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mieulx besongner et entendre, grant partie des seigneurs dessusdiz laissèrent leurs propres hostelz et s'en alèrent loger en l'ostel du Roy à Saint-Pol, dedens lequel, par le conseil d'aucuns des seigneurs de Parlement et de l'Université, continuèrent par plusieurs jours à ladicte réformacion. Et firent tant, qu'à brief dire ilz perceurent clèrement que ceulx qui avoient gouverné les finances dudit royaume depuis seize ou vingt ans paravant, s'estoient très mal acquitez, et avoient acquis pour eulx ou pour leurs amis ou prouchains, innumérables finances ou préjudice du Roy et de sa seigneurie, et par espécial Montagu, qui avoit esté ung des principaulx des gouverneurs ; qui fut fort questionné, et tellement qu'il fut ordonné qu'on le prinst et meist en prison en Chastellet, avec plusieurs autres. Et pour faire ceste exécucion, fut commis messire Pierre des Essars, prévost de Paris, garny de grant partie de ses sergens. Et pour l'acompaigner, lui furent baillez de par le duc de Bourgongne, le seigneur de Heilli et de Roubaix, et messire Roland de Hutequerque, lesquelz, tous ensemble, par un certain jour trouvèrent ledit Montagu et avecques lui maistre Martin Gouge, évesque de Chartres, tous deux alans au moustier Saint-Victor pour oyr la messe'. Lequel prévost, acompaigné des dessusdiz, quant il le rencontra, mist la main à lui et audit évesque, en

assemblée pour la réformation des finances. (Chr. de Ch. VI, t. IV, p. 271.)

1. Le Religieux de Saint-Denis dit : Cum ad domum suam de Sancto Victore rediret (p. 274). Comme il se rendait de l'abbaye de Saint-Victor à sa maison. L'hôtel de Montaigu était situé près porte Barbette.

de la

leur disant : « Je mets la main à vous de par l'auctorité royale à moy commise en ceste partie ». Et adonc, icellui Montagu, oyant les paroles dudit prévost, fut fort esmerveillé et eut très grant fraieur. Mais tantost que le cuer lui fut revenu, il dist audit prévost. « Et

ribault traistre, comment es tu si hardi de moy oser toucher! >> Lequel prévost lui dist : « Il n'en yra pas ainsi que vous cuidez. Mais durement comparrez les très grans maulx, que vous avez commis et perpétrez. » Et lors ledit Montagu, non puissant de résister audit prévost ne aux siens, fut lyé et mené moult destroictement ou Chastellet de Paris, et avecques lui l'évesque de Chartres, qui estoit président en la chambre aux généraulx'. Ouquel lieu par plusieurs fois ledit Montagu fut mis en gehainne et tant, que lui doubtant sa fin, demanda à ung sien confesseur moult diligemment quelle chose il avoit à faire, et il respondi: « Je n'y voy autre remède, fors que vous appellez du prévost de Paris; » et ainsi en fist-il. Pour quoy ledit prévost ala devers lesdiz seigneurs qui avoient ordonné de le prendre et leur compta l'estat de ladicte appellacion, et tantost lesdiz seigneurs à ceste cause convoquèrent le parlement pour discuter et examiner ceste besongne. Et en la fin fut déclairé par les seigneurs dudit parlement, que ladicte appella

1. «< Unde civitas mota est et cives arma sumpserunt. Quos ta<< men Parisiensis prepositus, Petrus de Essartis, vicos circuiens « cum armatis et clamans quod proditores regis tenebat, et quod « eos sollicite custodiret, eos pacificavit, rogans ut mechanicis «< artibus et suis negociacionibus vacarent. » (Chr. de Ch. VI, t. IV, p. 272.) Montaigu fut arrêté le 7 octobre 1409 et exécuté le 17, comme on le verra dans nos pièces justificatives.

cion estoit de nulle valeur. Et pourtant lesdiz seigneurs voians ledit fait estre arresté et adjugié, dirent audit prévost : « Va, et sans demeure, toy bien acompaigné du peuple de Paris bien armé, prens ton prisonnier et expédie la besongne selon justice, et lui fais trencher la teste d'une dolouere, et puis la fais ficher ès hales sur une lance. » Après lesquelles paroles, prestement en acomplissant leur commandement, le xvir jour du mois d'octobre, fist habiller et ordonner le peuple bien armé en la place Maubert et en plusieurs autres quarrefours et lieux, et puis fut mené ledit Montagu, ès hales où estoit moult grant peuple, et là, lui fist-on trencher la teste et la mectre, comme dit est, sur le bout d'une lance, et le corps fut pendu pardessoubz les aisselles au gibet de Montfaucon, droit au plus haut estage1.

Ceste exécucion fut faicte principalement, comme la renommée couroit, à l'instance et pourchas du duc de Bourgongne, lequel pour la veoir faire manda très grant nombre de nobles hommes de ses pays de Bourgongne, de Flandres et d'Artois. Et ung petit devant

α

1. Le Religieux de Saint-Denis termine son récit par ces détails lugubres « Nec silendum existimo quod duces prerominati so« lempnes decuriones miserant, ut referrent ejus verba novissima; qui mesti et lacrimosi redierunt, et multis sciscitantibus cur sce«<lera tanti viri non fuerant publicata, retulerunt eum cunctis << assistentibus affirmasse quod tormentorum violencia, qua et « manus delocatas et se ruptum circa pudenda monstrabat, illa « confessus fuerat, nec in aliquo culpabilem ducem Aurelianensem « nec se eciam reddebat, nisi in peccuniarum regiarum nimia « consumpcione.» (Ibid., p. 276.)

2. « Et estoient à ce tamps dedens Paris, le roy de Navarre, les ducqs de Berry, de Bourgoigne et de Bourbon, et autres. >> (Chron. Cord. 16, fol. 336 v°.)

que ce advenist, le duc de Bourbon et le conte de Clermont, son filz, se partirent de Paris très indignez pour la prinse dudit Montagu. Et pareillement, le duc d'Orléans, son frère, et tous ceulx tenans ceste bende, fürent très desplaisans de sa mort', mais pour le présent n'en povoient avoir autre chose, car à ce temps n'estoient-ilz point au conseil du Roy. Et lendemain d'icelle exécucion faicte ainsi comme dist est, le duc Guillaume, conte de Haynau, qui paravant avoit esté mandé par le duc de Bourgongne, vint à Paris. A l'encontre duquel alèrent plusieurs grans seigneurs, et fut reçeu très bénignement du Roy et du duc d'Acquitaine et des autres princes. Et à sa venue, lui fut donné et octroié l'ostel dudit Montagu qu'il avoit dedens Paris, comme confisqué, avec tous les biens meubles estans dedens. Et d'autre part, fut mise en la main du Roy la fortresse de Marcoussis, séant à sept lieues de Paris, sur le chemin de Chartres; laquelle ledit Montagu avoit fait fonder et édifier en son temps. Et se loga prestement ledit duc Guillaume oudit hostel. Et toutes les autres terres et biens quelzconques dudit Montagu furent aussi mises en la main du Roy au préjudice de ses enfans. Ledit Montagu estoit natif de Paris et paravant avoit esté secrétaire du roy Charles le Riche, derrenier trespassé. Si estoit gentil homme de par sa mère, et avoit marié trois filles légitimes qu'il avoit, dont en avoit l'une, sire Amé de Roussy, la seconde fut mariée à Jehan de

1. « De celle mort fu le duc d'Orléans moult courouchiés, et oisy furent ceulx à son alliance, et par espécial le duc de Berry. » (Chron. Cord. 10, fol. 336 v°.)

2 C'est ainsi que Monstrelet appelle toujours Charles le Sage.

Craon, seigneur de Maubuisson, et la tierce estoit fiancée à Jehan de Meleun, filz au seigneur d'Antoing, mais le mariage ne se parfist point. Et son filz, comme dit est, estoit marié à la fille du seigneur d'Albreth, connestable de France et cousin du Roy.

En après ces besongnes passées, par le dessusdit prévost de Paris furent prins plusieurs gens du Roy, et espécialement ceulx qui estoient ordonnez sur les tribus et revenues, et mesment tous les généraulx, comme les seigneurs de la chambre des généraulx et les présidens et les seigneurs de la chambre des comptes, Perrin Pilot, marchant, et autres, lesquelz furent emprisonnez ou chastel du Louvre et ailleurs. Et quant Le Borgne de Souchal, escuyer du Roy et garde de sa finance, oy dire que le grant maistre d'ostel estoit prins et mis en prison, il fut grandement esmerveillé et moult fut troublé et esmeu, pour quoy il se partit en habit desguisé, secrètement, sur ung moult léger cheval. Dont il fut en grant souspeçon des seigneurs.

En ce temps, l'arcevesque de Sens, frère audit grant maistre d'ostel, Guischard Daulphin et Guillaume, chevaliers, et maistre Gaulthier Col, secrétaire du Roy, par commandement du Roy furent envoiez à Amiens à l'encontre des légaulx du roy d'Angleterre. Lequel arcevesque, assez tost aiant congnoissance de la prinse et emprisonnement de sondit frère, print congié à ses compaignons, si se parti d'Amiens. Et ainsi qu'il s'en aloit légèrement vers Paris, il fut rencontré d'un huissier du Roy venant de Paris, qui prestement le fit prisonnier du Roy, car il avoit lectres et puissance dudit Roy de prendre et emprisonner ledit

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