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AVIS AU LECTEUR.

C'EST un véritable essai que je produis au grand jour. Je souhaiterois me connoître. Ma prévention et celle de quelques amis, m'en inspireroient des idées trop avantageuses, si mon Apollon,* cette voix secrette que je ne puis faire taire, ne m'avertissoit souvent de me défier de leurs éloges. Doisje me borner à recueillir avec reconnoissance les bienfaits de mes prédécesseurs? Puis-je espérer d'ajouter quelque chose au trésor commun des vérités ou du moins des idées? Je tâcherai d'entendre l'arrêt du public et même son silence, et je ne l'entendrai que pour m'y soumettre. Point de Philippiques contre mon siècle, point d'appel à la postérité.

L'envie de justifier une étude favorite, c'est-àdire, l'amour-propre un peu déguisé, fit naître les réflexions suivantes. Je voulois affranchir une science estimable, du mépris où elle languit aujourd'hui. Il est vrai qu'on lit encore les anciens, mais on ne les étudie plus. On n'y apporte plus cette attention, et cet appareil de connoissances que Cicéron et Bossuet exigent de leurs lecteurs. Il est encore des gens de goût, mais il est peu de littérateurs; et ceux qui savent que les gens de lettres peuvent se passer des récompenses plus aisément que de l'estime du public, ne s'en étonneront point. C'est un essai, je le repète encore; ce n'est point

Cynthius aurem

Vellit et admonuit.

un traité complet qu'on va lire. J'ai envisagé la littérature sous quelques points de vue qui m'avoient frappé. Plusieurs, sans doute, me sont échappés. J'en ai négligé quelques autres. Je ne suis point entré dans la carrière immense des beaux-arts, des beautés qu'ils empruntent de la littérature, et de celles qu'ils lui rendent. Que ne suis-je un Caylus ou un Spence!* J'éleverois un monument éternel à leur alliance. L'on y verroit l'image de Jupiter éclorre dans le cerveau d'Homère, et venir se placer sous le ciseau de Phidias. Mais je ne me suis point dit avec le Corrège; "et moi aussi je suis peintre."

Le 3 Février, 1759.

Après avoir gardé, pendant deux ans, ce petit ouvrage, l'amusement de mon loisir à la campagne, je me hasarde enfin à le donner au public. J'ai besoin de son indulgence pour le fond des choses, et pour le langage. Ma jeunesse m'y donne un juste titre pour l'un, et ma qualité d'étranger me la rend bien nécessaire pour l'autre.

Le 16 Avril, 1761.

• Auteur d'un ouvrage nommé Polymetis. La mythologie des poetes y est combinée avec celle des sculpteurs. Cet ouvrage plein de goût et de savoir mériteroit d'être plus connu en France.

A L'AU

À L'AUTEUR.

JE reçois, mon cher Monsieur, les feuilles de votre ouvrage, toutes mouillées au sortir de la presse. Le sentiment qui vous engagea à me les communiquer, est passé dans mon cœur. Ne me demandez plus mon jugement, il ne peut être que partial.

Mais le public aura-t-il les yeux d'un ami; cet essai de vos forces, ce germe heureux d'ouvrages plus considérables, sera-t-il accueilli, sera-t-il épargné? inquiétude naturelle à un jeune auteur! Elle l'honore, elle n'est permise qu'à lui. A Dieu ne plaise que vous perdiez de long tems cette précieuse défiance de l'approbation du public, qui vous mit en état de la mériter! Si jamais vieux écrivain vous prenez moins de peine, c'est que vous vous connoîtrez mieux et craindrez moins vos juges.

Voudrois-je ôter à la jeune beauté la modeste rougeur qui lui fait méconnoître ses charmes, et qui ne cessera que quand ils ne seront plus? Non, Monsieur, je ne vous rassure point; je veux jouir de vos allarmes; vos censeurs vont paroître; armezvous d'intrépidité,

Avez-vous pu croire qu'on pardonneroit à un homme né pour assister aux assemblées tumultueuses du sénat, et à la destruction des renards de sa province, des discussions sur ce qu'on pensa, il y a deux mille ans, sur les divinités de la Grèce, et

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sur les premiers siècles de Rome? Quoi! pas la moindre allusion à ce qui se passe de nos jours! Une brochure, où il n'est question ni de la guerre ni du commerce, où l'on ne prescrit point de limites ni ne propose aucune réduction, où l'on ne fait aucun compliment au prince, ni de leçon à ses ministres! En vérité je vous admire, et qu'en dira-t-on, je vous le demande, en Hampshire?

Le Grec doit être laissé au collège et à la roture; ainsi l'a-t-on peut-être décidé chez nos voisins, et cette mode menace de devenir contagieuse. Je. sais que Paris ne se croit pas encore déshonoré d'un Caylus et d'un Nivernois, et que votre île compte avec plaisir ses Lyttelton, ses Marchmont, ses Orrery, ses Bath, ses Granville, Mais vous êtes jeune, et l'on soupçonne ceux que je viens de vous nommer d'être un peu du siècle passé. Vos notes sont savantes, mais qui à Newmarket ou dans le caffé d'Arthur peut les lire?

Point d'ordre ni de liaison, dira le géomètre piqué. Nen soyez point surpris, il voit en vous un transfuge. Vous n'avez point donné la pomme à sa Venus, et il juge un écrit de goût sur le pied des élémens d'Euclide.

Parmi vos critiques je vois le littérateur luimême. Je ne dirai pas que vous pensez, et lui laissez le soin de recueillir. Je vous respecte trop pour voler ce bon mot à Voltaire. Mais vos notes ne consistent point en corrections de passages. Quel vers d'Aristophane avez-vous restitué? De quel manuscrit vous appuyez-vous? D'ailleurs vous envisagez quelques objets sous un point de

vue ou nouveau ou singulier. Votre chronologie est celle de Newton; vous justifiez l'anachronisme de Virgile; vos Dieux ne sont pas ceux de ... Craignez sa nouvelle édition; vous aurez place dans ses notes.

Je ne vous reproche point l'obscurité, dirai-je, ou la profondeur de quelques unes de vos pensées, vos phrases coupées, la hardiesse de vos figures. La nation académique sera moins facile, et frondera quiconque voudroit vous appliquer une de vos notes, et l'aveu modeste de l'orateur Romain, en relisant dans l'age de la maturité, un morceau applaudi de sa jeunesse. Quantis illa clamoribus, adolescentuli, il avoit 26 ans, diximus de supplicio parricidarum? quæ nequaquam satis deferbuisse post aliquanto sentire cæpimus Sunt enim omnia, sicut adolescentis, non tam re et maturitate, quam spe et expectatione, laudati.*

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J'ai gardé pour le dernier le plus grand de vos crimes. Vous êtes Anglois, et vous choisissez la langue de vos ennemis. Le vieux Caton frémit, et dans son Club Antigallican, vous dénonce, le punch à la main, un ennemi de la patrie. "Mes chers amis, dit-il, la liberté est prête d'expirer. Ce peuple, dont nous avons toujours triomphé, regagne par ses artifices plus que ne lui enlèvent nos

armes.

N'est-ce pas assez que nous ayons des baladins, des friseurs, des cuisiniers de Paris, qu'on boive dans notre île, qu'on boive des vins, qu'on lise des livres François; faut-il encore, grands

* Cicero. Orator. 29.

Dieux !

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