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Quelques amis des arts, un peu d'ombre et des fleurs; Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.

Ah! laissons là nos jours mêlés de noirs orages: Voulons-nous remonter le long fleuve des âges? Partout la calomnie a de traits imposteurs

Du genre humain trompé noirci les bienfaiteurs. Contre leur souvenir elle ose armer l'histoire : Dans la nuit, sur le seuil du temple de mémoire, Elle veille et combat l'auguste vérité,

Qui s'avance à pas lents vers la postérité.
Aux intrigues de cour c'est elle qui préside;
Souvent elle embrasa de sa flamme homicide
Le tribunal auguste où dut siéger Thémis.
O juges des Calas, vous lui fûtes soumis.
Ses clameurs poursuivaient Abailard sous la haire,
L'Hospital au conseil, Fénélon dans la chaire,
Turenne et Luxembourg sous les tentes de Mars;
Denain même la vit sur les pas de Villars;
Et Catinat, couvert des lauriers de Marsailles,
Au lever de Louis la trouva dans Versailles.
Les Cévennes long-temps ont redouté sa voix;
Elle guidait Bâville; elle inspirait Louvois.
N'est-ce pas elle encor qui, dans Athène ingrate,
Exilait Aristide, empoisonnait Socrate;
Qui dans Rome opprimée égorgeait Cicéron,
Ouvrait les flancs glacés du maître de Néron?
Elle espéra flétrir de son poison livide

OEuvres anciennes. III.

2

La palme de Virgile et le myrte d'Ovide.
Si l'arrêt d'un tyran fait massacrer Lucain,
Chez un peuple asservi chantre républicain;
Du vulgaire envieux si la haine frivole
A l'Homère toscan ferme le capitole ;

Si je vois du théâtre et l'amour et l'orgueil,
Molière, admis à peine aux honneurs du cercueil;
Milton vivant proscrit, mourant sans renommée,
Et la muse du Tage à Lisbonne opprimée;
Helvétius contraint d'abjurer ses écrits;

Le Pindare français, loin des murs de Paris
Fuyant avec la gloire, et cherchant un asile;
Les cités se fermant devant l'auteur d'Émile;
Sur l'éternel fléau de leurs jours malheureux
J'interroge en pleurant ces mortels généreux :
Leurs mânes irrités nomment la calomnie.
On ne vit pas toujours son audace impunie.
Pope chez les Anglais, Voltaire parmi nous,
Souillés des noirs venins de ses serpens jaloux,
Repoussant les conseils d'une molle indulgence,
A leurs vers enflammés dictèrent la vengeance.
Guidé par le plaisir vers ces divins écrits,
Le lecteur indigné confond dans son mépris
Les Blackmores français, les Frérons d'Angleterre;

I

1. Blackmore (Richard), littérateur anglais, et auteur de plusieurs poèmes presque tous morts-nés. Addisson cependant ne lui refusait pas quelque talent; il fit même l'éloge de son poème

L'avenir tout entier leur déclare la guerre;
Pour l'effroi des méchans, un immortel burin
Grava ces noms flétris sur des tables d'airain.
O poètes de l'homme, et mes brillans modèles,
Ainsi que vous noirci de crayons infidèles,
A Windsor, à Ferney, sous de rians berceaux,
J'irai de vos couleurs abreuver mes pinceaux;
Et si, dans les transports d'un délire homicide,
Prenant leurs faibles traits pour les flèches d'Alcide,
Langlois1, Beaulieu, Crétot, Souriguière, Fantin,
Ont par la calomnie illustré mon destin,
Fantin, Crétot, Beaulieu, Langlois et Souriguière,
Entourés tout-à-coup d'une affreuse lumière,
Au défaut du carcan, qu'ils ont trop mérité,
Subiront dans mes vers leur immortalité.

Quel sujet de vengeance arma ces doctes plumes,
Noircit tant de journaux, salit tant de volumes?
Des sots de mon pays ai-je été l'oppresseur?
M'a-t-on vu gourmander, dans un vers agresseur,
De ces nains orgueilleux la grotesque insolence?
Je lisais Roederer, et bâillais en silence;

Je supportais Lézai 2, ce pédant jouvenceau,

de la Création. Mais Blackmore eut le sort de Fréron: il fut sans cesse en butte aux sarcasmes de ses plus illustres contemporains. 1. Crétot, obscur folliculaire. Beaulieu travaillait au Miroir. 2. Lézai (Adrien, Marnezia, marquis de), auteur de plusieurs

Qui n'est qu'un Roederer, et se croit un Rousseau.
Ce n'est pas que jamais, infidèle au mérite,
Ma muse ait trafiqué d'un suffrage hypocrite,
Quand les Cotins du jour, flatteurs intéressés,
Prodiguent aux Cotins qui les ont encensés
Cet opprobre banal qu'ils nomment leur estime;
Moi, qui ne sais offrir qu'un tribut légitime,
Et qui, pour tout trésor, ne voudrais obtenir
Que d'être aimé de ceux qu'aimera l'avenir,
Je mets quelque distance entre Achille et Thersite;
Pour l'éloge et le blâme également j'hésite.
Ils veulent l'un et l'autre un esprit délicat:

Tout louer est d'un sot, tout blâmer est d'un fat.
En estimant Daunou, Lanjuinais, Révélière,
Je méprise un Dumont, geôlier sous Robespierre.
Louvet1, dans le péril, se dévoua pour tous,
Et flétrit les tyrans quand ils régnaient sur nous;
Mais, lorsqu'ils ne sont plus, si Rovère2 les brave,
Sous l'habit d'affranchi je reconnais l'esclave.

ouvrages en prose et en vers. La noblesse du bailliage d'Aval l'élut député aux États-généraux en 1789. Il s'opposa à l'admission des comédiens aux droits de citoyens actifs, en fondant son opinion sur le sentiment de J. J. Rousseau. Il mourut en 1800.

1. Louvet de Couvray (Jean Baptiste), né en Poitou, avocat distingué, fut élu député à la Convention nationale par le département du Loiret. Robespierre eut en lui un ennemi infatigable. 2. Rovère, député à la Convention.

La Bacchante, affectant une fausse pudeur,
Imite mal d'Hébé la grâce et la candeur:
Les vains déguisemens d'un pénible artifice
Bientôt laissent percer les grimaces du vice;
Et le masque imposant dont il est revêtu
N'est qu'un hommage affreux qu'il rend à la vertu.

Le talent me fut cher; et, si des derniers âges
Souvent j'ai célébré les chantres et les sages,
Je n'ai pas prétendu, dans mes dégoûts savans,
De la gloire des morts accabler les vivans.
Que, suivant à son gré ces routes incertaines,
Clément veuille égaler Zoïle et Desfontaines;
Que dans ses lourds écrits, froidement irrité,
Il dénonce son siècle à la postérité;

Ma voix, pour décerner un hommage équitable,
N'attend pas que le tems, de sa faux redoutable,
Ait réuni Saint-Pierre à Jean-Jacque, à Buffon,
Garat à Condillac et Lagrange à Newton:
Les illustres vivans seront des morts illustres.
A l'humaine injustice épargnons quelques lustres;
Au sein du présent même écoutant l'avenir,
Certain de ses décrets, je veux les prévenir.
J'aime à voir Andrieux, avoué par Thalie,
Des humains, en riant, crayonner la folie;
Parny dicter ses vers mollement soupirés;
En ses malins écrits, avec goût épurés,
Palissot aiguiser le bon mot satirique;

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