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» Souffrez que mon amour ne l'abandonne pas
» Au tumulte des camps, au hasard des combats.
» J'ai Paphos, Amathonte, et les bois de Cythère;
» Permettez qu'en ces lieux un bosquet solitaire,
» De ses jours ignorés dépositaire obscur,

>> Lui procure un destin moins brillant, mais plus sûr.
» Que la terre obéisse à la fière Carthage;

» A sa grandeur jalouse il ne peut faire ombrage: Et que peut un enfant du fond de ces déserts? » Voilà donc notre sort après tant de revers!

» Hélas! de quoi nous sert qu'un dieu, sauveur de Troie, » Ait arraché des feux une si belle proie;

» D'avoir sur tant de mers, tant de bords étrangers,
» De la terre et des eaux épuisé les dangers,

» Si, traînant en tous lieux leur misère importune,
» Ils ont changé de ciel sans changer de fortune?
» Ah! s'il falloit périr, ne valoit-il pas mieux

Mourir où périt Troie, où sont morts nos ayeux?

» Non, ce n'est plus un trône où les Troyens prétendent, » C'estle choix des malheurs que leurs pleurs vous demandent. » Rendez-leur les combats, rendez-leur les assauts,

» Et la

rage

des Grecs, et leurs mille vaisseaux ;

» Qu'ils puissent, en mourant, voir encor le Scamandre, » Combattre encor pour Troie, et mourir sur sa cendre. » Junon, muette, écoute auprès de son époux;

Enfin, ne pouvant plus contenir son courroux,

Quid face Trojanos atrâ vim ferre Latinis,
Arva aliena jugo premere, atque avertere prædas?
Quid soceros legere, et gremiis abducere pactas;
Pacem orare manu, præfigere puppibus arma?
Tu potes Ænean manibus subducere Graiûm,
Proque viro nebulam et ventos obtendere inanes;
Et potes in totidem classem convertere Nymphas:
Nos aliquid Rutulos contrà juvisse nefandum est?
Æneas ignarus abest : ignarus et absit.

Est Paphus Idaliumque tibi, sunt alta Cythera:
Quid gravidam bellis urbem et corda aspera tentas?
Nosne tibi fluxas Phrygiæ res vertere fundo
Conamur? nos? an miseros qui Troas Achivis
Objecit? Quæ causa fuit consurgere in arma
Europamque Asiamque, et foedera solvere furto?
Me duce Dardanius Spartam expugnavit adulter?
Aut ego tela dedi, fovive cupidine bella?
Tum decuit metuisse tuis: nunc sera querelis
Haud justis assurgis, et irrita jurgia jactas.

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« Pourquoi me forcez-vous par votre violence

» D'exhaler des douleurs qu'enfermoit mon silence? » Quel mortel ou quel dieu, funeste aux deux États, » A contraint votre fils à chercher les combats?

» Les destins.... Disons mieux, les fureurs de Cassandre
» L'ont poussé sur ces bords des rives du Scamandre.
» Mais l'avons-nous forcé d'abandonner ses camps,
» De confier ses jours aux caprices des vents,
» De charger un enfant du hasard des batailles,
» D'aller, quittant le soin de ses propres murailles,
»Du feu de la discorde embraser tous les coeurs'

» Et forcer les Toscans à servir ses fureurs ?
>> Quel dieu lui conseilla ces imprudens voyages?
» Qu'ont fait ici Junon, Iris et ses messages?

» Pour ses murs renaissans vous alarmez les cieux!
» Mais Turnus est lui-même issu du sang des dieux:
» Quand ce Troyen ravit des terres étrangères,
» Seul ne peut-il s'armer pour les champs de ses pères?
» Et qui ne connoît pas ces insolens bannis,

» Barbares assassins et brigands impunis,

» Qui, s'offrant pour époux, malgré la foi donnée
» Viennent en menaçant nous parler d'hyménée;
» Et, l'olive à la main, méditant des forfaits,
» Sur des vaisseaux armés sollicitent la paix?
» Eh quoi! vous avez pu, fière de vos oracles,
» Pour ce fils adoré prodiguer les miracles;

Talibus orabat Juno; cunctique fremebant

Coelicolæ assensu vario : ceu flamina prima
Quum deprensa fremunt silvis, et cæca volutant
Murmura, venturos nautis prodentia ventos.

Tum pater omnipotens, rerum cui summa potestas,

» Tantôt, montrant aux Grecs un fantôme trompeur, » En place d'un héros offrir une vapeur;

» Tantôt, divinisant leurs poupes vagabondes,

» Transformer un bois vil en puissance des ondes !
» Seule ne puis-je rien? De vos murs investis
» Votre fils est absent: accusez votre fils.
» Vous avez Amathonte, et Paphos, et Cythère;
» Pourquoi venir braver une cité guerrière?
» On se plaint du malheur de vos Troyens chéris:
» Est-ce moi qui l'ai fait, ou bien votre Pâris?
» Est-ce moi qui causai la fière jalousie

>> Qui fit combattre ensemble et l'Europe et l'Asie?
» Est-ce moi que l'on vit, par d'indignes secours,
» Dans Sparte protéger d'adultères amours?
» Me vit-on allumer, pour embraser la terre,
» Au flambeau de l'Amour les torches de la guerre?
» C'est alors qu'il falloit, écoutant vos frayeurs,
» Pour prévenir leurs maux, prévenir leurs fureurs :
» Aujourd'hui que vous presse un repentir stérile,
» Le reproche est injuste, et la plainte inutile. »
Ainsi parle Junon : des frémissemens sourds
Dans les cieux partagés ont suivi ce discours.
Tels du vent précurseur des tempêtes futures
Dans les bois frémissans préludent les murmures.
Alors leur souverain d'un ton majestueux
Se prépare à parler. Du ciel respectueux

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