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et le plus salutaire des végétaux; une infusion de cette plante détache la flèche qui tombe d'elle-même. Énée à peine guéri, prend son fils dans ses bras; et, profitant de la circonstance pour l'instruire par un grand exemple, lui adresse ces mots à la fois touchans et sublimes :

Reçois de moi, mon fils, la leçon de l'honneur,
D'autres te donneront l'exemple du bonheur.

Tout dans ce morceau me paraît supérieur aux plus beaux détails des combats d'Homère. La tendresse filiale, l'amour paternel et maternel, de grandes difficultés vaincues dans la description des opérations chirurgicales, la grandeur de l'ame et ses affections les plus tendres l'intérêt d'un grand danger, la joie du succès, le naturel, le merveilleux, le mérite de l'invention, la beauté des images, l'élégance de l'élocution, tout s'y trouve réuni.

On peut remarquer aussi que, par un art digne de Virgile, il a su, dans cette peinture, placer le médecin lui-même au nombre de ses héros ; il suppose très-ingénieusement qu'Iapis, favori d'Apollon a reçu de lui le choix de la lyre ou de la médecine. Son père est vieux et infirme, sa tendresse filiale donne la préférence à l'art de guérir. C'est ce même lapis, qui, assuré de la guérison d'Énée, s'écrie:

Des armes! Mes amis, qu'on lui rende ses armes !

Un tel personnage méritait d'autant plus d'être remarqué, qu'il offre une espèce de contraste entre sa profession bienfaisante et paisible, et ses sentimens héroïques et guerriers.

Quelquefois aussi Virgile sait mieux qu'Homère tirer parti du choix de ses héros. Il introduit dans ses batailles, des rois, des princes, des capitaines illustres, et, à côté d'eux, des pontifes et des prêtres; ailleurs, c'est un malheureux pêcheur, un simple fermier, qui, Pauvre cultivateur du domaine d'autrui,

Ne plautait. ne semait. ne cueillait pas pour lui.
Son fils abandonnant son ruisseau, sa rivière,
Et les rets du pêcheur pour la lance guerrière,
Arraché, malgré lui, de ses rustiques toits,
S'en va mourir bien loiu pour la cause des rois,

On ne peut nier que le contraste qui résulte de conditions si différentes ne soit extrêmement ingénieux.

Une observation très - importante, et qui ajoute à la vérité de celles que je viens de faire, c'est que les dieux, une fois admis dans l'action épique, doivent, comme les hommes, soutenir leur caractère : c'est ce que Virgile a fait avec le plus grand succès. Après avoir rempli ses six premiers livres de la haine de Junon, il ne manque pas de la faire reparaître dans le septième ; et, dans le moment où elle découvre les premières tentatives des Troyens pour s'établir dans l'Italie, dont elle les avait jusqu'alors écartés avec tant d'obstination, il lui prête un discours plein de la même fureur et du même emportement qui l'ont caractérisée dès le début de l'Énéide. C'est par son ordre qu'Alecton sort des enfers; qu'elle porte le trouble, l'épouvante et la rage dans le cœur d'Amate et de Turnus ; qu'elle dirige une flèche d'Ascagne sur une biche chère à la jeune Sylvie; qu'au bruit de sa trompette infernale elle appelle au combat les paisibles habitans des campagnes, conduit la guerre des cabanes dans les palais, et embrâse toute l'Italie.

Pour prouver mon impartialié, j'ajouterai aux éloges que j'ai donnés à l'invention de ces différens personnages, quelques observations critiques. Amate, dont le caractère est d'ailleurs très-bien conçu et très-bien exécuté, meurt peut-être d'une manière peu digne de son rang et du talent de Virgile: elle se pend à une poutre. Un seul vers renferme le récit de cette mort qui pouvait fournir un tableau très-intéressant. Lorsque les grands poëtes épiques ou dramatiques prennent le parti de faire périr leurs principaux personnages d'une mort violente et volontaire, ils déploient, si j'ose ainsi dire toute l'éloquence de la mort; ils font sortir du cœur, à ce dernier moment, les cris du regret, les accens du remords et l'expression du souvenir déchirant des grandes fautes ou des événemens malheureux qui ont amené cette catastrophe. C'est ainsi que Virgile a fait mourir Didon. Rien de plus pathétique que le discours qu'il lui fait prononcer, au moment où elle est prête à se donner le coup mortel. C'est alors que reviennent à sa mémoire toutes les époques heureuses ou malheureuses de sa vie ; qu'elle se félicite de ce qu'elle a fait de grand, et qu'elle

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s'accuse de ses faiblesses. Voilà sur quel modèle devait être tracée la mort d'Amate; ce qui était d'autant plus aisé, que son triple caractère de reine, d'épouse et de mère était plus fécond en sentimens tendres ou fiers, et tous profondément intéressans. C'est ainsi que Racine prêt à faire périr Monime du même genre de mort, lui prête un monologue plus touchant que les scènes les plus pathétiques de sa tragédie :

Xiphares ne vit plus; il n'en faut point douter:
L'événement n'a point démenti mon attente.
Quand je n'en aurais pas la nouvelle sanglante,
Il est mort; et j'en ai pour garans trop certains,
Son courage et son nom, trop suspects aux Romains.
Ah! Que d'un si beau sang dès long-temps altérée,
Rome tient maintenant sa victoire assurée,
Quel ennemi son bras leur allait opposer!

Mais sur qui, malheureuse, oses-tu t'excuser?
Quoi! Tu ne veux pas voir que c'est toi qui l'opprimes
Et, dans tous ses malheurs, reconnaître tes crimes?...
De combien d'assassins l'avais-je enveloppé !
Comment à tant de coups serait-il échappé!
Il évitait en vain les Romains et son frère :
Ne le livrais-je pas aux fureurs de son père?
C'est moi qui, les rendant l'un de l'autre jaloux,
Vins allumer le feu qui les embrâse tous.
Tison de la discorde, et fatale furie,

Que le démon de Rome a formée et nourrie!
Et je vis! Et j'attends que de leur sang baigné
Pharnace des Romains revienne accompagné,
Qu'il étale à mes yeux sa parricide joie!
La mort au désespoir ouvre plus d'une voie :
Oui, cruelles, en vain vos injustes secours
Me ferment du tombeau les chemins les plus courts;
Je trouverai la mort jusque dans vos bras même.
Et toi, fatal tissu, malheureux diademe,
Instrument et témoin de toutes mes douleurs,
Bandeau, que mille fois j'ai trempé de mes pleurs,
Au moins, en terminant ma vie et mon supplice,
Ne pouvais-tu me rendre un funeste service!
A mes tristes regards, va, cesse de t'offrir;
D'autres armes sans toi sauront me secourir :
Et périsse le jour, et la main meurtrière
Qui jadis sur mon front t'attacha la première !

Peut-être aussi Virgile n'a-t-il pas tiré tout le parti possible du rôle accessoire d'Ascagne. Après avoir peint de la manière la plus heureuse ce jeune prince, héritier des grands destins de son père, ne pouvait il pas le placer dans de grands dangers qui auraient produit la plus vive émotion? Il aurait pu, dans quelque description de combats ou d'assauts, le précipiter dans l'onde ou l'entourer de flammes; son père l'aurait arraché à ce péril, l'aurait pris entre ses bras, l'aurait montré aux Troyens, dont il était la plus chère et la plus précieuse espérance. Qu'on mette sur le fond de ce tableau le dessin et les couleurs de Virgile, et je suis assuré qu'il produira le plus grand effet, sur-tout si Énée, pour sauver son fils, s'expose lui-même à un danger éminent.

SUR LE STYLE DE VIRGILE.

L'Apollon du Belvedère et le style de Virgile sont généralement reconnus pour ce qu'il y a de plus parfait dans les arts. On a souvent comparé Racine au poëte latin; mais il y a entr'eux la différence qui doit être entre un poëte épique et un poëte tragique. Le genre de Virgile admettait les sentimens tendres et passionnés que nous admirons dans le poëte français; mais les tragédies de celui-ci sont et doivent être étrangères aux descriptions brillantes et pompeuses de la poësie épique.

Il n'y a guère, dans tout le théâtre de Racine, que le combat d'Étéocle et de Polynice, le songe d'Athalie, et le récit de Théramène, qui approchent des grandes beautés épiques. J'ai tâché, dans les vers suivans, de rendre les caractères du style de Virgile :

Homère déployant sa force poëtique,
Dans sa mâle beauté m'offre l'Hercule antique,
Ta muse me rappelle en ses traits moins hardis,
De la belle Vénus les charmes arrondis.
Ta vigueur sans effort, c'est la grâce elle-même ;
Avant de t'admirer, le lecteur sent qu'il t'aime.
Des trésors du génie, économe prudent,
Brillant mais naturel, et pur quoiqu'abondant,
Chez toi toujours le goût employa la richesse.
Le goût fut ton génie; et ma fière déesse,

Dont les coursiers fougueux erraient encore sans frein,
A mis pour les guider les rênes dans ta main.

Poëme de l'Imag.

Pour faire connaître tout l'artifice du style de Virgile, je ne multiplierai pas les citations. Il suffira de le comparer à Homère, lorsque tous les deux ont exprimé les mêmes idées: tels sont ces deux passages, où Pâris est comparé par Homère dans le second livre de l'Iliade, et Turnus par Virgile dans le onzième livre de l'Énéide, à un cheval délivré de ses liens; c'est là qu'on peut voir comment Virgile lutte avec succès contre le plus grand des poëtes, contre la plus belle des langues, et sait tirer de la sienne des équivalens qui, dans cette comparaison, lui donnent au moins l'égalité. Pour faire mieux ressortir les beautés de Virgile, soyons un instant ses Mævius; parcourons les beautés qu'il a omises, et voyons ensuite celles par lesquelles il a racheté cet oubli. « Čom» ment, aurait dit ce critique Romain, Virgile a-t-il pu » oublier cette belle idée d'un cheval long-temps re» posé, et abondamment nourri; ce qui, dans un animal »fougueux et robuste, doit produire cette surabondance » d'esprits animaux, qui ajoute à sa vigueur et à son

impétuosité naturelles? Comment a-t-il cru pouvoir » représenter par un vers rempli de consonnes, ce beau » vers mouillé par la fréquente répétition de l'iota, si >> heureusement imitatif dans cette occasion:

Ειωθως λεεςθαι ευρρειος ποταμοιο. (Hon. It. L. VI. ) Accoutumé à se baigner dans le fleuve qui coule abondamment', »ce vers, qui représente si bien la fluidité de l'élément » dans lequel il va chercher la fraîcheur du bain accou» tumé ? C'est là, en effet, qu'est l'infériorité de Vir» gile.

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Voyons comment il nous en a dédommagés, par ce bel hémistiche: « tandem liber equus, le coursier libre enfin. » Ce dernier mot, lui seul, n'exprime-t-il pas d'une manière infiniment heureuse, l'impatience avec laquelle ce superbe animal a supporté son esclavage et son oisiveté? Cette expression si juste et si poëtique flumine noto, le fleuve accoutumé, n'équivaut-elle pas à la supériorité d'harmonie imitative que j'ai remarquée dans le vers d'Homère? Cette épithète est d'autant mieux choisie, qu'on sait à quel point un grand nombre d'animaux sont gouvernés par l'habitude des lieux, des personnes et des choses. Dans les derniers vers de ce pas

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