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DISCOURS

SUR

LA CALOMNIE.

1797.

Nunquamne reponam,

Vexatus toties?

JUVENAL, sat. I.

Nous avons parmi nous détruit la tyrannie.

Ne détruirons-nous pas l'impure calomnie?
J'entends déjà frémir, au nom de liberté,
Ce monstre enorgueilli de son impunité.
Les lois à son poignard opposent leur égide;
Mais, bravant du sénat la justice rigide,
Il insulte au courroux des impuissantes lois,
Et de la renommée usurpe les cent voix.

D'écrivains, d'imprimeurs quelle horde insensée
Diffame ce bel art de peindre la pensée!
Un faquin sans esprit, chansonnier des valets,
De refrains d'antichambre habillant ses couplets,
Compile lourdement de tristes facéties,

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Qu'il orne avec raison du nom de rapsodies:

I

Le stupide Léger 1 veut remplacer Piron;

Fantin se croit Tacite, et Richer3 Cicéron:
Le démon du mensonge inspire leurs brochures;
Un peu d'or fait couler des flots d'encre et d'injures.
Même en ces tems de gloire où des soldats français
Tous les fleuves toscans attestent les succès,
Dans les murs de Paris l'Autriche a son armée
Qui, faisant chaque jour mentir la renommée,
De loin, par des pamphlets signalant sa valeur,
Poursuit sous des lauriers Bonaparte vainqueur,
Et, vantant des Germains la prudente retraite,
Pour l'aigle fugitive embouche la trompette.

Dans ce nombreux essaim, doublement indigent,

Nul n'a besoin d'honneur; tous ont besoin d'argent.
A la honte aguerris, ces forbans littéraires
Ont mis leur conscience aux gages des libraires.
Envieux par nature, et brigands par métier,
Ils vendent l'infamie à qui veut la payer;

Et, meublant de Maret la boutique infernale,

1. Léger, auteur et acteur du théâtre du Vaudeville, et ensuite de celui des Troubadours.

2. Fantin-Desodoards, homme de lettres et auteur d'une histoire de France, production sans physionomie, long abrégé d'énormes fatras. (Note tirée du Tableau de la Littérature.)

3. Richer-Serizy, éditeur de l'Accusateur public, journal anti-républicain.

Ils dînent du mensonge, et soupent du scandale.

Bon! me dit un lecteur, à quoi tendent ces vers?
Ce bas monde est rempli de sots et de pervers.
Mais veux-tu, des héros négligeant la peinture,
Abaisser tes crayons à la caricature?

Et le hideux portrait des bâtards de Gacon1
Doit-il souiller la main qui peignit Fénélon?
A Fonvielle, à Langlois 2, daigneras-tu répondre?
Leur nom seul prononcé suffit pour les confondre.
Prétends-tu, déchaîné contre ce vil troupeau,
Armé des fouets vengeurs d'Horace et de Boileau,
Fesser le grand orgueil du petit Lacretelle?
Rendre d'un Jolivet la bêtise immortelle?
Et, du plat Souriguière3 exhumant les écrits,
Disputer au néant ses plus chers favoris?

Il les réclamerait; c'est tenter l'impossible.

1. Gacon (François), connu sous la dénomination du poètę sans fard. On peut l'appeler à juste titre le Zoïle du XVIe siècle. Il fut constamment en guerre avec tous les grands littérateurs de son tems, et spécialement avec l'Académie. On disait de lui qu'il était plus fou que méchant.

2. Fonvielle, journaliste peu connu. Langlois concourait à la rédaction des Actes des Apôtres, de la Quotidienne et du Pré

curseur.

3. Souriguière publiait et rédigeait le Réveil du peuple et le Miroir.

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Organe du public, la censure inflexible,
Exerçant à loisir le pouvoir d'un bon mot,

Punira Lormian du malheur d'être un sot.

Un défaut naturel veut quelque tolérance:

Il sait ennuyer; soit : on sait bâiller en France.
Pour moi, je ne veux point, Don-Quichote nouveau,
De prétendus géans me remplir le cerveau,
Et, la lance en arrêt, cherchant les aventures,
Ou redresser les torts, ou venger les injures.

I

Mercier combat Newton, Voltaire et le bon sens;
Il sera ridicule; il le veut, j'y consens.

Qu'il nous vante Rétif2, son émule en folie;
Que, d'un fard imposteur enluminant Thalie,
En doucereux jargon surpassant ses rivaux,
Dumoustier dans ses vers commente Marivaux;
Que le cousin Beffroi reste au fond de la lune;
Que Dumolard nous glace à la même tribune
Où la raison sublime allumait son flambeau,
Où discutait Barnave, où tonnait Mirabeau;
Sur sa lyre de plomb que Souriguière chante
De Dumont converti l'humanité touchante;

1. Mercier (Louis), auteur du Tableau de Paris, de beaucoup de drames et d'autres ouvrages.

2. Rétif de la Bretonne (Nicolas Edme), le plus fécond et le plus infatigable des romanciers. Il composa de plus une foule d'écrits sur la philosophie, plus bizarres les uns que les autres. On ne connaît plus guère que de nom son Paysan, ses Contemporaines, ses Provinciales, etc.

Que le moine Gallais 1, burlesquement disert,
De Midas Bénesech fasse un nouveau Colbert:
A tous ces beaux esprits il est permis d'écrire,
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire.

Plus tolérant encor, je souffre qu'en tout lieu
Trissotin-Roederer 2 se dise Montesquieu.
Poursuis, cher Trissotin: doctement ridicule,
Écrase le bon sens sous ta lourde férule;
Et, de la renommée épris à son insu,
Régente l'univers sans en être aperçu.

Un sot est toujours vain. En passant dans la rue,
Vous nommez Démosthène; et Lémerer 3 salue.
L'auteur même du Sourd' n'est pas exempt d'orgueil.
De Richer, de Ferlus, c'est le commun écueil;

Et Gallais, qui n'a point, mais qui donne la gloire, Croit que le sort du monde est dans son écritoire.

On condamne à l'oubli de petits charlatans
Mécontens du public, et d'eux-mêmes contens;
Mais c'est peu d'ennuyer: les sots veulent proscrire.

1. Gallais, l'un des anciens rédacteurs du Journal de Paris. 2. Ræderer, éditeur et rédacteur du Journal d'Économie politique, et l'un des propriétaires du Journal de Paris.

3. Lémerer, député à la Convention nationale.

4. Desforges (Nicolas), auteur de plusieurs autres comédies restées au répertoire et de quelques romans assez connus; mort en 1806.

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