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magistrature. Il connaissait trop les hommes et les convenances : il avait reçu de la nature un esprit proportionné à son immense talent. Comment donc un écrivain qui se glorifiait avec raison d'être son élève n'a-t-il pas imité sa circonspection? Connu sur la scène tragique par des chutes plus ou moins fortes et des succès plus ou moins faibles, comment n'a-t-il pas craint, en rabaissant les talens de Ducis, de laisser apercevoir une envieuse partialité? Serait-ce par une suite du même sentiment qu'il n'a trouvéni éloquence ni philosophie dans les éloges composés par Garat? N'a-t-il pas jugé plus que légèrement Palissot, littérateur si éclairé, qui dans sa prose élégante rappelle l'école de Port-Royal, et qui, dans le vers de la comédie, n'est pas inférieur à Gresset? Enfin n'a-t-il pas eu ses raisons pour affecter de méconnaître le beau talent de Lebrun dans la poésie lyrique? De tout cela qu'est-il arrivé? Quelques gens ont traité La Harpe ainsi qu'il a traité ses rivaux : indulgent pour lui-même et pour lui seul, il s'attribue les qualités qu'il n'a pas; on lui a contesté celles qu'il possède. Assurément, comme critique, il occupe un rang élevé, quoique son Cours de littérature soit beaucoup trop long pour la somme d'idées qu'il renferme. Comme orateur, ses éloges de Fénélon et de Racine sont estimables, quoiqu'il soit très inférieur en ce genre à Thomas, à Garat, à l'abbé Maury lui-même, pour l'harmonie, le mouvement, la chaleur, et non moins inférieur à Champfort pour l'esprit, la finesse et la précision. Comme poète, quelques-uns de ses discours en vers offrent des tirades heureuses; l'Ombre de Duclos, des traits piquans; Tangu et Félime, plusieurs détails agréables. S'il est au-dessous du médiocre dans ses odes, même en y comprenant ses dithyrambes, s'il est froid et sans imagination dans ses tragédies, du moins dans un style plus tempéré, qui par là même lui convient mieux, Mélanie, son plus beau titre de gloire, offre une diction constamment pure, éloquente et pathétique; c'est ce qu'il fallait, et ce qu'il faut encore rappeler; mais les déclamations de La Harpe contre des opinions qu'il a professées

OEuvres anciennes. III.

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pendant quarante ans; ses attaques inconsidérées ; ses menaces lentes quand il n'attaque pas encore; cette férule qu'il ne dépose jamais; son intolérance littéraire, politique et religieuse voilà ce qui a soulevé contre lui tous les partis, toutes les classes de lecteurs; voilà ce qui a révolté jusqu'aux hommes qui, malgré la différence d'opinion sur des points importans, étaient le mieux disposés pour lui, qui se faisaient un plaisir de rendre justice à son mérite littéraire, et qui auraient donné l'exemple de respecter sa vieillesse, si lui-même avait su la respecter.

ÉLÉGIES.

LA MORT

DU GÉNÉRAL HOCHE.

1798.

LE VIEILLARD D'ANCENIS1.

O mes fils! partageons les communes douleurs,
Pleurons: Nantes gémit, Angers verse des pleurs;
Un long crêpe a couvert ces riantes vallées;
Au bord du fleuve ému, nos tribus désolées
Célèbrent un héros qu'enferme le cercueil:
Hoche n'est plus, mes fils; et la France est en deuil!
Il ne brillera plus sur un char de victoire,
L'heureux libérateur des rives de la Loire ;
Puissant par la clémence et grand par les bienfaits,
Après avoir su vaincre, il sut donner la paix.

Vous connaissez l'ormeau qu'entouraient nos familles,

1. Cetté élégie a été lue à une séance publique de l'Institut: elle est imprimée dans les Mémoires de cette compagnie, Littérature et Beaux-arts, tom. III, pag. 30-36.

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