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On a fait les

hommes

matiques ou

cieux.

ques-uns et qu'on livre le reste aux flammes.* Conservons-les tous précieusement. Un Montesquieu démêlera dans les plus chétifs, des rapports inconnus au vulgaire. Imitons les botanistes. Toutes les plantes ne sont pas utiles dans la médecine, cependant ils ne cessent d'en découvrir de nouvelles. Ils espèrent que le génie et les travaux heureux y verront des propriétés jusqu'à présent cachées.

LIV. L'incertitude est pour nous un état forcé. trop systé L'esprit borné ne sauroit se fixer dans cet équilibre trop capri- dont se piquoit l'école de Pyrrhon. Le génie brillant se laisse éblouïr par ses propres conjectures : il sacrifie la liberté aux hypothèses. De cette disposition naissent les systêmes. On a vu du dessein dans les actions d'un grand homme; on a apperçu un ton dominant dans son caractère, et des spéculatifs de cabinet ont aussitôt voulu faire de tous les hommes, des êtres aussi systématiques dans la pratique que dans la spéculation. Ils ont trouvé de l'art dans leurs passions, de la politique dans leurs foiblesses, de la dissimulation dans leur inconstance; en un mot, à force de vouloir faire honneur à l'esprit humain, ils en ont souvent fait bien peu au cœur.

Justement choqués de leur raffinement, et fâchés de voir étendre à tous les hommes, des prétensions qu'on eût dû borner à un Philippe ou à un César, des esprits plus naturels se sont jettés dans l'autre extrême. Ils ont banni l'art du monde moral, pour y substituer le hasard. Selon eux les foibles mortels n'agissent que par caprice. La fureur d'un

* D'Alemb. Mélanges de philosophie et de littérature, vol. ii. p. 1.

écervele

écervelé établit un empire: la foiblesse d'une femme le détruit.

nérales,

minées.

LV. L'étude des causes déterminées, mais géné- Causes gé rales, doit plaire aux uns et aux autres. Ceux-ci mais détery voyent avec plaisir l'homme humilié, les motifs de ses actions inconnus à lui-même, lui-même le jouet des causes étrangères, et de la liberté de chacun, l'origine d'une nécessité générale. Ceux-là y retrouvent l'enchainement qu'ils aiment, et les spéculations dont leur esprit se nourrit.

Qu'une vaste carrière s'ouvre à mes réflexions! La théorie de ces causes générales seroit entre les mains d'un Montesquieu, une histoire philosophique de l'homme. Il nous les feroit voir réglant la grandeur et la chute des empires, empruntant successivement les traits de la fortune, de la prudence, du courage, et de la foiblesse, agissant sans le concours des causes particulières, et quelquefois même triomphant d'elles. Supérieur à l'amour de ses propres systêmes, dernière passion du sage, il auroit su reconnoître que, malgré l'étendue de ces causes, leur effet ne laisse pas d'être borné, et qu'il se montre principalement dans ces événemens généraux, dont l'influence lente mais sûre change la face de la terre, sans qu'on puisse s'appercevoir de l'époque de ce changement, et surtout dans les mœurs, les religions, et tout ce qui est soumis au joug de l'opinion. Voilà une partie des leçons que ce philosophe eût tirées de ce sujet. Pour moi, j'y trouve simplement une occasion de m'essayer à penser. Je vais indiquer quelques faits intéressans, et tâcherai ensuite d'en rendre raison.

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Système de

LVI. Nous connoissons le paganisme, ce syspaganisme. tême riant, mais absurde, qui peuple l'univers d'êtres fantasques, dont la puissance supérieure ne les rend que plus injustes et plus insensés que nous-mêmes. Quelle fut la nature et l'origine de ces dieux? Furent-ils des princes, des fondateurs de sociétés, des grands hommes inventeurs des arts? Une reconnoissance ingénieuse, une admiration aveugle, une adulation intéressée plaça-t-elle dans le ciel, ceux qui pendant leur vie avoient été nommés les bienfaiteurs de la terre? Ou bien faut-il reconnoître dans ces divinités, autant de parties de l'univers auxquelles l'ignorance des premiers hommes avoit accordé la vie et la pensée? Cette question est digne de notre attention; elle est curieuse, mais elle est difficile.

Difficultés

de connoître une reli

gion.

LVII. Nous ne connoissons guères le systême du Paganisme que par les poëtes et par les pères de l'église, les uns et les autres très adonnés aux fictions. Les ennemis d'une religion ne la connoissent jamais, parcequ'ils la haïssent, et souvent la haïssent parcequ'ils ne la connoissent pas. Ils adoptent contr'elle, avec empressement, les calomnies les plus atroces. Ils imputent à leurs aclversaires des dogmes qu'ils détestent, et des conséquences auxquelles ils n'ont jamais songé. Les

Il faut cependant distinguer Homère, Hésiode, Pindare, et les poëtes tragiques, qui vécurent pendant que la tradition étoit plus pure.

+ Voyez sur cette article la Recherche Libre du Docteur Midleton, et l'Histoire du Manichéisme de M. de Beausobre, deux beaux monumens d'un siècle éclairé.

sec

vertu.

sectateurs d'une religion, de l'autre côté, remplis de cette foi qui se fait un crime de douter, sacrifient pour sa défense, leur raison et même leur Forger des prophéties, ou des miracles, pallier ce qu'ils ne peuvent défendre, allégoriser ce qu'ils ne peuvent pallier, et nier hardiment ce qu'ils ne peuvent allégoriser, sont des moyens que jamais dévot n'a rougi d'employer. Rappellonsnous les Chrétiens et les Juifs. Interrogez leurs ennemis sur leur compte; c'étoient des magiciens et des idolâtres,* eux, dont le culte étoit aussi épuré, que leurs mœurs étoient sévères. Jamais Musulman n'a hésité sur l'unité de Dieu.† Cependant combien de fois nos bons ayeux ne les ont-ils pas accusés d'adorer les astres? Dans le sein même de ces religions, il s'est élevé cent sectes différentes, qui, s'accusant les unes les autres d'avoir corrompu leur dogmes communs, ont inspiré la fureur aux peuples et la modération aux sages. Cependant ces peuples étoient civilisés, et des livres reconnus pour être émanés de la divinité fixoient les principes de leur croyance. Mais où trouver ces principes, dans un amas confus de fables, qu'une tradition isolée, contradictoire, altérée, dictoit à quelques tribus de sauvages dans la Grèce?

Tacit. Hist. L. v. Fleury. Hist. Eccles. tom. i. p. 369. et tom. ii. p. 5, et les Apologies de Justin Martyr et de Tertullien, qui y sont citées.

+ D'Herbelot. Bibliot. Orient. Artic. Allah. p. 100, et Sale's Alcoran. Prelim. Disc. p. 71.

↑ Reland. de Rel. Mahomm. Part ii. c. 6 & 7.

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Le raison

nement

nous aidera secours.

peu.

le culte ré

ciproque

des sectes

Payennes.

Crésus envoye à Delphes. Alexandre consulte

l'oracle de Jupiter Ammon.

LVIII. Le raisonnement nous est ici d'un foible Il est absurde de consacrer des temples à ceux dont on voit les sépulcres. Qu'y a-t-il de trop absurde pour les hommes? Ne connoît-on pas des nations très éclairées, qui en appellent au témoignage des sens pour les preuves d'une religion, dont un dogme principal contredit ce témoi gnage? Cependant si les dieux du paganisme avoient été des hommes, le culte réciproque* que leurs adorateurs leur rendoient, eût été bien peu raisonnable, et une tolérance peu raisonnable n'est pas l'erreur du peuple.

LIX. Crésus fait consulter l'oracle de Delphes,† Alexandre traverse les sables brûlans de la Lybie pour demander à Jupiter Ammon s'il est son fils. Mais ce Jupiter Grec, ce roi de Crète, devenu le maître de la foudre, n'en eût-il pas écrasé cet Ammon, ce Lybien, ce nouveau Salmonée, qui tentoit de la lui arracher? Deux rivaux se disputent l'empire de l'univers, peut-on à la fois les reconnoître tous deux? Mais si l'un et l'autre ne furent que l'éther, le ciel, la même divinité, le Grec et l'Africain l'auront désigné par les symboles qui convenoient à leurs mœurs, et par les noms que leurs langues leur fournissoient pour exprimer ses attributs. Mais loin de nous les raisonnemens, ce sont les faits qu'il faut interroger. Ecoutons leur réponse.

Vide Warburton's Divine Legation, tom. i. p. 270–276. ↑ Herodot. Lib. i.

Diodor. Sic. lib. xvii. Quint. Curt. lib. iv. cap. 7. Arrian,

lib. iii.

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