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DISSERTATION

SUR LES POIDS, LES MONNOIES, ET LES MESURES DES ANCIENS, &c.

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AVANT-PROPOS.

DEPUIS qu'on étudie l'histoire des hommes plutôt que celle des rois, on s'est attaché avec raison à la connoissance de leur économie politique et domestique. Dans cette étude on se trouve chaque moment arrêté par l'ignorance de ces signes arbitraires dont chaque peuple s'est servi pour exprimer les différens rapports de nombre, d'étendue, et de quan tité, je veux parler des mesures, des poids et des monnoies.

Ce seroit un ouvrage utile, mais immense, qu'un dictionnaire complet de cette langue économique, et un recueil étendu de tous les faits inté ressans auxquels il nous serviroit d'interprète, c'est à dire, en d'autres mots, une histoire de l'industrie et du luxe. Un pareil ouvrage demanderoit les soins attentifs et soutenus d'une société de savans dispersée dans les différentes parties de l'Europe. Je voudrois qu'elle se formât; mais en attendant un événement aussi peu vraisemblable, je rassemblerai dans ce recueil tout ce que mès lectures historiques me fourniront sur un objet aussi curieux qu'utile. Cet ouvrage se grossira sans dessein et sans effort, et s'enrichira insensiblement du fruit de toutes mes études.

Je m'attacherai surtout, 1. Aux revenus publics et aux impôts; 2. Au prix du bled et à celui des autres denrées nécessaires à la vie; 3. Au prix du travail militaire, civil ou domestique, et par une liaison naturelle au nombre de ceux de qui l'on exigeoit ou de qui l'on pouvoit exiger un semblable service; 4. Au prix de l'argent, c'est à dire au revenu annuel, et au taux d'intérêt d'une somme quelconque; 5. A l'emploi de l'argent, et par conséquent aux mœurs, au luxe et aux

arts.

J'éerirai

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J'écrirai en François, mais je ferai mes réductions à l'Angloise. Commençons par établir le rapport de l'argent des deux pays.

L'once Angloise d'argent monnoyé vaut cinq chelins et deux sous sterling. Depuis l'an 1726 on taille au marc d'argent de huit onces de Paris, huit écus chacun de six livres; ce marc vaut par conséquent 50l. 58. Tournois. En supposant l'identité précise du poids et du titre, ce mare vaudroit 41 chelins 4 sous; mais si nous rabattons 74s. pour le premier et 4 pour le second, il nous restera 40 chelins 4 sous pour la valeur du marc: la livre Tournois voudroit 93 sous ster. ling, et la livre sterling sera égale à peu près de 25 livres Tournois. Cependant si nous consultons l'échange ordinaire entre Londres et Paris nous trouverons la livre sterling à 221 livres Tournois chacune de 10. On s'est plaint depuis longtems de ce mal dont on connoît la source et le remède. L'or du Brésil a changé, depuis quelques années, la proportion établie entre les deux métaux précieux. La monnoie de France a suivi très sagement les révolutions du commerce. Elle a fixé la proportion comme 14 à 1; chez nous elle est comme 15 à 1: l'once d'argent ne vaut que 5c. 23. à la monnoie; son prix chez les orfèvres est souvent 5c. 7s. On devine sans peine les suites de cette inégalité chez une nation qui calcule. Elle diminue le prix courant de nos espèces d'argent, pour augmenter celui des monnoies étrangères. Personne ne veut porter son argent à la monnoie à des conditions aussi dures. La source est tarie, et ce fleuve rapide dans son cours appauvrit sans cesse l'Angleterre pour enrichir ses voisins. Le banquier ne peut que suivre le torrent; mais dans ce recueil je dois oublier ces proportions accidentelles et injustes pour n'envisager que la valeur intrinsèque des espèces, c'est à dire leur poids et leur titre.

J'aurai souvent occasion d'apprécier des monnoies dont j'ignore le titre. J'y substituerai toujours celui de ce pays. C'est une vérité hypothétique dont il faut se contenter à la place de la vérité absolue.

Lorsqu'il m'arrive de ne point connoître la proportion établie entre l'or et l'argent, je la supposerai toujours comme 10 à 1 jusqu'au tems d'Auguste, comme 12 à 1 jusqu'à la découverte de l'Amérique, et comme 15 à 1 jusqu'à nos jours. Je sais que cette progression n'est pas sans exceptions, mais elles sont en petit nombre, et j'aurai soin de les indiquer.

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Je partage mon recueil en sept colonnes qui s'accompagneront toujours. I. Mes notices générales de livres extraits, observations, &c. qui appartiennent à plusieurs classes à la fois; II. L'antiquité: cette partie renfermera encore le Bas Empire jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs; III. La Grande Bretagne avec l'Irlande; IV. La France et les Pays Bas; V. L'Allemagne, la Suisse et les Pays du Nord; VIa L'Italie et l'Espagne; VII. L'Orient, les Indes, et l'Afrique; en un mot, tout ce qui est hors de l'Europe.

I.

NOTICES GENERALES.

1. AN Inquiry into the State of the Ancient Measures; the Attic, the Roman, and particularly the Jewish; by Dr. John Hooper, Bishop of Bath and Wells, livre vraiment admirable dans son genre. L'esprit le plus systématique éclaire partout la plus profonde érudition. On peut perfectionner quelques détails, mais je crois qu'il faudra toujours bâtir sur les principes de ce savant évêque. C'est pourquoi je vais en donner une idée abrégée.

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On ne peut s'arrêter qu'à ces poids qui existent encore et qui peuvent se comparer avec les nôtres. La drachme Attique bien connue nous donnera par ses rapports tous les autres poids de l'antiquité. On sait que lorsqu'il est question de poids et surtout de monnoies il en faut toujours choisir les plus pesantes. Le tems, la rouille, l'avidité des hommes leur ôtent toujours une partie de leur volume que rien ne peut augmenter. L'exact Greaves, le père des expériences de ce genre, avoit pesé beaucoup de tétradrachmes Attiques. Les mieux conservées lui donnoient un poids de 268 grains ou de 67 pour la drachme. Deux didrachmes d'or de Philippe et d'Alexandre lui indiquoient une drachme de 67,25 grains. M. Eisenschmidt avoit dans sa possession une tétradrachme de 4× 83 grains de Paris; 68,36 des nôtres. La mine Attique de 100 de ces dernières drachmes aura pesé 6836 grains.

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Les hommes se conduisent rarement par cette liberté d'indifférence

qu'ils s'arrogent si souvent dans les institutions les plus arbitraires il leur faut quelque motif. C'est ainsi qu'ils. ont fixé les mesures longues sur les parties du corps humain, la coudée, le pied, la palme, où le doigt; qu'ils en ont employé les cubes pour des mesures de capacité, et qu'ils ont déterminé leurs poids par celui d'une de ces cubes remplie de eau ou de vin. Parmi ces mesures la cube palmique, (terme moyen entre les autres,) a pu paroître la plus généralement utile. On sait par expérience qu'une cube d'eau de 12 pouces doit peser 76 livres, la cube de la palme nous donnera par conséquent 6840 grains. Un rapport aussi précis (car le pied Grec ne différoit presque point du nôtre) nous persuade que nous avons trouvé la mine Attique construite sur les mêmes principes hydrostatiques que cette livre palme que nous venons de supposer.

Les Grecs reconnoissent, malgré leur vanité, qu'ils doivent à la colonie Phénicienne de Cadmus leurs poids et leurs mesures dont ce peuple à été l'inventeur. Une nation commerçante et industrieuse a dû trouver de bonne heure des proportions réfléchies qui méritent seules à cet égard le nom d'invention. L'ésprit humain fait des progrès rapides lorsque l'intérêt se joint à la curiosité. Le commerce des Phéniciens a porté leurs arts sur toutes les côtes de la Méditerrannée. On leur attribueroit avec plaisir la construction de la livre palme, et l'égalité du talent Attique avec celui de Tyr, formellement: énoncée par un des anciens, nous permet de le faire..

Si nous balançons à admettre cette égalité sur la foi de Heron, nouspouvons nous en assurer par l'égalité qui a toujours subsisté à cet égard entre deux peuples très éloignés qui se connoissoient à peine l'une l'autre, mais qui ont toujours eu des liaisons très intimes avec les Phéniciens, je veux parler des Juifs et des Athéniens. Josèphe, Philon, les Septante ont égalisé le shekel de Jerusalem et la tétradrachme d'Athènes, et l'on ne doit pas seulement écouter les rabbins * lorsqu'ils sont opposés à des écrivains aussi anciens et aussi instruits. Qu'on me rende raison d'un accord aussi singulier sans supposer que les deux nations ont eu un modèle commun; et quel modèle oseroit le disputer avec celui de Tyr?

* M. Hooper les écoute un peu longuement.

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On

On ne doit pas oublier que les Phéniciens, après avoir formé leur livre palme ou mine, et leur talent, qui en contenoit 60, ont compté, je ne sais par quelle raison, un autre talent le double du premier, mais qu'en conservant toujours les mêmes divisions, sa mine n'étoit plus la livre palme. Les Juifs ont adopté tous les deux; le premier est leur talent profane; celui-ci leur talent sacré mais le plus usité, parceque les prêtres ont toujours rédigé leurs annales. Les Athéniens n'ont connu que le premier. Le second à passé enfin en Egypte sous le nom de talent d'Alexandrie.

Cette mine Attique ou livre palme a toujours été la livre pondérale des Athéniens. Au commencement elle en déterminoit aussi la monnoie. Mais enfin on a frappé des drachmes plus légères, et la distinction d'une livre de poids et d'une livre de compte s'est introduite dans la Grèce comme chez nous. Sous les empereurs Romains, la drachme monnoie ne pesoit que 54,75 grains ou la huitième partie de l'once Romaine. Comme poids elle étoit toujours de 68,40 grains. Cette distinction, autorisée par l'analogie et prouvée par les faits, répand un nouveau jour sur les endroits les plus obscurs de l'antiquité numismatique.

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Les systèmes les mieux construits ont toujours leur endroit foible. M. Hooper l'a senti. Après avoir vu un poids formé sur des principes hydrostatiques on s'attendroit du moins à voir que sa mesure étoit une des mesures creuses des Athéniens. Point du tout. La cotyle (mesure du creux des deux mains jointes ensemble) pesoit 60 drachmes, et le dicotylon, au lieu de peser une mine, pesoit 1,2 mine. On se sauve pourtant par la distinction reconnue chez les Juifs et supposée chez les Athéniens, d'une mine pondérale plus grosse d'un cinquième que la mine ordinaire, et dont le dicotylon étoit la cube. On se servoit (dit-on) de cette mine pour peser les corps d'un grand volume et de peu de valeur. Il y a effectivement peu de nations chez qui l'on ne trouve ces livres différentes. Cependant j'aimerois mieux remonter à la formation de la cotyle, et supposer que les Athéniens l'ont déterminée par le seul modèle d'une mesure creuse que la nature leur offroit. J'ai dit les Athéniens; mais il faudroit dire plutôt les Phéniciens qui ont transmis aux Juifs et aux Grecs leurs mesures, aussi bien que leurs poids.

Les

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