ページの画像
PDF
ePub

ESSAI

SUR

L'ÉTUDE DE LA LITTÉRATURE.

l'histoire lit

I. L'HISTOIRE des empires est celle de la misère Idée de des hommes. L'histoire des sciences est celle de téraire. leur grandeur et de leur bonheur. Si mille considérations doivent rendre ce dernier genre d'étude précieux aux yeux du philosophe, cette réflexion doit le rendre bien cher à tout amateur de l'humanité.

II. Que je voudrois qu'une vérité aussi consolante ne reçût aucune exception! Mais, hélas! l'homme ne perce que trop souvent dans le cabinet du savant. Dans cet asile de la sagesse, il est encore égaré par les préjugés, déchiré par les passions, avili par les foiblesses.

L'empire de la mode est fondé sur l'inconstance des hommes; empire dont l'origine est si frivole et dont les effets sont si funestes. L'homme de lettres n'ose secouer son joug, et si ses réflexions retardent sa défaite, elles la rendent plus honteuse.

Tous les pays, tous les siècles ont vu quelque science l'objet d'une préférence souvent injuste, pendant que les autres études languissoient dans

un

*

un mépris tout aussi peu raisonnable. La métaphysique et la dialectique sous les successeurs d'Alexandre, la politique et l'éloquence sous la république Romaine, l'histoire, la poësie dans le siècle d'Auguste, la grammaire et la juriprudence sous le Bas-Empire, la philosophie scholastique dans le treizième siècle, les Belles-Lettres jusqu'aux jours de nos pères, ont fait, tour-à-tour, l'admiration et le mépris des hommes. La physique et les mathématiques sont à présent sur le trône. Elles voyent toutes leurs sœurs prosternées devant elles, enchainées à leur char, ou tout-au-plus occupées à

*Ce siècle fut celui des sectes philosophiques, qui combattoient pour les systêmes de leurs maîtres respectifs, avec tout l'acharnement des théologiens.

L'amour des systêmes produit nécessairement celui des principes généraux ; et celui-ci conduit d'ordinaire au mépris des connoissances de détail.

"L'amour des systêmes, (dit M. Freret,) qui s'empara des esprits après Aristote, fit abandonner aux Grecs l'étude de la nature, et arrêta le progrès de leurs découvertes philosophiques: les raisonnemens subtils prirent la place des expériences: les sciences exactes, la géométrie, l'astronomie, la vraie philosophie disparurent presqu'entièrement. On ne s'occupa plus du soin d'acquérir des connoissances nouvelles, mais de celui de ranger, et de lier les unes aux autres, celles que l'on croyoit avoir, pour en former des systêmes. C'est là ce qui forma toutes les differentes sectes: les meilleurs esprits s'évaporèrent dans les abstractions d'une métaphysique obscure, où les mots tenoient le plus souvent la place des choses, et la dialectique, nommée par Aristote l'instrument de notre esprit, devint chez ses disciples l'objet principal et presque unique de leur application. La vie entière se passoit à étudier l'art du raisonnement, et à ne raisonner jamais, ou du moins à ne raisonner que sur des objets fantastiques.”— Mém. de l'Acad. des B. I.. tom. vi. p. 159.

orner

orner leur triomphe. Peut-être leur chute n'est pas éloignée.

Il seroit digne d'un habile homme de suivre cette révolution dans les religions, les gouvernemens, les mœurs, qui ont successivement égaré, désolé et corrompu les hommes. Qu'il se gardât bien de chercher un systême; mais qu'il se gardât bien davantage de l'éviter.

sance des

Goût qu'on

elles.

III. Si les Grecs n'avoient été esclaves, les La- Renaistins seroient encore barbares. Constantinople Belles-Lettomba sous le fer de Mahomet. Les Médicis ac- tres. cueillirent les Muses désolées: ils encouragèrent cut pour les lettres. Erasme fit plus, il les cultiva. Homère et Cicéron pénétrèrent dans des contrées inconnues à Alexandre, et invincibles pour les Romains. Ces siècles trouvoient qu'il étoit beau d'étudier les anciens et de les admirer:* le nôtre pense qu'il est plus aisé de les ignorer et de les mépriser. Je crois qu'ils ont tous les deux raison.

Le guerrier les lisoit sous sa tente. d'état les étudioit dans son cabinet.

L'homme
Ce sexe

même, qui, content des graces, nous laisse les lumières, embellissoit l'exemple d'une Délie, et souhaitoit de trouver un Tibulle dans son amant.

* Feuilletez la Bibliothèque Latine de Fabricius, le meilleur de tous ceux qui n'ont été que compilateurs: vous y verrez que dans l'espace de quarante ans, après la découverte de l'imprimerie, presque tous les auteurs Latins étoient imprimés, quelques uns même plus d'une fois. Le goût des éditeurs n'égala pas, il est vrai, leur zèle. Les écrivains de l'histoire Auguste parurent avant Tite Live; et l'on donna Aulu-Gelle avant de songer à Virgile.

VOL. IV.

C

Elizabeth

On le poussa trop loin.

Elizabeth (ce nom dit tout pour le Sage) apprenoit dans Hérodote à défendre les droits de l'humanité contre un nouveau Xerxes, et au sortir des combats se voyoit célébrée par Eschyle sous le nom des vainqueurs de Salamine.* †

Si Christine préféra la science au gouvernement d'un état, le politique peut la mépriser, le philosophe doit la blâmer, mais l'homme de lettres chérira sa mémoire. Cette reine étudioit les anciens: elle en considéroit les interprètes. Elle distingua ce Saumaise, qui ne mérita ni l'admiration de ses contemporains, ni le mépris dont nous nous efforçons de le combler.

IV. Sans doute elle poussa trop loin l'admiration pour ces savans. Souvent leur défenseur, jamais leur zélateur, j'avouerai sans peine que leurs mœurs étoient grossières, leurs travaux quelquefois minutieux; que leur esprit, noyé dans une érudition pédantesque, commentoit ce qu'il falloit sentir, et compiloit au lieu de raisonner. On étoit assez

✦ Eschyle a fait une tragédie, (les Perses,) où il a peint avec les couleurs les plus vives, la gloire des Grecs et la consternation des Perses après la journée de Salamine.-V. le Théât, des Grecs du P. Brumoy, tom. ii. p. 171, &c.

+ Ecoutons le Président Hénault. "Cette princesse étoit savante. Un jour qu'elle entretenoit Calignon, qui fut depuis Chancelier de Navare, elle lui fit voir une traduction en Latin, qu'elle avoit faite, de quelques tragédies de Sophocles et de deux harangues de Démosthène. Elle lui permit de prendre une copie d'une épigramme Grecque de sa façon; et elle lui demanda son avis sur des passages de Lycophron, qu'elle avoit alors entre les mains, et dont elle vouloit traduire quelques endroits."-Abrég. Chronolog. in Quart. Paris, 1752, p. 397.

éclairé

éclairé pour sentir l'utilité de leurs recherches; mais l'on n'étoit ni assez raisonnable ni assez poli, pour connoître qu'elles auroient pu être guidées par le flambeau de la philosophie.

devenoit

raisonnable.

V. La lumière alloit paroître. Descartes ne fut Quand il pas littérateur, mais les Belles-Lettres lui sont bien plus redevables. Un philosophe éclairé,* héritier de sa méthode, approfondit les vrais principes de la critique. Le Bossu, Boileau, Rapin, Brumoy apprirent aux hommes à connoître mieux le prix des trésors qu'ils possédoient. Une de ces sociétés qui ont mieux immortalisé Louis XIV. qu'une ambition souvent pernicieuse aux hommes, commençoit déjà ces recherches qui réunissent la justesse de l'esprit, l'aménité et l'érudition, où l'on voit tant de découvertes, et quelquefois, ce qui ne cède qu'à peine aux découvertes, une ignorance modeste et savante.

Si les hommes raisonnoient autant lorsqu'ils agissent que lorsqu'ils discourent, les Belles-Lettres seroient devenues l'objet de l'admiration du vulgaire et de l'estime des sages.

des Belles

VI. C'est de cette époque qu'elles datent le Décadence commencement de leur décadence. Le Clerc, à Lettres. qui les sciences et la liberté doivent des éloges, s'en plaignoit déjà, il y a plus de soixante ans. Mais c'est dans la fameuse dispute des anciens et des modernes qu'elles reçurent le coup mortel. Il n'y a jamais eu un combat aussi inégal. La logique

* M. Le Clerc, dans son excellent Ars critica, et dans plusieurs autres de ses ouvrages.

[blocks in formation]
« 前へ次へ »