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singuliers des chefs, tous ces longs discours aux mourans, toutes ces rencontres inattendues, prouvent l'enfance de l'art, mais donnent au poëte le moyen de nous faire connoître ses héros, et de nous intéresser à leur destin. Aujourd'hui les armées sont de vastes machines animées par le souffle du général. La Muse se refuse à la description de ses manœuvres : elle n'ose percer ce tourbillon de poudre et de poussière, qui cache à ses yeux le brave et le lâche, le chef et le soldat,

litique.

XII. Les anciennes républiques de la Grèce Dans la peignoroient les premiers principes d'un bon gouvernement, Le peuple s'assembloit en tumulte pour décider plutôt que pour délibérer. Leurs factions étoient furieuses et immortelles, leurs séditions fréquentes et terribles, leurs plus beaux jours remplis de méfiance, d'envie et de confusion:* leurs citoyens étoient malheureux, mais leurs écrivains, l'imagination échauffée par ces affreux objets, les peignoient comme ils les sentoient. La tranquille administration des loix, ces arrêts salutaires qui, sortis du cabinet d'un seul ou du conseil d'un petit nombre, vont répandre la félicité chez un peuple entier, n'excitent chez le poëte que l'admiration, la plus froide de toutes les passions.

XIII. La mythologie ancienne qui animoit toute Dans la rela nature, étendoit son influence sur la plume du

Voy. le iii. L. de Thucydide.

Diodore de Sicile, depuis le L. xi. jusqu'au L. xx. presque par

tout.

La Préface de l'Abbé Terrasson au iii. tom. de sa Traduction de Diodore de Sicile, et Hume's Political Essays, p. 191.

ligion.

poëte.

Moyens de sentir les beautés.

poëte. Inspiré par la muse, il chantoit les attributs, les aventures, et les malheurs des dieux. L'Etre infini, que la religion et la philosophie nous ont fait connoître, est au-dessus de ses chants: le sublime à son égard devient puérile. Le Fiat de Moïse nous frappe; mais la raison ne sauroit suivre les travaux de la Divinité qui ébranle sans efforts et sans instrumens des millions de mondes, et l'imagination ne peut voir avec plaisir les diables de Milton, combattre pendant deux jours les armées du Tout Puissant.†

Les anciens connoissoient leurs avantages, et les employoient avec succès. Ces chef-d'œuvres que nous admirons encore en sont la meilleure preuve.

XIV. Mais nous, placés sous un autre ciel, nés dans un autre siècle, nous perdrions nécessairement toutes ces beautés, faute de pouvoir nous placer au même point de vue, où se trouvoient les Grecs et les Romains. Une connoissance détaillée de leur siècle est le seul moyen qui puisse nous y conduire. Quelques idées superficielles, quelques

*V. les pièces de Huet et de Despréaux, dans le iii. tom. des Oeuvres de celui-ci.

+ Le compas d'or dont le Créateur mesure l'univers étonne chez Milton. Peut-être chez lui est-il puérile: chez Homère il eût été sublime. Nos idées philosophiques de la Divinité nuisent au poëte. Les mêmes ornemens qui auroient relevé le Jupiter des Grecs, la défigurent. Le beau génie de Milton lutte contre le système de sa religion, et ne paroît jamais si grand que lorsqu'il en est un peu affranchi: pendant qu'un Properce, déclamateur froid et foible, ne doit sa renommée qu'au spectacle riant de sa mythologie.

lumières

lumières puisées au besoin dans un commentaire, ne nous laisseront saisir que les beautés les plus sensibles et les plus apparentes: toutes les graces, toutes les finesses de leurs ouvrages nous échapperont; et nous traiterons de gens sans goût leurs contemporains, pour leur avoir prodigué des éloges, dont notre ignorance nous empêchera de sentir la justesse. La connoissance de l'antiquité, voilà notre vrai commentaire: mais ce qui est plus nécessaire encore, c'est un certain esprit qui en est le résultat; esprit qui non seulement nous fait connoitre les choses, mais qui nous familiarise avec elles, et nous donne à leur égard les yeux des anciens. Le fameux exemple. de Perrault peut faire sentir ce que je veux dire : la grossièreté des siècles héroïques choquoit le Parisien. En vain Boileau lui remontroit-il qu'Homère vouloit et devoit peindre les Grecs, et non point les François ; son esprit demeuroit convaincu, sans être persuadé. Un goût antique (j'entends pour les idées de convention) l'eût éclairé plus que toutes les leçons de son adversaire.

enuent à l'a

gloire.

XV. J'ai dit, il y a un moment, que la raison Images art, autorisoit ces images artificielles; mais au tribunal ficielles tide l'amour de la gloire, je ne sais si la décision mour de la seroit la même. Nous aimons tous la gloire: mais rien n'est plus différent que la nature et le dégré de cet amour. Chaque homme varie dans sa manière de l'aimer. Cet écrivain n'aime que les éloges de ses contemporains. La mort met fin à

V. les Remarques de M. Despréaux sur Longin.

toutes

Et à la nature du

sujet.

toutes ses espérances et à toutes ses craintes. Le tombeau qui couvre son corps peut ensevelir son nom. Un tel homme peut sans scrupule employer des images familières aux seuls juges dont il recherche les applaudissemens. Cet autre lègue son nom à la postérité la plus reculée. Il se plait à penser que, mille ans après sa mort, l'Indien des bords du Gange, et le Laponois au milieu de ses glaces, liront ses ouvrages, et porteront envie au pays et au siècle qui l'ont vû naître.

Celui qui écrit pour tous les hommes ne doit puiser que dans des sources communes à tous les hommes, dans leur cœur et dans le spectacle de la nature. Le seul orgueil peut l'engager à passer ces limites. Il peut présumer que la beauté de ses écrits lui assurera toujours des Burmans, qui travailleront à l'expliquer, et qui l'admireront encore plus, parcequ'ils l'auront expliqué.

XVI. Non-seulement le caractère de l'auteur, mais encore celui de son ouvrage, influe à cet égard sur sa conduite. La haute poësie, l'épopée, la tragédie, et l'ode emprunteront plus rarement ces images que la comédie et la satire, parcequ'elles peignent les passions, et que celles-ci crayonnent les mœurs. Horace et Plaute sont presqu'inintelligibles à quiconque n'a pas appris à vivre, et à penser comme le peuple Romain. Le rival de Plaute, l'élégant Térence, est mieux entendu, parcequ'il a sacrifié la plaisanterie au bon goût, au lieu que Plaute a immolé les bienséances à la

• Vie de Bacon par Mallet, p. 27.

plaisanterie.

plaisanterie. Térence songeoit qu'il peignoit des Athéniens; tout dans ses pièces est Grec, hormis le langage:* Plaute savoit qu'il parloit à des Romains: on retrouve chez lui à Thèbes, à Athènes, à Calydon, les mœurs, les loix et jusqu'aux bâtimens de Rome.†

de l'enfance

XVII. Dans les poëtes héroïques, les mœurs, Contraste bien qu'elles ne fassent pas le fond de leurs tableaux, en ornent souvent le lointain. Il est impossible grandeur de de sentir le plan, l'art, et les détails de Virgile, sans être instruit à fonds de l'histoire, des loix, et de la religion des Romains, de la géographie de l'Italie, du caractère d'Auguste, de la relation singulière et unique que ce Prince soutenoit avec le sénat et le peuple. Rien de plus frappant, et de plus intéressant pour ce peuple, que le contraste de Rome couverte de paille, renfermant trois mille citoyens dans ses murs, avec cetté même Rome capitale de l'univers, dont les maisons étoient des palais, les citoyens des princes, et les provinces des

* V. Terent. Eunuch. Act. ii. Sc. ii. Heauton. Act. i. Sc. i. Les Cupedinarii dont parle Térence ne détruisent point cette réflexion. Ce mot (quand même on n'adopteroit pas la conjecture de Saumaise) étoit devenu d'un nom propre, un nom appellatif. V. Térence Eunuch. Act. ii. Sc. ii.

† Amphytr. Act. i. Sc. i. Quid faciam nunc, si Tresviri me in carcerem compegerint, &c.

V. les Dissertations de M. de la Bleterie sur le pouvoir des Empereurs. Mém de l'Acad. des Belles-Lettres, tom. xix. p. 357-457. tom. xxi. p. 299, &c. tom. xxiv. p. 261, &c. p. 279, &c.

§ Varron de Ling. Latina, L. iv. Dionys. Halycarn. L. xi. p. 76. Plutarch. in Romul.

empires.

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