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Controverse sur l'histoire

les bornes de l'univers. Mais la critique ne peut

elle

pas partager ce titre? Elle a même cet avantage: la géométrie s'occupe de démonstrations qui ne se trouvent que chez elle; la critique balance les différens dégrés de vraisemblance. C'est en les comparant que nous réglons tous les jours nos actions, que nous décidons souvent de notre sort.* Balançons des vraisemblances critiques.

XXVII. Notre siècle, qui se croit destiné à Romaine, changer les loix en tout genre, a enfanté un Pirrhonisme historique, utile et dangereux. M. de Pouilly, esprit brillant et superficiel, qui citoit plus qu'il ne lisoit, douta de la certitude des cinq premiers siècles de Rome; mais son imagination peu faite pour ces recherches, céda facilement à l'érudition et à la critique de M. Freret et de l'Abbé Sallier. M. de Beaufort fit revivre cette controverse, et l'histoire Romaine souffrit beaucoup des attaques d'un écrivain, qui savoit douter et qui savoit décider,

Traité entre

Rome et

XXVIII. Un traité des Romains et des CarCarthage. thaginois devint entre ses mains une objection accablante. Ce traité se rencontre chez Polybe,

Il s'agit principalement des élémens de la géométrie et de ceux de la critique.

Une définition claire de cette certitude sur laquelle on se disputoit, auroit pu abréger la controverse. "C'est la certitude historique." Mais cette certitude varie de siècle en siècle. Je crois en gros à l'existence et aux actions de Charlemagne : mais la certitude que j'en ai, n'est point égale à celle des exploits de Henri quatre.

1 V. Mém. de l'Acad. des Belles-Lettres, tom. vi. p. 14-190, Dissert. sur l'Incertit. de l'Hist. Rom. p. 33—46.

historien

historien exact et éclairé. L'original se conservoit à Rome de son tems. Cependant ce monument authentique contredit tous les historiens. L. Brutus et M. Horatius y paroissent comme exerçant le consulat ensemble, quoiqu'Horatius n'y parvint qu'après la mort de Brutus. Les Romains y ont des sujets qui n'étoient encore que leurs alliés. On entend parler de la marine d'un peuple qui ne construisit ses premiers vaisseaux que dans la première guerre Punique, deux cens cinquante ans après le consulat de Brutus. Quelles conclusions fatales ne tire-t-on pas de cette contrariété? Elles sont toutes au désavantage des historiens.

éclairci.

XXIX. Cette objection a fort embarrassé les Le traité adversaires de M. de Beaufort. Ils ont douté de l'authenticité de ce monument original. Ils en ont avancé la date. Tachons par une explication vraisemblable de concilier le monument et les historiens. Séparons d'abord la date d'avec le corps du traité. Celui-ci est du tems de Brutus. Celle- Les consuls: là est de la façon de Polybe ou de ses antiquaires Romains. Les noms des consuls ne se lisoient jamais dans les traités solemnels, dans les fœdera consacrés par toutes les cérémonies de la religion. Les seuls ministres de cette religion, les féciaux, les signoient: et cette circonstance distinguoit les fædera et les sponsiones. Nous devons ce détail à Tite Live. Il fait disparoître la difficulté. Les antiquaires

Polyb. Hist. L. iii. c. 22.

+ Spoponderunt consules, legati, quæstores, tribuni militum, nominaque eorum qui spoponderunt adhuc extant, ubi si ex

fœdere

Les sujets

des Romains.

antiquaires auront pris les féciaux pour les consuls. Mais sans songer à cette méprise, ces antiquaires, que rien n'obligeoit à la précision dans l'explication des monumens publics, ont marqué l'année du régifuge, par les noms célèbres du fondateur de la liberté et de celui du capitole. Il leur importoit peu de s'assurer s'ils exercèrent le consulat ensemble.

XXX. Les peuples d'Ardée, d'Antium, de Terracine n'étoient point sujets des Romains, ou s'ils l'étoient, les historiens nous ont donné une idée très fausse de l'étendue de la république. Transportons-nous dans le siècle de Brutus, et puisons dans la politique des Romains, une définition du terme d'allié assez éloignée de la nôtre. Rome, quoique la dernière colonie des Latins, songea de bonne heure à réunir toute cette nation sous ses loix. Sa discipline, ses héros et ses victoires lui acquirent bientôt une supériorité décidéc. Fiers, mais politiques, les Romains en usèrent avec une sagesse digne de leur bonheur. Ils comprirent que des cités mal-asservies arrêteroient les armes, épuiseroient les trésors, et corromproient les mœurs de la république. Sous le nom plus spécieux d'alliés, ils surent faire aimer leur joug aux vaincus. Ceuxci consentirent avec plaisir à reconnoître Rome pour la capitale de la nation Latine, et à lui fournir un corps de troupes dans toutes ses guerres. La république ne leur devoit qu'une protection, marque de sa souveraineté et qui leur coutoit si fœdere acta res esset præterquam duorum fecialium non extaTit. Liv. L. ix. c. 5.

rent.

cher.

cher. Ces peuples étoient alliés de Rome, mais ils virent bientôt eux-mêmes qu'ils en étoient esclaves.*

XXXI. Cette explication diminue la difficulté, me dira-t-on, mais ne la dissipe pas. Txo, l'expression dont se sert Polybe, signifie sujet, dans le sens propre du mot. Je ne le contesterai pas. Mais nous n'avons que la traduction de ce traité; et si l'on accorde à ses copies une confiance conditionelle pour le fond des choses, il ne doit pas être permis de rien conclure de leurs expressions prises à la rigueur. Les assemblages d'idées sont si arbitraires, les nuances si légères, les langues si différentes, que le plus habile traducteur peut chercher des expressions équivalentes, mais n'en trouve guères que de semblables.† Le langage de ce traité étoit ancien. Polybe se fia aux antiquaires Romains. La vanité leur grossit les objets. Fœderati ne signifie pas des alliés égaux: rendons-le, dirent ils, par sujets.

marine.

XXXII. La marine des Romains embarrasse en- Leur core nos critiques. Polybe nous assure que la flotte de Duillius fut leur premier essai dans ce genre. Eh bien, Polybe se trompe, puisqu'il se contredit; voilà toute ma conclusion. Mais en admettant même son récit, l'histoire Romaine ne s'écrouleroit cependant pas. Voici une hypothèse

* Tit. Liv. L. viii. c. 4.

Le préteur Annius appelle le gouvernement des Romains, Regnum impotens.

+ V. Cleric. Ars Critic. L. ii. c. 2. § 1, 2, 3.

Polyb. L. i. c. 20.

Réflexions sur cette dis

pute.

qui explique ce phénomène d'une manière raisonnable; et c'est tout ce qu'on est en droit d'exiger d'une hypothèse. Tarquin opprime le peuple et les soldats. Il s'approprie tout le butin. On se dégoûte de la milice. On équipe de petits bâtimens qui font des courses sur mer. La république naissante les protège, mais met un frein par ce traité à leurs déprédations. Des guerres continuelles, la paye qu'on accorde aux troupes de terre, font négliger la marine; et dans un siècle ou deux, on oublie qu'elle a jamais existé.* Polybe aura parlé d'une façon un peu trop générale.

XXXIII. D'ailleurs la première marine des Romains ne pouvoit être composée que de bâtimens à cinquante rames. Gelon et Hieron construisirent des vaisseaux plus grands. † Les Grecs et les Carthaginois les imitèrent; et dans la première guerre Punique, les Romains mirent en mer de ces vaisseaux à trois ou quatre rangs de rames, qui étonnent encore nos antiquaires et nos méchaniciens. Cet armement étoit bien propre à faire oublier leurs essais antiques et grossiers.

XXXIV. J'ai défendu avec plaisir une histoire

* Je ne dis rien de la flotte qui parut devant Tarente. Je crois que les vaisseaux appartenoient aux habitans de Thuricun. Voyez Freinsheim Supplem. Livian. L. xii. c. 8.

+ Arbuthnot's Tables, p. 225. Hist. du commerce des anciens, par Huet. c. 221.

On peut voir une autre hypothèse du célèbre M. Freret. Elle plait par sa simplicité, mais elle me paroît insoutenable.— Voy. Mémoires de l'Académ. des Belles-Lettres, tom. xviii. p. 102, &c.

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