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Lausanne, 4 Mai, 1757.

REMARQUES CRITIQUES SUR UN PASSAGE DE PLAUTE.

IL y a un passage du Poenulus de Plaute, Act. III. s. 3. v. 50. que je n'entends point suivant la lection ordinaire. Les commentateurs que j'ai vus n'y trouvent cependant point de difficulté, pas même M. de Saumaise.

Un domestique, déguisé en soldat pour tromper un marchand d'esclaves, paroît sur le théâtre. On lui demande qui il est, une personne au fait de la fourberie répond,

Hic latro in Spartâ fuit,

Ut quidem ipse nobis dixit, apud regem Attalum,
Inde nunc aufugit quoniam capitur oppidum.

Je crois pouvoir établir comme premier principe, que, comme on vouloit tromper le marchand d'une manièré plausible, la vraisemblance exigeoit qu'on prît, pour bâtir là-dessus leur invention, un événement réel, récent, et connu de tout le monde. M. l'Abbé Sevin a bien considéré les choses comme moi, puisque dans ses curieuses recherches sur l'Histoire de Pergame (V. Mémoires de l'Académie des Belles Lettres, tom. xii. p. 219.) il s'est bien servi de ce passage comme une preuve qu'Attale avoit des troupes Grecques à sa solde.

Cela étant, il est question de trouver une époque où Sparte fut prise pendant qu'un roi Attale commandoit dans ses murs. Si l'histoire n'en fournit point pour expliquer ce passage, il faut avoir recours à la critique pour la rétablir. On peut encore remarquer qu'il faut la trouver entre l'an Av. Ch. 241, première année du premier roi Attalus, et l'an 184, tems de la mort de Plaute.

Sparte fut prise par Antigonus Doson en 221. V. Plutarch. in Cleomen. p. 819. Polyb. l. ii. p. 155. Justin. l. xxviii. c. 4. Rollin, Hist. Ancienne, tom. iv. p. 239. Petav. Ration. Tempor. t. i. l. iv. c. 4. p. 127. Un Attalus régnoit alors; cependant plusieurs raisons m'empêchent

TOME III.

3 c

pêchent de croire, qu'il ait été question de ce fait. En voici quelques unes. I. Tous les auteurs se taisent sur cette circonstance. Cependant, un secours conduit par le roi de Pergame en personne, ne devoit guères échapper à l'exactitude d'un Plutarque et d'un Polybe, qui nous ont décrit toutes les plus petites particularités de cette guerre avec un si grand détail. II. L'an 221 Attalus étoit bien loin de pouvoir sortir de ses états pour aller secourir ses alliés. Achæus, gouverneur et ensuite roi d'Asie, l'attaquoit, l'avoit déjà dépouillé d'une partie de son royaume, et le pressoit vivement dans le reste. Attalus, qui prenoit lui-même des Gaulois à sa solde, pouvoit-il se dessaisir de ses propres troupes en une telle conjoncture, et surtout pouvoit-il aller en personne en Grèce? Environ le tems dont nous parlons, les Byzantins, ses anciens amis, lui demandèrent du secours contre les Rhodiens; il ne put leur en donner. V. ubi supra, Sevin. p. 217. III. Quand même rien d'autre ne s'y opposeroit, la seule circonstance d'un Antiochus alors sur le trône suffiroit pour faire voir que nous n'y sommes pas encore. Poen. Act. III. s. 3. v. 31. L'an 223 Seleucus Callinicus étoit assis sur le trône des Seleucides. V. Prideaux Hist. des Juifs à l'an 223. La réponse que je connois à cette preuve c'est de dire que c'étoit un des traits que l'imitateur Latin avoit conservé de son modèle Grec, du tems de qui un Antiochus régnoit peut-être. Mais suivant toutes les apparences, Plaute prit son Pœnulus du Xagxndovios de Ménandre. V. Menand. et Philers. Reliq. Amstel. 1709. p. 96. Or Ménandre mourut l'an A. C. 292, douze ans avant le premier Antiochus. Petav. Ration, Temp. p. 1. l, iii. c. 18. p. 114.

Sparte fut assiégée en 195 par les Romains et leurs alliés, (Liv. 1. xxxiv. c. 34, &e. Just. l. xxxi. c. 3) mais elle ne fut pas prise. Cependant corame le cas suivant roule sur les mêmes principes j'examinerai celui-ci. I. L'an. 197, Eumenes étoit roi de Pergame, son frère Attalus n'étoit point associé à la couronne. Sevin. ubi supra, p. 270. Liv. 1. alii. c. 16. II. Ce même Attalus, aussi bien que son frère, bien loin de commander dans Sparte, étoit actuellement dans l'armée Romsine.

Dans ce petit raisonnement j'ai suivi la ponctuation la plus naturelle du passage qui rapporte l'apud Regem Attalum à hic latro in Spartá fuit, et non à inde non aufugit. Ceux qui adoptent la dernière ponctuation,

toute

toute dure qu'elle rend la construction, feront bien de réfléchir; I. Que la difficulté de trouver une prise et même un siège de Sparte pendant qu'un Attale et qu'un Antiochus régnoient subsiste en son entier; et II. Qu'il auroit été ridicule à Plaute de faire venir en Ætolie un homme fuyant de Sparte à Pergame.

Quelle est donc la correction que je propose? la voici; au lieu de regem Attalum je lirai regem Aetolúm. Expliquons-nous. L'an 191, les Ætoliens, voulant s'emparer de Lacédémoné, envoyèrent Alexamène avec mille fantassins et trente cavaliers d'élite, en apparence pour secourir le tyran Nabis, mais en effet pour le tuer, ce qu'Alexamène fit par un coup de main fort hardi; mais s'amusant trop long tems à piller les trésors du palais, les Spartiates reprirent courage et massacrèrent les Etoliens. Philopomen vint à Sparte avec l'armée Achæenne, s'en rendit maître, et l'ajouta à la ligue du Péloponnèse. Liv. 1. xxXV. c. 35, &c. On feignoit donc que ce soldat avoit été latro ou garde du corps, (Pitiscus. Lexic. sub voce Latro. Serv. ad Æneid. xii. v. 7) d'Alexamène, et qu'après la prise de la ville par Philopomen il avoit évité par la fuite le sort de ses compagnons. Comme les faits viennent toujours au secours des systèmes bien fondés, toutes les circonstances qui embarrassoient ci-devant viennent ici se placer d'elles-mêmes. I. L'Antiochus en question est le Grand Antiochus bien connu aux Romains, qui régnoit depuis une trentaine d'années. Bien plus, à l'époque en question il étoit actuellement à Chalcis, où, au lieu de s'occuper des' préparatifs de la guerre, il passoit l'hiver dans la débauche et dans les plaisirs, Liv. A xxxvi. c. 11; Justin. l. xxxi. c. 6; conduite qui pouvoit bien faire naître chez ses ennemis l'expression," Mollius quam regi Antiocho oculi curari solent," Plaut. Poenul. Act. III. s. 3. v. 81, pour désigner une mollesse poussée à l'excès II. Quantité de eirconstances. de la pièce conviennent beaucoup mieux aux tems qui ont suivi la seconde guerre Punique, époque de la mort de Nabis, qu'à l'intervalle de la première à la seconde où tomba la prise de Sparte par Antigonus. En voici deux assez frappantes. Hannon le Carthaginois de la pièce, lorsqu'on lui dit qu'un jeune enfant avoit été enlevé de Carthage, s'écria," Proh Dii immortales! plurimi ad hunc modum periere pueri liberi Carthagine." Panul. Act. V. s. 2. v. 28. De tels enlèvemens

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conviennent mal au tems où les Carthaginois, malgré leurs pertes, mai-` tres de la mer, étoient sans ennemi en Afrique, mais fort à celui où Massanissa, même avant la venue de Scipion en Afrique, faisoit des incursions sur leurs terres et vendoit ses captifs aux marchands étrangers, Liv. l. xxix. c. 31; et encore mieux à celui où les Carthaginois, privés de leurs armes et de leurs vaisseaux, étoient en proie à quiconque vouloit les attaquer. Tout le monde connoît la fameuse scène en langue Punique qui a coûté tant de veilles aux savans. Quelle apparence que Plaute eut su lui-même, qu'il eut osé présenter à ses compatriotes cette langue, quand la génération qui avoit combattu et connu les Carthaginois étoit éteinte, au lieu que dix-sept ans de guerre, qu'une armée Punique au milieu de l'Italie devoit la leur avoir fait connoître? Quand même on supposeroit qu'il l'avoit trouvé en Ménandre ne l'auroit-il pas rejetté comme un jargon barbare et inintelligible?

Je ne connois que deux objections qu'on pourroit me faire. I. On me dira que je suppose le soldat avoir été Ætolien, au lieu que la pièce, dont la scène est en Ætolie, le dit étranger. Mais Plaute explique luimême ce qu'il entend par étranger, "ex alio oppido." Panul. Act. III. s. 1. v. 57. ce qu'il pouvoit être sans cesser d'être Ætolien. II. Je donne le titre de roi à Alexamène quoiqu'il ne fût que général. Mais il faut être peu instruit des usages de l'antiquité pour ignorer que les anciens attachoient au mot de roi une idée bien plus étendue que nous : on appelloit ainsi tous ceux que leur rang ou leurs richesses élevoient au-dessus des autres; V. Donat. ad Terent. Eunuch. Act. I. s. 2. v. 88.* et Plaute lui-même y a donné autre part, (Rudens, Act. IV. s. 2. v. 26.). une signification encore plus étendue qu'ici; car si jamais sujet pouvoit mériter ce titre c'étoit Alexamène. La commission des Etoliens lui donnoit une autorité sur ses troupes qui étoit sans bornes et au-dessus. de celle de bien des rois. Ils ordonnoient aux soldats, " Quicquid Alexamenum res monuisset subiti consilii capere, ad id quamvis inopinatum, temerarium, audax, obedienter exsequendum parati essent ; ac pro eo acciperent tanquam ad id unum agendum missos ab domo.se scirent."

* Voyez aussi le Horace de Dacier, tom. i. p. 9, 10. Paris, 1709.

Au

A lieu donc de la leçon reçue, je lis

Hic latro in Spartâ fuit,

Ut quidem ipse nobis dixit, apud regem Ætolûm;

Inde nunc aufugit quoniam capitur oppidum.

'Je n'ai pas besoin, je crois, d'avertir combien ce changement étoit facile et aisé à faire.

Cependant si l'on me disoit qu'il y a à la vérité ici une faute contre l'histoire, mais qu'il faut s'en prendre à l'ignorance de Plaute et non à la négligence de ses copistes, il ne trouvera pas beaucoup d'opposition de ma part. Plaute étoit ignorant; on ne sauroit en douter. Il n'y a qu'à comparer ses Mænechmes, Act. III. s. 2. v. 56, &c. avec les livres xxii. et rxiii. de Justin, pour sentir combien ses idées étoient confuses sur l'histoire de la Sicile; comme le plan de ses Captifs, où il fait aller et revenir un homme de l'Etolie en Elide dans l'espace de quelques, heures, fait sentir quelles étoient ses connoissances sur la géographie: de la Grèce. Cependant j'aimerois mieux dénouer le noeud que de le; couper..

REMARQUES:

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