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Pour déployer leur noble voix,
Ils veulent le frais des bocages,
L'azur des cieux, l'ombre des bois;
Les serins chantent dans les cages 1.

1. Il est à regretter que cette petite épître, où brille d'un bout à l'autre tant d'esprit et d'enjoûment, ne soit qu'une espèce de pamphlet dirigé contre un des premiers poètes du dix-huitième siècle. Mais, il faut en convenir, les manœuvres infâmes auxquelles Chénier fut si long-tems en butte de la part d'hommes obscurs et jaloux de sa gloire, qui, pour le rabaisser, exaltèrent souvent outre mesure ses rivaux, durent nécessairement aigrir son humeur, déja très-portée à la satire, et susciter chez lui le désir impatient de la vengeance. La colère est aveugle: sa plume, indignée, devint dans ses mains un instrument fatal, dont par malheur il ne s'est pas toujours servi avec discernement. Toutefois, la probité fut la plus chère idole de Chénier. Plus tard, quand l'expérience et l'étude vinrent affermir son âme, et mûrir son esprit, il ne songea plus qu'à rendre au vrai talent la justice qu'il méritait. Ainsi le traducteur des Géorgiques reçut le titre glorieux de Classique des mêmes mains qui naguère n'avaient pas craint de lui faire une blessure aussi profonde. (Note de l'éditeur.)

ÉPITRE

D'UN JOURNALISTE

A L'EMPEREUR'.

1805.

SIRE! Sire! justice, ou bien c'est fait de nous:
Conspirer contre moi, c'est s'armer contre vous.
Déjà dans son Journal on attaque l'Empire;
Partout on laisse voir le mépris que j'inspire;

1. Nous n'avons point de preuves suffisantes pour affirmer que cette épître soit de Chénier, bien qu'elle ait été trouvée parmi ses manuscrits. Dans la copie imprimée qui nous est parvenute, cette pièce ne porte ni signature, ni date; on y trouve seulement l'indication de l'imprimerie de la rue de la Harpe, no 93. Cependant plusieurs personnes, très au courant des œuvres de notre auteur, ayant reconnu sa verve et son style satiriques dans certains passages de cette épître, se sont efforcées de lever nos doutes à ce sujet. C'est sur leur demande que nous avons hasardé de l'imprimer ici : toutefois, nous n'osons pas en garantir l'authenticité. (Note de l'éditeur.)

De tous mes abonnés on ébranle la foi;

On doute de la mienne... O doute affreux pour moi!
J'ai pour beaucoup d'argent promis beaucoup d'injures,
Beaucoup de déraison et beaucoup d'impostures;
N'ai-je donc pas tenu ces saints engagemens?
Ah! je les ai remplis par-delà mes sermens.
Jusqu'à l'absurdité poussant la calomnie,
Je n'ai rien épargné, ni vertu, ni génie;
Du fiel le plus amer j'ai souillé tout succès;
J'ai fait même à Fiévée envier mes excès:
Avec plus de fureur j'aboie au philosophe.

Mais mon pouvoir, hélas! se borne à l'apostrophe.
Je ne puis de la foudre imiter que le bruit.
J'ai bien tout attaqué, mais je n'ai rien détruit.
Blessé de la splendeur de tous les noms célèbres,
J'ai sans cesse voulu, digne enfant des ténèbres,
De ces astres brillans éteindre la clarté,

Et de l'éclat du jour venger l'obscurité.
Inutiles efforts! vainement l'ignorance,

Le mensonge et l'erreur m'ont prêté leur puissance;
La raison luit encore; et ses rapides feux
Volent, fendent la nue en sillons lumineux,
Et vers la vérité, de leur flamme éclairée,
Découvrent aux humains une route assurée.
Importune lumière! adultère union!

Que suivront l'incendie et la destruction!

Dans ces jours malheureux de deuil et de ruine, Toi, sur qui j'ai fondé ma cave et ma cuisine, O mon cher Feuilleton! que vas-tu devenir? De vin, de bonne chère, il faudrait m'abstenir! Il faudrait vous quitter, délices de Capoue! Du luxe du journal retomber dans la boue! O de mes derniers ans déplorable destin! Pour prix de mes travaux, quoi! l'opprobre et la faim! Passe encor pour l'opprobre; il a son avantage: Autrefois, sous Fréron, j'en fis l'apprentissage; Rarement on en meurt; quelquefois on en vit; Et ce n'est pas moi seul que ma honte nourrit; Et nous serions réduits à le revoir stérile, Ce champ que mon fumier a rendu si fertile! Vous êtes Empereur, et vous le souffririez! Sire! au nom de l'État je me jette à vos pieds.

La victoire, il est vrai, sur votre front allie
Les palmes de l'Égypte aux lauriers d'Italie;
Déjà Vienne deux fois, devant vos étendards,
A vu s'humilier l'orgueil de ses Césars;
En vain, bravant encor la foudre qui s'apprête,
Albion à vos coups croit dérober sa tête;
Dans la même balance où vos augustes mains
De tant de nations ont pesé les destins,
L'Angleterre viendra, suivant la loi commune,
Faire juger ses droits, et régler sa fortune;

Vous la verrez, soumise au plus noble ascendant,
De Neptune à vos pieds déposer le trident;
Vous vaincrez les Anglais, mais non les philosophes.
Sire! tant qu'ils vivront craignez les catastrophes;
Craignez tout: je suis sûr, pour moi, que c'est par eux
Que le Vésuve brûle, et lance au loin ses feux;
Que la terre ébranlée engloutit Parthénope,
Et que la fièvre jaune épouvante l'Europe.
D'ailleurs, à la raison dressant un tribunal,
Leur voix ose y traduire autel, trône, journal,
Alors que sous le joug du pouvoir arbitraire
Les prêtres et les rois veulent courber la terre,
Et que, briguant l'honneur de servir leurs desseins,
Aux fers, s'ils sont dorés, je tends d'avides mains.
Ils ne sauraient souffrir aucune tyrannie.
Sire! laisserez-vous tant d'audace impunie?

Ah! pour la liberté caressant leur fureur,
Vous-même avez nourri cette funeste erreur;
Vous l'avez autrefois adorée et servie;

A cette idole encor votre cœur sacrifie.

Élevé par le peuple au premier rang des rois,
Vous soumîtes le sceptre à l'empire des lois;
Et, par votre génie au sénat inspirées,

Ce n'est que par son vœu qu'elles sont consacrées.
Cela peut être beau; mais cela ne vaut rien.

L'Empereur ne doit plus penser en citoyen;

OEuvres anciennes. III.

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