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Eclaircissemens et restrictions.

"Déjà de traits en l'air s'élevoit un nuage;

Déjà couloit le sang prémices du carnage.'

Le nom d'Enée fait tomber les armes aux ennemis. Ils craignent de combattre ce guerrier, dont la gloire s'élève des cendres de sa patrie. Ils courent embrasser ce prince annoncé par tant d'oracles, qui leur apporte du fond de l'Asie, ses dieux, une race de héros, et la promesse de l'empire de l'univers. Latinus lui offre un asile et sa fille. Quel coup de théâtre! Qu'il étoit digne de la majesté de l'épopée, et de la plume de Virgile! Qu'on lui compare, si on l'ose, l'ambassade d'Ilioneus, le palais de Latinus, et le discours du monarque.‡

XXXVIII. Que le poëte, je le répète encore, ose hasarder, pourvû que le lecteur retrouve toujours dans ses fictions, ce même dégré de plaisir que la vérité et les convenances lui eussent offert. Qu'il ne bouleverse pas les annales d'un siècle pour dire une antithèse. L'invention ne trouvera pas cette loi trop sévère, si elle réfléchit que le sentiment appartient à tous les hommes, que les connoissances ne sont le partage que d'un petit nombre, et que le beau agit plus puissamment sur l'ame que le vrai sur l'esprit. Qu'elle se souvienne toutefois qu'il est des écarts que rien ne peut faire oublier. L'imagination forte de Milton, la versification harmonieuse de Voltaire, ne nous reconcilieroient jamais avec César lâche, Catilina ver

Racin. Iphig. Act v. Sc. dern.

Tit. Liv. L. i. c. 1.

Virg. Æneid. L. vii. v. 148. jusqu'à 285..

tueux, Henri IV. vainqueur des Romains. Disons en rassemblant nos idées, que les caractères des grands hommes doivent être sacrés; mais que les poëtes peuvent écrire leur histoire, moins comme elle a été, que comme elle eût dû être; qu'une création nouvelle révolte moins que des changemens essentiels, parce que ceux-ci supposent l'erreur, et celle-là une simple ignorance; et qu'enfin on rapproche plus aisément les tems que les lieux.

On doit sans doute de l'indulgence aux siècles reculés, où les systêmes des chronologistes sont les fictions des poëtes, à l'agrément près. Quiconque ose condamner l'épisode de Didon est plus philosophe ou moins homme de goût que moi.*

XXXIX.

* On peut douter cependant si cet épisode blesse la véritable chronologie. Dans le systême plausible du Chevalier Newton, Enée et Didon se trouvent contemporains (1). Les Romains devoient mieux connoître l'histoire de Carthage que les Grecs. Les archives de Carthage étoient passées à Rome (2). La langue Punique y étoit assez connue (3). Les Romains consultoient volontiers les Africains sur leurs origines (4). D'ailleurs (et c'est assez pour disculper notre poëte) Virgile adopte une chronologie plus conforme aux supputations de Newton qu'à celles d'Eratosthène. Peut-être on ne sera pas fâché de voir les preuves de ce sentiment.

Sept ans suffirent à peine au courroux de Junon et aux voyages d'Enée. C'est Didon qui me l'apprend;

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Nam te jam septima portat

"Omnibus errantem terris et fluctibus ætas (5).”

(1) V. Newton's Chronology of Ancient Kingdoms reformed, p. 32.

(2) Universal History, tom. xviii. p. 111, 112.

(3) Plaut. Penul. Act. v. Sec. 1.

(4) Sallust. in Bell. Jugurth. c. 17. Ammian Marcel. L. xxii. Mem. de l'Acad. des Belles Lettres, tom. iv. p. 464.

(5) Virgil. Æneid. L. i. v. 755.

VOL. IV.

E

Quelques

LES SCI

ENCES NA

XXXIX. Plus on a approfondi les sciences, TURELLES. plus on a vu qu'elles étoient toutes liées. On a

cru

Quelques mois après il arriva au bord du Tibre. Ce fut-là que
le Dieu du fleuve lui apparut, lui prédit de nouveaux combats,
mais lui fit espérer une fin glorieuse à ses maux. Un prodige
confirma l'oracle. Une truie couchée sur le rivage montroit, par
ses trente petits qui l'environnoient, le nombre d'années qui de-
voient s'écouler avant que le jeune Ascagne jettât les fondemens
d'Albe:

"Jamque tibi, ne vana putes hæc fingere somnum,
Littoreis ingens inventa sub ilicibus sus,
Triginta capitum fœtus enixa, jacebit;
Alba, solo recubans, albi circum ubera nati.
Hic locus urbis erit, requies ea certa laborum:
Ex quo ter denis urbem redeuntibus annis
Ascanius clari condet cognominis Albam." (1)

Cette ville demeura pendant trois cens ans le siège de l'empire et
le berceau des Romains;

"Ilic jam ter centos totos regnabitur annos

Gente sub Hectorea." (2)

Ce sont-là les expressions que Virgile met à la bouche de Ju-
piter. Nos chronologistes s'embarrassent peu de faire tenir sa
parole au Maître du tonnerre. Ils font détruire la ville d'Albe
par Tullus Hostilius près de cinq cens ans après sa fondation, et
environ cent ans après celle de Rome (3). Mais tout s'applanit
dans le systême de Newton. La prise de Troyes, placée à l'an
904, et suivie d'un intervalle de 337 ans, nous conduit à 567, 60
ans après les Palilia, époque qui quadre au mieux avec le règne
du troisième successeur de Romulus (4). Une ancienne tradition
conservée par Plutarque (5) y coincide avec précision. On dé-
terra les livres de Numa. An. ant. Chr. 181, quatre cens ans
après la mort de ce roi et le commencement du règne d'Hostilius.
Numa mourut donc 581 ans avant l'ère Chrétienne. Quel art

(1) Virgil. Æneid. L. viii. v. 42.
(3) V. les Tables Chronolog, d'Helvicus,
(4) Newton's Chronology, p. 52, &c.

(2) Idem. L. i. v. 272.
è l. ann. A. C. 656, &c.
(5) V. Plutarch. in Numa.

dans

cru voir un bois immense. Au premier coup d'œil tous les arbres qui le formoient paroissoient isolés,

dans le poëte de saisir le moment où Enée arrive à Carthage, pour répondre à ses critiques, de la seule manière que la rapidité de sa marche et la grandeur de son sujet pouvoient le lui permettre! Il leur fait sentir que dans ses hypothèses la rencontre de Didon et d'Enée n'est point une licence poëtique. Virgile n'est point le seul qui ait revoqué en doute la chronologie vulgaire des rois Latins. Je le soupconne même d'avoir puisé ses idées dans les ouvrages de son contemporain Trogue-Pompée. Cet historien, le rival de Tite-Live et de Salluste (1), donnoit au royaume d'Albe la même durée de trois cens ans. Si son histoire universelle ne s'étoit pas perdue, nous y verrions apparemment le détail et les preuves de cette opinion. A présent il faut nous contenter d'en lire la simple exposition chez son abbréviateur. "Albam longam condidit quæ trecentis annis caput regni fuit." (2) TiteLive lui-même, ce père de l'histoire Romaine, qui fait paroître quelquefois tant d'attachement à la chronologie reçue (3), mais qui glisse d'ordinaire sur les endroits scabreux, d'une façon qui montre sa bonne foi et son ignorance, semble se défier de ses guides dans ces siècles reculés. Rien de plus naturel que de marquer la durée du règne de chaque roi Latin dont il rapporte le nom (4)! Or il se tait sur cet article. Rien de plus nécessaire que de fixer au moins l'intervalle entre Enée et Romulus ; il ne le fait point. Ce n'est pas tout. "La destruction d'Albe, dit il, suivit de 400 ans sa fondation." (5) En retranchant cent ans pour les règnes de Romulus et de Numa, et pour la moitié de celui d'Hostilius, il nous en restera 300 au lieu de 400 que nous donneroit la chronologie d'Eratosthène. Tite-Live est donc d'accord avec Virgile à peu de chose près; et cette petite différence affermit leur union plutôt qu'elle ne l'affoiblit. Je prévois une objection, mais des plus minces. Y répondre ce seroit créer des monstres pour les combattre; ainsi, je finis cette digression déjà trop longue.

(1) Flav. Vopisc. in Proem. Aurelian.
(3) Tit. Liv. L. i. c. 18. et alibi passim.
(5) Tit. Liv. L. i. c. 29.

(2) Justin. L. xliii. c. 1,
(4) Idem. 1. i. c. 29.

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Liaison de

térature.

mais a-t-on percé la superficie, on a vu que toutes les racines étoient entremêlées.

Il n'y a point d'étude, pas même la plus chétive et la moins connue, qui n'offre quelquefois des faits, des ouvertures, des objections à la plus sublime et à la plus éloignée des connoissances. J'aime à peser sur cette considération. Il faut faire voir aux nations et aux professions différentes, leurs besoins réciproques. Montrez à l'Anglois les avantages du François; faites connoître au physicien les secours que la littérature lui présente; l'amourpropre supplée à ce que la discrétion vous a fait supprimer. Ainsi la philosophie s'étend: l'humanité gagne. Les hommes étoient rivaux; ils sont frères.

XL. Dans toutes les sciences nous nous apla physique et de la lit puyons sur les raisonnemens et sur les faits. Sans ceux-ci nos études seroient chimériques: privées de ceux-là elles ne sauroient être qu'aveugles. C'est ainsi que les Belles Lettres sont mélangées. · Toutes les branches de l'étude de la nature, qui cache souvent sous une petitesse apparente une grandeur réelle, le sont pareillement. Si la physique a ses Buffons, elle a aussi (pour parler le langage du tems) ses érudits. La connoissance de l'antiquité leur offre aux uns et aux autres, une riche moisson de faits propres à dévoiler la nature, ou du moins à empêcher ceux qui l'étudient, de prendre un nuage pour une divinité. Quelles lumières le médecin ne puise-t-il pas dans la description de la peste qui désola Athènes? J'admire avec lui la force majes

tueuse

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