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qui est le ressort du monde moderne : les hommes savent aujourd'hui qu'ils ont des devoirs les uns envers les autres sans acception de culte, de rang et de patrie; ils se sentent en possession de droits supérieurs à leur volonté même, qu'ils ne peuvent ni abandonner pour leur compte, ni détruire dans leurs semblables. Enfin, ils commencent à comprendre que toutes les sociétés ne sont qu'une société plus grande, comme toutes les familles qu'une seule famille. Et tous ces dogmes, enfans du vieux culte national que quelques-uns de nos législateurs trouvent plaisant de bafouer par leurs quolibets parlementaires, ont ramené le genre humain à la justice. Ils l'ont rendu capable de civilisation et digne de liberté.

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Variétés.

L'ÉLYSÉE, L'ENFER ET LES FEMMES.

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Je lis dans le Journal des Dames du 5 mai 1830 : « Les « femmes font mon bonheur, le leur m'intéresse, pourquoi n'en trouverai-je pas dans l'Élysée, quand il m'y « faudra descendre? Énée a fait le voyage des royaumes « sombres : il n'a vu de femmes que dans l'avenue de l'Élysée, << et très loin de ce lieu fortuné.... Énée y vit... des braves, « des sages, des législateurs, des bienfaiteurs du genre hu« main, des chantres, des héros et des dieux; mais de fem«< mes point.... Est-ce que les femmes d'alors n'étaient pas «< ce que les nôtres sont aujourd'hui, sages autant que bel<< les? Je m'y perds..... Daignez m'éclaircir ces difficultés. »

Je lis de même dans l'analyse raisonnée du livre vi de l’Énéïde de M. Lemaire (page 636 du tome 7 de son édition de Virgile): « Pourquoi, dit-on, Virgile n'a-t-il placé des femmes que dans son Purgatoire et dans les Champs des Pleurs, lugentes campi? Pourquoi n'en trouve-t-on pas dans le Tartare, ni dans les Champs-Élysées? Est-ce que chez les anciens on ne connaissait aucune femme criminelle ou vertueuse? N'y avait-il donc alors que des femmes faibles? >>

Cette remarque est aussi vraie qu'elle est spirituelle. Pour nous convaincre qu'elle est exacte, relisons, avant d'essayer de répondre à la question, les deux descriptions les plus anciennes et les meilleures que nous ayons des Enfers et de l'Élysée. Dans la descente d'Ulysse aux Enfers, qui fait le sujet du onzième chant de l'Odyssée, après le sacri

fice qu'Ulysse offre aux morts, les ombres viennent de tous côtés du fond de l'Érèbe, pour boire, comme des Vampires, du sang des victimes immolées. Il y voit de jeunes femmes, de jeunes filles à la fleur de l'âge; puis arrivent l'ombre de sa mère Anticlée, les femmes et les filles des plus grands capitaines, que Proserpine laissait passer; Tyro, dont Neptune, qui avait pris la figure du fleuve Enipée, eut deux enfans; Antiope, qui se vantait d'avoir dormi entre les bras de Jupi per; Alemène, femme d' Amphitryon; Mégère, femme d'Hercule; la belle Epicaste, nommée par d'autres Jocaste, mère d'OEdipe; Chloris, femme de Nélée, roi de Pylos; Léda, femme de Tyndare et mère de Castor et Pollux; Iphimédée, mère des deux géans Otus et Ephialtès; Phèdre, Procris et la belle Ariane, Mæra, Clymène et l'odieuse Eriphyle, qui préféra un collier d'or à la vie de son mari. Mais, dit Ulysse au roi des Phéaciens à qui il fait le récit de ce qu'il a vu aux Enfers, je ne puis vous nommer toutes les femmes et toutes les filles des héros qui passèrent devant moi.

Le roi l'ayant prié de continuer, Ulysse raconte qu'après que Proserpine eût fait retirer les ombres de toutes les femmes, il vit arriver l'ame d'Agamemnon et celle d'Achille, celle de Patrocle, celle d'Antiloque et celle d'Ajax ; il vit Minos assis sur son trône, le sceptre à la main, et rendant la justice aux morts; le grand Orion, qui poursuivait dans cette vaste prairie d'asphodèles les bêtes qu'il avait tuées sur les montagnes; Tityus, qui de son corps couvrait neuf arpens; Tantale consumé par une soif brûlante; Sisyphe roulant son rocher; Ilercule, c'est-à-dire son image, son fantôme, car pour lui il était avec les dieux immortels. Il s'attendait à voir encore Thésée et Pirithoüs et bien d'autres héros, quand des légions de morts s'assemblant autour de lui avec des cris perçans, la frayeur le saisit, et il regagna promptement le vaisseau et ses compagnons.

Je remarque dans cette description, qui est abrégée, mais fidèle, deux choses: la première, que le poète établit une division bien marquée entre l'Enfer et l'Elysée; la

deuxième, que s'il mêle les hommes et les femmes dans les Enfers, il y met plus de femmes que d'hommes; et en effet, il ne place pas du tout de femmes dans l'Élysée. Nous allons voir qu'il en est de même dans les deux autres descriptions suivantes que fait Virgile des Enfers et de l'Élysée, au vie livre de l'Éneïde.

Énée ayant abordé à Cumes, ville voisine du lac Averne, va trouver la Sibylle à qui Hécate a confié la garde des bois sacrés de l'Averne; elle lui dit que s'il a le courage de traverser deux fois les marais du Styx, de voir deux fois l'affreux Tartare, qu'il ne peut penetrer dans les souterrains obscurs où sont les Enfers, qu'il n'ait cueilli le rameau d'or consacré à la reine de ces lieux, et qu'il ne le lui ait présenté, que c'est un tribut qu'elle exige. Ayant trouvé ce rameau dans l'endroit le plus ténébreux de la forêt, la Sibylle conduit le héros aux Enfers, par le gouffre entr'ouvert de l'Averne, marais empesté, qui tirait son nom de ce qu'aucun oiseau ne pouvait impunément voler au-dessus. Ils marchent seuls dans l'obscurité, à travers la vaste solitude de Pluton.

« Au-devant du vestibule, à l'entrée du gouffre infernal, sont les noirs chagrins et les remords vengeurs, les pâles maladies, la triste vieillesse, la peur, la faim, source ordinaire des crimes, et la honteuse indigence, la mort et le sommeil frère de la mort. A la porte et au fond du vestibule, on voit la guerre meurtrière, les Euménides, couchées sur des lits de fer, et la Discorde. Sous la porte même habitent plusieurs autres monstres, tels que les deux Scylla, l'Hydre de Lerne, qui pousse d'horribles sifflemens, la Chimère, armée de ses flammes, les Gorgones, les Harpies. Là commence le chemin qui conduit à l'Achéron, dont la garde est confiée au redoutable Caron, nocher des enfers, qui conduit lui-même sa barque noire, et passe sans cesse les morts d'une rive à l'autre. Les uns en sont écartés, tandis que les autres traversent ce noir torrent: leurs ombres demeurent errantes, et voltigent le long de ces bords l'es

pace de cent ans; après ce terme, elles sont admises à passer à l'autre rive, si long-temps désirée. »

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«Énée, arrivé vers le fleuve, présente le rameau d'or à Caron, qui le reçoit dans sa barque, et le passe au-delà avec la Sibylle; Cerbère, dont l'antre est à l'entrée des Enfers, et à qui la Sibylle jete un gâteau de miel et de pa. vots, le dévore, et est surpris d'un assoupissement subit. Énée s'éloigne du fleuve, entend bientôt les cris des enfans qui pleuraient à l'entrée des Enfers, voit près de là ceux qui ont été les victimes d'une injuste condamnation, ceux qui se sont donné la mort. Plus loin s'offrent à ses yeux, dans la Campagne des Pleurs, ceux qu'un violent amour a consumés, Phèdre, Procris, Eriphyle, Evadné et Pasiphae, suivies de Laodamie et de Cénée, qui de fille avait été changée en garçon, et était alors revenue à son premier sexe. Parmi ces amantes affligées errait la reine de Carthage. »

« Énée et la Sibylle passent dans la dernière enceinte, où les guerriers fameux ont leur demeure séparée. A cet endroit le chemin se partage en deux routes celle sur la droite conduit au palais de Pluton et aux Champs-Élysées; l'autre, au lieu des supplices et au Tartare, séjour des impies. Énée tourne la tête, et voit à gauche une vaste prison, environnée d'un triple mur. Le Phlégéton roule à l'entour ses ondes enflammées; là s'élève une tour de fer, au haut de laquelle est assise Tisiphong, en sentinelle nuit et jour. La porte de la prison s'ouvre, l'hydre en garde l'entrée. Là sont les Titans que la foudre de Jupiter a précipités au fond de l'abîme; là Enée vit les deux fils d'Aloëus, Salmonée, Tityus, les Lapithes, Thésée, Phlégias.

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« Lors qu'Énée est près du palais de Pluton, il se purifie dans une eau claire, et attache le rameau à la porte, puis arrive dans ces bocages fortunés, où les ames pieuses goûtent une félicité tranquille; le divin Orphée y fait entendre d'agréables concerts. Là sont les guerriers qui ont prodigué leur sang pour la patrie, les poëtes qui ont chanté des vers dignes d'Apollon, ceux qui ont contribué au bon

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