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exacte de Terrasson, la philosophie déliée de Fou tenelle, le style élégant et heureux de La Motte, le badinage léger de St. Hyacinte, travailloient de concert à réduire Homère au niveau de Chapelain. Leurs adversaires ne leur opposoient qu'un attachement aux minuties, je ne sais quelles prétensions à une supériorité naturelle des anciens, des préjugés, des injures et des citations. Tout le ridicule leur demeura. Il en rejaillit une partie sur ces anciens, dont ils soutenoient la querelle: et chez cette nation aimable, qui a adopté, sans y penser, le principe de Milord Shaftesbury, on ne distingue point les torts et les ridicules.

Depuis ce tems, nos philosophes se sont étonnés que des hommes pussent passer une vie entière à rassembler des faits et des mots; et à se charger la mémoire au lieu de s'éclairer l'esprit. Nos beauxesprits ont senti quels avantages leur reviendroient de l'ignorance de leurs lecteurs. Ils ont comblé de mépris les anciens, et ceux qui les étudient encore.*†

VII.

On a ôté à cette étude le nom de Belles-Lettres, qu'une longue prescription sembloit lui avoir consacré, pour y substituer celui d'érudition. (1) Nos littérateurs sont devenus des érudits.

L'Abbé Massieu traitoit cette dernière expression de néologisme en 1721. (2) Changeroit-il de ton à présent? Il siéroit mal à un étranger de vouloir le décider. Je connois tous les droits des grands + Fontenelle dans sa digression sur les anciens et les modernes, et ailleurs.-Oeuv. de Gresset. tom ii. p. 45.

(1) V. La Motte et D'Alembert.

(2) Massieu dans sa préface aux œuvres de Tourail.

VII. Je voudrois faire succéder à ce tableau quelques réflexions, qui pourront fixer la juste valeur des Belles-Lettres.

hommes

Les exemples des grands hommes ne prouvent Grands rien; Cassini, avant de régler le cours des planètes, littérateurs. crut y lire le destin des hommes.* Cependant, lorsqu'ils sont en grand nombre, ils préviennent avant l'examen, après l'examen ils confirment. On sent d'abord qu'un génie capable de raisonner, une imagination vive et brillante ne goûteroient jamais une science, qui ne seroit que de mémoire, De tous ces hommes qui ont éclairé la terre, plusieurs se sont livrés à l'étude des Belles-Lettres; beaucoup l'ont cultivée; aucun, ou presqu'aucun, ne l'a méprisée. Toute l'antiquité se montroit sans voile aux yeux de Grotius: éclairé par sa lumière, il développoit les oracles sacrés, il combattoit l'ignorance et la superstition, il adoucissoit les horreurs de la guerre. Si Descartes, livré tout entier à sa philosophie, méprisoit toute étude qui ne s'y rapportoit pas, Newton† ne dédaigna pas de con

grands écrivains sur la langue; mais je voudrois, qu'après avoir reconnu qu'un érudit peut avoir du goût, des vues, de la finesse dans l'esprit, (1) ils ne se servissent pas de ce terme pour désigner un servile admirateur des anciens, d'autant plus aveugle qu'il y a tout vu, hors leurs graces et leurs beautés. (2)

• Fontenelle dans son Eloge.-VOLTAIRE, tom. xvii. p. 79. + Newton réformoit la chronologie ordinaire, et y trouvoit des erreurs de cinq à six cens ans. Voyez mes Remarques Critiques sur cette Chronologie.

(1) M. D'Alemb. dans l'art. Erudition de l'Encycl. Françoise.

(2) M. D'Alemb. dans le discours préliminaire de l'Encyclopédie, et ailleurs, struire

c 3

Littérateurs

grands

hommes.

LI GOUT.

struire un système de chronologie, qui a eu des partisans et beaucoup d'admirateurs: Gassendi, le meilleur philosophe des littérateurs et le meilleur littérateur des philosophes, expliquoit Epicure en critique, et le défendoit en physicien: Leibnitz passoit de ses recherches immenses sur l'histoire aux infiniment-petits. Si son édition de Martianus Capella avoit paru, son exemple auroit justifié les littérateurs, ses lumières les auroient éclairés." Le Dictionnaire de Bayle sera un monument éternel de la force, et de la fécondité de l'érudition combirée avec le génie.

VIII. Si nous ne faisons attention qu'à ceux qui ont consacré presque tous leurs travaux à la littérature, les vrais connoisseurs sauront toujours distinguer et apprécier l'esprit délicat et étendu d'Erasme, l'exactitude de Casaubon et de Gerard Vossius, la vivacité de Juste-Lipse, le goût, la finesse de Taneguy-le-Febvre, les ressources, la fécondité d'Isaac Vossius, la pénétration hardie de Bentley, l'aménité de Massieu et de Fraguier, la critique solide et éclairée de Sallier, l'esprit profond et philosophique de Le Clerc et de Freret. Ils ne confondront point ces grands hommes avec de simples compilateurs, un Gruter, un Saumaise, un Masson, et tant d'autres, hommes à la vérité utiles par leurs travaux, mais qui ne méritent jamais notre admiration, qui excitent rarement notre goût, et qui quelquefois seulement exigent notre estime. IX. Les anciens auteurs ont laissé des modèles

La vie de Leibnitz par de Neufville, à la tête de sa Théodicée.

pour

sources de

pour ceux qui oseront marcher sur leurs traces Trois des lectures aux autres, où ils pourront puiser les beautés. principes du bon goût, et remplir leur loisir par l'étude de ces précieuses productions, où la vérité ne se montre qu'embellie de tous les trésors de l'imagination.. Les poëtes et les orateurs doivent peindre la nature. Tout l'univers peut leur fournir des couleurs; mais parmi cette variété immense on peut ranger sous trois classes les images dont ils se servent : l'homme, la nature, et l'art. Les images de la première espèce, le tableau de l'homme, de ses grandeurs, de ses petitesses, de ses passions, de ses changemens, sont celles qui conduisent le plus sûrement un écrivain à l'immortalité. Chaque fois qu'on lit Euripide, où Térence, on y découvre de nouvelles beautés. Cependant ce n'est ni à la conduite souvent défectueuse de leurs pièces, ni aux finesses cachées de leur heureuse simplicité, que ces poëtes doivent leur renommée. Le cœur se reconnoît dans leurs tableaux vrais et naïfs, et s'y reconnoît avec plaisir.

La nature, toute vaste qu'elle est, a fourni peu d'images aux poëtes. Bornés, par leur objet ou par le préjugé des hommes, à son écorce, ils n'ont pu peindre que la successive variété des saisons, une mer irritée par les tempêtes, les zéphirs du printems respirant l'amour et les plaisirs. Un petit nombre de génies ont bientôt épuisé ces tableaux.

ficielles.

X. L'art leur restoit. J'entends par l'art tout ce Images artidont les hommes ont orné ou défiguré la nature, les religions, les gouvernemens, les usages. Ils s'en sont tous servis: et il faut convenir qu'ils ont

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Les mœurs

des an ens

tous eu raison. Leurs concitoyens et leurs contemporains les entendoient sans peine, et les lisoient avec plaisir. Ils aimoient à retrouver dans les ouvrages des grands hommes de leur nation, tout ce qui avoit rendu leurs ancêtres respectables, tout ce qu'ils regardoient comme sacré, tout ce qu'ils pratiquoient comme utile.

XI. Les mœurs des anciens étoient plus favora, favors à bles à la poësie que les nôtres : c'est une forte présomption qu'ils nous y ont surpassés.

la poësie

militaire.

A mesure que les arts se sont perfectionnés, les ressorts se sont simplifiés. Dans la guerre, dans la politique, dans la religion, de plus grands effets ont été produits par des causes plus simples. Sans doute les Maurice et les Cumberland * entendoient mieux l'art militaire que les Achille et les Ajax :

"Tels ne parurent point aux rives du Scamandre,

"Sous ces murs tant vantés que Pyrrhus mit en cendre, "Ces antiques héros qui montés sur un char

"Combattoient en désordre et marchoient au hasard."+ Cependant les batailles du poëte François sontelles diversifiées comme celles du poëte Gree? Ses héros sont-ils aussi intéressans? Tous ces combats

Je n'ai point cherché à faire un compliment à son A. R. Mgr. le Duc de Cumberland, dont je respecte infiniment la naissance et le rang, sans oser apprécier ses talens militaires. Si l'on se rappelle que les vers suivans sont tirés du poème sur la bataille de Fontenoy, on sentra que c'est plutôt M. de Voltaire qui parle que moi. Je ne crois pas cette remarque inutile. Des gens d'esprit s'y sont trompés.

+ Oeuvres de Volt. tom. ii. p. 300.

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