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est la sci

causes et

XLVIII. L'histoire est pour un esprit philoso- L'histoire phique, ce qu'étoit le jeu pour le Marquis de Dan- ence des geau.* Il voyoit un systême, des rapports, une des effets. suite, là, où les autres ne discernoient que les caprices de la fortune. Cette science est pour lui celle des causes et des effets. Elle mérite bien que j'essaie de poser quelques règles propres, non à faire germer le génie, mais à le garantir des écarts: peutêtre que si on les avoit toujours bien pesées, on auroit pris plus rarement la subtilité pour la finesse d'esprit, l'obscurité pour la profondeur, et un air de paradoxe pour un génie créateur.

choisir les

XLIX. Parmi la multitude des faits, il y en a, Règles pour et c'est le grand nombre, qui ne prouvent rien faits. au delà de leur propre existence. Il y en a encore qui peuvent bien être cités dans une conclusion partielle, d'où le philosophe peut juger des motifs d'une action, et d'un trait dans un caractère: ils éclaircissent un chainon. Ceux qui dominent dans le systême général, qui y sont liés intimément, et qui en ont fait mouvoir les ressorts, sont fort rares; et il est plus rare encore de trouver des esprits qui sachent les entrevoir dans le vaste cahos des événemens, et les en tirer purs et sans mélange.

A ceux qui ont plus de jugement que d'érudition, il paroîtra peu nécessaire d'avertir qu'on doit toujours proportionner les causes aux effets, ne pas bâtir sur l'action d'un homme le caractère d'un siècle, ne pas chercher dans un effort unique, forcé

Fonten. dans l'Eloge du Marq. de Dangeau.

et

et ruineux, la mesure des forces et des richesses d'un état, et se souvenir que ce n'est qu'en rassemblant qu'on peut juger, qu'un fait éclatant éblouit comme un éclair, mais qu'il instruit peu, si l'on ne le compare avec d'autres de la même espèce. Le peuple Romain fit voir en élisant Caton, qu'il aimoit mieux être corrigé que flatté, dans ce même siècle, où il condamna la même sévérité dans la personne de Livius Salinator.†

L. Déférez plutôt aux faits qui viennent d'euxmêmes vous former un systême, qu'à ceux que vous découvrez après avoir conçu ce systême. Préférez souvent les petits traits aux faits brillans. Il en est d'un siècle ou d'une nation comme d'un homme. Alexandre se dévoile mieux dans la tente de Darius que dans les champs de Guagmela. Je reconnois tout autant la férocité des Romains à les voir condamner un malheureux dans l'amphithéâtre, qu'à les considérer qui étranglent un roi captif au pied du Capitole. Il n'y a point d'apparat dans les bagatelles. On se déshabille lors qu'on espère n'être pas vu; mais le curieux cherche à pénétrer dans les retraites les plus secrettes. Pour décider si la vertu triomphoit chez un peuple dans un certain siècle, j'observe plutôt ses actions que ses discours. Pour le condamner comme vicieux, je fais plus attention à ses discours qu'à ses actions. On loue la vertu sans la connoître, on la connoît sans la sentir, on la sent sans la pratiquer; mais il

Liv. L. xxxix. c. 40. Plutarch. in Caton.

† Liv. L. xxix. c. 37.

Quint. Curt. de Reb. Gest. Alexandri, L. iii. c. 32.

en

en est bien différemment du vice. On s'y porte par passion; on le justifie par raffinement. D'ail leurs, il y a toujours et partout de grands criminels; mais si la corruption n'est pas générale, ceux-ci même respectent leur siècle. Si le siècle est vicieux, (et ils sont habiles à le discerner,) ils le méprisent, ils se montrent à découvert, ils bravent ses jugemens, ou ils espèrent de se les rendre favorables. Ils ne se trompent guères. Celui qui dans le siècle de Caton eût détesté le vice, se contente d'aimer la vertu dans celui de Tibère.

de Tibère

vicieux de

LI. J'ai choisi ce siècle avec réflexion. Le vice Le siècle parvint alors à son comble. La cour de Tibère me le plus l'apprend, mais un petit fait conservé par Suétone tous. et par Tacite, m'en assure encore mieux; le voici : la vertu des Romains punissoit de mort l'incontinence chez leurs femmes.* Leur politique permettoit la débauche chez les courtisannes :† et

pour

• Les Romains confioient le soin de la vertu des femmes à leur famille. Celle-ci s'assembloit, la jugeoit, si elle étoit accusée; la condamnoit à mort et exécutoit la sentence, si elle se trouvoit coupable. La loi pardonnoit aussi au courroux du mari ou du père qui tuoit le galant, surtout s'il étoit de condition servile. V. Plutarch. in Romul. Dionys. Halicarn. L. vii. Tacit. Annal. L. xiii. Valer. Maxim. L. vi. c. 3-7. Rosin. Antiq. Rom. L. viii. p. 859, &c.

+ Le discours de Micio dans Térence, la manière dont Cicéron excuse les débauches de son client, et l'exhortation de Caton, peuvent nous faire connoître la morale des Romains à cet égard. Ils ne blâmoient la débauche que lorsqu'elle détournoit le citoyen de ses devoirs essentiels.

Leurs oreilles n'étoient pas plus chastes que leur conduite : peu de gens connoissent la Casina de Plaute, mais ceux qui ont lu cette misérable pièce, ne peuvent comprendre qu'il n'y ait eu

VOL. IV.

I

que

Parallèle de
Tacite et de

pour régler le désordre même, on les forma en
corps. Sous Tibère un grand nombre de femmes
de condition ne rougirent point de se présenter
publiquement devant leurs édiles, de se faire in-
scrire dans le rôle des courtisannes, et de briser par
leur propre infamie, la barrière
les loix oppo-
que
soient à leur prostitution.*

LII. Choisir les faits qui doivent être les prinTite-Live. cipes de nos raisonnemens, on sent combien la tâche est difficile. La négligence ou le mauvais goût d'un historien peuvent nous faire perdre à jamais un trait unique, pour nous étourdir du bruit d'un combat. Si les philosophes ne sont pas toujours historiens, il seroit du moins à souhaiter que les historiens fussent philosophes.

Je ne connois que Tacite qui ait rempli mon idée de cet historien philosophe. L'intéressant Tite-Live lui-même ne sauroit en ce sens lui être comparé. L'un et l'autre ont bien su s'élever audessus de ces compilateurs grossiers que ne voyent dans les faits que des faits: mais l'un a écrit l'histoire en rhéteur, et l'autre en philosophe. Ce n'est pas que Tacite ait ignoré le langage des passions. ou Tite-Live celui de la raison: mais l'un, plus at

que quarante à cinquante ans de cette farce à l'Andrienne. Une intrigue sale d'esclaves, n'y est relevée que par des pointes et des obscénités dignes d'eux. C'étoit cependant la comédie de Plaute qu'on voyoit avec le plus de plaisir, et qu'on redemandoit le plus souvent. Voilà les mœurs de la seconde guerre Punique, de cette vertu que la postérité des anciens Romains regrettoit et admiroit. V. Terent. Adelph. Act. i. Sc. 2. v. 38. Cicero pro Cœlio, c. 17. Horat. Satir. L. i. Sat. 2. v. 29. II. Prolog, ad Casin. Plaut.

* Sueton. L. iii. c. 35. Tacit. Annal. L. ii. c. 85.

tache

taché à plaire qu'à instruire, vous conduit pas-à-pas à la suite de ses héros, et vous fait éprouver tourà-tour, l'horreur, l'admiration et la pitié. Tacite ne se sert de l'empire que l'éloquence a sur le cœur, que pour lier à vos yeux la chaine des événemens, et remplir votre ame des plus sages leçons. Je gravis sur les Alpes avec Annibal; mais j'assiste au conseil de Tibère. Tite-Live me peint l'abus du pouvoir, une sévérité que la nature approuve en frémissant, la vengeance et l'amour qui s'unissent à la liberté, la tyrannie qui tombe sous leurs coups: mais les loix des décemvirs, leur caractère, leurs. défauts, leurs rapports enfin avec le génie du peuple Romain, avec le parti des décemvirs, avec leurs desseins ambitieux, il les oublie totalement. Je ne vois point chez lui comment ces loix faites pour une république bornée, pauvre, à demi-sauvage, la bouleversèrent, lorsque la force de son institution l'eut portée au faîte de la grandeur. Je l'aurois trouvé dans Tacite. J'en juge, non-seulement par la trempe connue de son génie, mais encore par ce tableau énergique et varié qu'il offre des loix, ces enfans de la corruption, de la liberté, de l'équité et de la faction.†

sur une idée

lembert.

LIII. Ne suivons point le conseil de cet écri- Remarque vain qui unit, comme Fontenelle, le savoir et le de M. D'Agoût. Je m'oppose, sans crainte du nom flétrissant d'érudit, à la sentence par laquelle ce juge éclairé, mais sévère, ordonne qu'à la fin d'un siècle on rassemble tous les faits, qu'on en choisisse quel

* Liv. L. iii. c. 44—60.

↑ Tacit. Annal. L. iii. p. 84. edit. Lips.

F 2

ques

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