinaire dans une ville plongée dans le vice et la débauche, n'estoit pas plus sage que Salomon, qui avoit un si grand nombre de femmes, et qui a fondé le sérail, comme parle un des plus éloquens écri– vains de ce siècle. Il me semble donc que je ne suis pas fort hardy dans mes inventions, si je donne une maîtresse à un prince qui peut estre en avoit plus de cent. »

Quant à l'idée mère de son livre et au sens allégorique qu'il offre, Coras nous apprend que par Ninive il a voulu représenter l'âme de l'homme corrompue par le péché; par son peuple, la foule des passions qui troublent et agitent l'âme; — par son roy, la volonté esclave du vice; - par Adine, la volupté; - par Jonas, la loi de Dieu, etc.

Coras avoue ensuite que, si son poëme est inférieur à Virgile, qui a mis douze ans à composer l'Énéide, à Chapelain, qui en a employé vingt à polir la Pucelle, on n'en sera pas surpris, attendu qu'il a écrit le Jonas dans une année. Aussi, malgré tout le mal qu'il s'est donné, craint-il beaucoup la critique, en un siècle surtout où il se trouve des personnes plus insensibles que les arbres et plus déraisonnables que les animaux, qui fu

rent attirés par la lyre d'Orphée. « Quelle apparence, ajoute t-il, que ces censeurs pointilleux, qui ont attaqué la Jérusalem du Tasse, qui trouvent à redire dans la Pucelle de M. Chapelain, et qui n'admirent pas partout un si bel ouvrage, épargnent mon pauvre Jonas, battu de la tempête et tout dégoustant de l'eau de la mer?... »

Enfin le poëte termine sa préface en annonçant un autre poëme qui a quelque chose de plus grand, de plus fort et de plus héroïque. Ce quelque chose étoit le David, que Coras promettoit comme un chef-d'œuvre, et qu'heureusement pour lui, comme pour nous, il n'a jamais donné au public. Voici maintenant quelques vers du poëme :

Je chante les travaux de ce fameux Prophète
Qui conserva Ninive en preschant sa défaite,
Soumit un roy prophane au monarque éternel,
Et fit un peuple saint d'un peuple criminel.
Il se vit, en voguant sur une mer profonde,
Le butin d'un poisson et le jouet de l'onde. Etc.

Un peu plus loin, l'auteur trace le tableau de Ninive. Aujourd'hui qu'on vient d'en retrouver les ruines, il est assez curieux de voir comment l'imagination du poëte a rebâti la capitale des Assyriens :

Sur ces bords renommés où le Tigre superbe

Vient mesler, en s'enflant, le sable avecque l'herbe,
Fut une ample cité, qui de cent potentats

Avoit assujéti le sceptre et les États.

On l'appeloit Ninive, et cette ville illustre

Devoit au grand Ninus et son nom et son lustre.
Nul de son vaste enclos n'eust pu faire le tour
Sans voir plus de cent fois naistre et mourir le jour.
Ses murs par leur hauteur parurent admirables,
Leur force et leur largeur les rendoient redoutables,
Et trois chars attelés y roulèrent de front,
Comme on les voit marcher sur le plus large pont.
Elle avoit cent palais en cent diverses rues,

Et trois fois cinq cents tours qu'elle portoit aux 'nues.
Etc., etc.

Malgré ces vers, que le public du temps trouvoit merveilleux, Boileau, alors âgé de trente-deux ans, mais qui avoit commencé depuis long-temps la publication de ses immortelles satires, attaqua ainsi, dans la neuvième, qui parut en 1668, notre poète :

Le Jorta's inconnu sèche dans la poussière ;
Le David imprimé n'a point vu la lumière;

Le Moise commence à moisir par les bords, etc.

Non content de ce trait décoché en passant, Despréaux poussa la malice plus loin. Sous le nom du libraire Angot, il envoya sa satire à Coras, en l'accompagnant de la lettre cijointe, qu'on nous communique, et qui est tirée, ainsi que la réponse que lui fut faite, du recueil de pièces no 52 appartenant à la bibliothèque de Montauban.

Lettre du sieur D. O. V. B. à l'autheur du JONAS et du DAVID, en lui envoyant sa neuvième satire sous le nom du libraire Angot.

« Monsieur,

» Je vous fay part d'une satire qui, par un seul coup de bec qu'elle donne à vos ouvrages, fait que je désespère d'en plus vendre aucun exemplaire si vous n'arrestez la réputation de celuy qui les attaque. Il s'appelle Despréaux ou Boileau; ceux qui le connoissent disent qu'il ne s'arrestera pas là; il s'en prend aux meilleurs autheurs, et il s'en faut peu qu'il ne trouve des taches dans le soleil.

» On vous auroit une obligation infinie en ce païs, si vous y vengiés le mépris que cet autheur fait de ceux qui le sont. En mon particulier, je voudrois avoir lieu de réparer le domage qu'il me cause. Deux de ces vers détruisent absolument tous les vostres. Cet affront qu'il vous fait ne doit pas estre impuny. Travaillez donc, je vous prie, à éviter la honte qu'il vous procure; et, dans le soin de vous conserver l'honneur que vous

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