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d'Acquitaine, et aussi de l'autre partie. Et ainsi convindrent ensemble l'oncle et le parrain, et le nepveu et filleul. Et fut la place eslevé en ung maretz qui estoit assez seur, car chascun n'avoit pas grant fiance en sa partie et pour ce avoit esté le lieu ordonné et advisé par les parties en ladicte place. Ouquel lieu estoient faictes barrières toutes propices, sur lesquelles les ducs de Berry et de Bourgongne eulx là venus, se apuièrent l'un contre l'autre et chascun son conseil derrière lui, aux quelz ilz avoient aucunes foiz recours en leurs traictiez et responses en leurs articles. Et, à cautelle, avoient aussi chascun son assemblée de gens d'armes en certains lieux assez près d'eulx, sans ce qu'ilz peussent riens oyr de leurs consaulx. Et estoient tous deux armez très bien et bel. Et avoit le duc de Berry, non obstant qu'il feust aagé de plus de soixante dix ans, espée, dague et hache d'armes, capeline d'acier en la teste, et ung fermeillet' moult riche ou front devant, et dessus ses armeures une jaquette de pourpre et la bende au travers toute semée de marguerites. Et environ deux heures après qu'ilz eurent esté ensemble, ledit duc de Berry dist au duc de Bourgongne par manière de ramposne3 : « Beau nepvéu et beau filleul, quant beau frère vostre père vivoit, il ne falloit point de barrière entre nous deux, nous estions bien d'accord moy et lui. » A quoy ledit duc de Bour

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1. Fermeillet, petit fermail. On entendait par ce mot tout ce qui ferme, agrafe ou retient quelque chose.

2. La bende au travers. C'est la bande d'étoffe adoptée par les Armagnacs comme signe de ralliement. De là vient que l'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris les appelle communément les bandés. 3. Ramposne, raillerie.

gongne respondi: « Monseigneur, ce n'est point par moy. » Et lors ledit duc de Berry remonta sur son cheval et s'en retourna à sa cité avecques ses gens. Et le duc de Bourgogne pareillement retourna avecques ses gens en l'ost. Et disoient communément les chevaliers et autres estans en la compaignie dudit duc de Bourgongne, que les gens du duc de Berry en communes devises disoient qu'ilz n'avoient point esté rebelles ne désobéissans au Roy, et qu'il y avoit long temps qu'il n'avoit esté en santé, par quoy il leur deust riens commander, et que s'il eust esté bien disposé, il estoit tout cler qu'il n'eust point laissé la mort de son frère impugnie et n'eust point amené avecques lui le tueur impugny. Et quant est aux amendes pour avoir bouté les feux et prins les fortresses, villes et chasteaulx et les avoir despoullées et robées comme Saint-Denis, Roye et plusieurs autres ou royaume, respondoient que actendu que leurs seigneurs du sang royal povoient aler franchement et libéralement par les villes dudit royaume et mener leurs gens d'armes pour le fait de leur guerre particulière, laquelle ilz faisoient à bonne et juste cause contre le duc de Bourgogne, disans qu'en ce faisant n'ont point forfait ne offensé envers le Roy; mais, en tant qu'ilz avoient tenu la cité de Bourges close contre lui, tenoient avoir mesprins, pour ce qu'il y estoit en personne, et de ce, le traictié fait, lui prieroient mercy et lui rendroient les clefz.

Et est vérité que le mercredi ensuivant lesdiz ducs, avecques leurs traicteurs, convindrent aux barrières devant la porte de la cité et tindrent leur parlement et conseil. Lequel fini et conclud, prindrent le vin en

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semble et puis se départirent l'un de l'autre très joieusement. Et le jeudi s'assemblèrent tous les chevaliers et nobles de l'ost du Roy devant le duc d'Acquitaine tenant le lieu et l'estat de son père, et avec lui estoient en sa compaignie les ducs de Bourgongne, de Bar et de Lorraine et plusieurs autres grans seigneurs. Et lors le chancellier d'Acquitaine, c'estassavoir messire Jehan de Neelle, chevalier, licencié en lois, qui avoit moult belle faconde, très notablement dist et récita les excès et rebellions faiz par Jehan de Berry, Charles d'Orléans, Jehan de Bourbon, Jehan d'Alençon, Bernard d'Armignac, Charles de Labreth et leurs complices. Et aussi dist comment ilz estoient aliez aux Anglois adversaires du Roy, et comment ils avoient destruit le royaume; faisant de ce et de plusieurs autres choses ung long sermon. Et tant que au derrenier, commanda de par le Roy et son filz le duc d'Acquitaine que chascun deist tantost et promptement ce qui leur en sembloit bon à faire, ou la paix ou la guerre. Dont plusieurs respondirent qu'il valoit mieulx que la paix feust entre les seigneurs et qu'ilz feussent remis et réduis en la grâce du Roy que autrement; ou cas que elle seroit ferme. Et aucuns dirent autrement. Et ainsi fina ledit conseil. Dont il y eut grant murmure.

Or est vérité qu'il faisoit lors très grant chaleur et moult estoient ceulx de l'ost malades et tant que plusieurs s'en partirent sans prendre congié, oyans de jour en jour que leurs compaignons se mouroient. Et par espécial y moururent grant planté de chevaulx, dont l'ost estoit moult fort empulenty '.

1. Infecté.

CHAPITRE XCV.

Comment les seigneurs de la cité de Bourges alèrent devers le Roy et le duc d'Acquitaine, et fut alors la paix faicte et accordée entre les seigneurs.

Le vendredi xv jour du mois de juillet les besongnes conclutes ou assez près, les dessusdiz seigneurs, c'estassavoir les ducs de Berry et de Bourbon, le seigneur de Labreth, le conte d'Eu et messire Jehan de Bar, frère au duc de Bar, accompaignez de plusieurs chevaliers et escuiers portans leurs bendes, yssirent de la cité de Bourges et vindrent en l'ost du Roy et en la tente du duc d'Acquitaine, en laquelle estoient avecques lui les ducs de Bourgongne et de Bar, avec plusieurs autres barons, nobles et gentilzhommes, chevaliers et escuiers, le Roy estant malade en sa manière acoustumée ; et là fut le traictié accordé, et s'entrebaisèrent. Et quant le duc de Berry baisa son nepveu le duc d'Acquitaine, les lermes lui cheurent des yeulx.

Lequel traictié entre les autres choses contenoit, que le traictié qui avoit esté fait à Chartres de par le Roy et son conseil entre Charles duc d'Orléans et ses frères pour la mort de feu Loys duc d'Orléans leur père d'une part, et Jehan duc de Bourgongne pour la mort dessusdicte d'autre part, se tiendra perpetuellement, et si s'entretiendront les mariages autre foiz devisez entre ledit d'Orléans et la fille audit duc de Bourgogne. En oultre ledit duc de Berry, avecques les autres seigneurs de son parti, rendra en l'obéissance du Roy toutes les villes et chasteaulx partout là où le Roy les vouldra prendre et avoir, et lui priera qu'il lui vueille

remectre et pardonner s'il ne lui a tost rendue l'obéissance de sa cité de Bourges. Et en oultre les devantdiz seigneurs renonceront à toutes convenances et aliances faictes les ungs avec les autres, et aussi contre tous autres estrangers' contre le duc de Bourgogne. Et pareillement renoncera ledit duc de Bourgogne à toutes aliances et confédéracions quelzconques faictes par lui contre lesdiz seigneurs. En après, le Roy restituera ausdiz seigneurs toutes leurs terres, villes et chasteaulx et fortresses, entièrement et à plain, excepté que ce qui a esté prins et démoli demourra sans restitucion. Et entre plusieurs autres choses à déclairer cy-dedens, les officiers desdiz seigneurs et leurs serviteurs seront restituez en leurs offices et bénéfices.

Et après que iceulx eurent disné, le duc de Berry présenta et rendi les clefs de sa cité de Bourges et la garde d'icelle de par le Roy, au duc d'Acquitaine, et puis s'en retourna dedens sa ville avecques les siens. Et le duc d'Acquitaine, comme lieutenant du Roy, fist crier de par le Roy dans tout l'ost la paix entière entre le Roy et lesdiz seigneurs et princes. Et fut inhibé et défendu de par le Roy, que doresenavant ne feust aucun d'une partie ne d'autre qui nuise ou offense sa partie adverse en aucune manière, en corps ne en biens, ne nomme armaignac ne bourguignon, ou die quelque autre obprobre l'un à l'autre.

Le samedi xvi jour dudit mois', vint le roy Loys de ses pays d'Anjou et du Maine, à tout deux mille et

1. Contre tous autres estrangers (sic) dans le Suppl. fr. 93. Il faut entendre que les seigneurs renonceront aux traités faits entre eux et avec les étrangers, contre le duc de Bourgogne.

2. 16 juillet.

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