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SCÈNE HISTORIQUE.

La flamme l'a touché, c'est la flamme céleste

Au feu! au feu! Sauvez l'enfant! hélas! il va périr! Le tonnerre a frappé! Voyez ! comme déjà la flamme du ciel entoure son berceau? Et cependant il dort, innocente créature, au milieu du volcan! et, blanche de lait, bouche sourit........

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Quand la terreur vole partout avec l'incendie dévorant, quand sa mère, en alarmes, appelle du secours, le nouvel Ascagne ne sent pas encore la flamme qui couronne sa sublime tête! Son sommeil, c'est la mort! Son berceau, c'est la tombe! Car l'incendie avance, et pareil au serpent qui menaçait le jeune Hercule, il siffle et darde au loin son triple dard de feu, rouge comme du sang.

Au feu! Sauvez mon fils! s'écrie encore sa mère, et la foule se presse et le tumulte augmente, et chacun de s'élancer sur les combles, sur les toits brûlés. Par les fenêtres brisées, on pénètre avec peine dans l'appartement rempli d'une noire fumée; de ses mille replis, elle enveloppe déjà l'enfant qui semble un séraphin radieux au milieu des nuages, ou bien un beau génie endormi au sein de la tempête.

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« Sauvcz! sauvez mon fils! rendez-moi mon cher fils! «< car mon enfant doit, un jour, être un grand homme. « La flamme l'a touché; c'est la flamme céleste, dit-elle.»

En effet, à la lueur des flammes, le visage de l'enfant paraît inspiré ! On approche, on l'enlève à l'incendie; mais c'est pour le livrer à l'abime; il est précipité du haut des airs! Dieu!.... protège sa chute!....

Mille bras amis sont étendus tout prêts à recevoir l'enfant qui tombe d'en haut, génie du ciel, pour s'y élever plus tard........ O miracle! il'est sauvé !........ Sa mère, sauvée avec lui, pleure de plaisir !....

Et ce jeune enfant, tel qu'un esprit de lumière, dont l'aile divine, brûlée par la foudre, doit renaître, pour planer dans les lieux profonds, ce jeune enfant on le nommait alors comme on l'appelle encore aujourd'hui... Châteaubriand!

Oh! que sa mère avait bien prédit!

J. L'HERMITTE. (D'AUBENTON)

CHRONIQUE D'UN BOURG

DANS LA HAUTE-BRETAGNE.

Eternité, néant, passé, sombres abimes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?

ALP. DE LAMAR TINE.

C'est peut-être une risible terreur; que voulez-vous?... mais je n'ai jamais pu me défendre d'un tressaillement nerveux, et, par une contradiction étrange, d'un horrible dégoût de l'existence, quand un malaise, une douleur, amènent à moi cette idée.

Les accidens de la vie d'homme s'effacent dans l'activité de sa vie, ou s'y confondent comme des rêves ensemble; mais les souvenirs d'enfans restent, et, ainsi qu'une apparition, reviennent vivans à la mémoire qui les rappelle. Je n'avais pas encore quitté le bourg de Montrelais, quand arriva cet événement, qui depuis est devenu la chronique du lieu.

Il y avait à peu près un an que M. de Béligué avait épousé une de mes cousines et jouissait avec elle de ce bien-être intime qui n'excite point l'envie parce qu'on le croit à la portée de tous, quand une maladie cruelle vint détruire ce bonheur, peut-être moins rare s'il était d'apparence moins facile.

Les médecins appelaient cette maladie hépato-entérite.

Ma jeune cousine, près d'accoucher, était retenue soigneusement gardée par sa mère, qui s'efforçait de l'abuser sur la santé de son mari; enfin, après trois jours de surveillance, sa tendresse inquiète s'irrite; elle se précipite de son lit, accourt, et tombe dans une chambre déserte.... Il y avait quatre jours que M. de Béligué était décédé, elle ne le savait pas.

Elle a retrouvé de la force dans la douleur.... La douleur a deux degrés : l'apathie et le désespoir; l'un suspend la vie, l'autre la rend. Lequel est moins pénible à subir?

Demi-nue, désordonnée, ne sentant plus l'enfant qu'elle porte et qui la fatigue de son poids, madame Béligué traverse le bourg; on la voit passer, elle marche d'un pas assuré; on s'étonne, on recherche la cause de cette démarche folle... Elle est arrivée! Là, le marteau de deux ouvriers retentit sur une dalle qu'ils sculptent auprès d'une tombe, dont la terre, non rassie encore, s'élève en relief entre toutes les tombes. Le nom de Clémence, qu'elle porte, est déjà gravé, sur la pierre, au dessous de l'inscription qui rappelle les qualités du baron de Béligué, maréchal des camps et armées, de l'ordre de Saint-Louis.

D'un geste précipité elle les écarte; ils la regardent et ne la comprennent pas; elle essaie un dernier effort pour parler, des larmes suffoquent sa voix. Elle n'a plus de connaissance, mais sa gorge nue, qui s'agite violemment, ses bras délicats, qui se tordent, montrent assez que cet anéantissement est le dernier degré de la souffrance : c'est la vie qui se retire et cède à la douleur.

A cet épuisement pénible, succèdent les fatigues de l'en

fantement et un effrayant délire; elle renverse, en le repoussant, le berceau de sa fille qui vient de naître, et elle avait tant désiré sa naissance!

Le sommeil ferme ses paupières un instant, un seul instant; elle se réveille en sursaut, s'écriant: « Non, il n'a pu mourir sans que je sois près de lui..... Il n'est pas mort; je le verrai encore une fois! » Cette pensée devient fixe en son front; elle y porte la main, son regard se ranime; elle veut se lever, sa mère à deux genoux s'y oppose : c'est en vain, il faut la suivre. Elle annonce son projet, on l'accuse de folie; que lui importe? les prétextes... Elle les rejette. Une inspiration la conduit: Je le veux.

«Oh! ma pauvre fille est folle!» dit sa mère; elle se désole et pleure. Clémence jette sur ses épaules un manteau ; elle part... Sa mère, qui n'a pu la retenir, l'accompagne. Deux domestiques les suivent.

Quatre heures n'avaient pas encore sonné à l'horloge du presbytère... On ouvrait déjà les volets de toutes les habitations; les journaliers partaient chargés d'un bissac et de leurs outils; car l'été, dans la saison des foins, les travaux des champs commencent de grand matin, et cela se passait au mois de juillet.

La terre sablonneuse, épandue sur le cercueil de M. de Béligué, était légère: elle est facilement déblayée; Clémence aide de tous ses efforts. La bière est ouverte.... Abominable spectacle! elle se précipite sur un cadavre qu'elle couvre de larmes et de baisers. Elle le soulève sur son sein; sa mère éperdue ne peut l'en arracher. On court appeler le respectable curé de Montrelais... Peut-être Clémence écoutera-t-elle sa voix.., sa pieuse exhortation! Dans tout le bourg le bruit se répand que madame de Béligué est folle, qu'elle exige qu'on l'enterre toute vivante avec son mari; les enfans accourent et les femmes. Un cri: «Oh! mon Dieu!» se fait entendre; tout le monde s'approche; madame de Béligué est retombée évanouie... On veut dégager sa poitrine du poids de ce cadavre. Il n'est pas mort!

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il respire! et voilà quatre jours que la terre le recouvre !.... On s'effraie, on se presse, on se disperse en criant: « Un miracle! » Clémence mourante est oubliée.... Le curé vient; il fait éloigner cette foule, dont l'impiété ne résiste pas à la superstition. Clémence est emportée au presbytère. Il n'y a plus de doute, M. de Béligué n'est point mort; son pouls se ranime; on sent tout son corps tressaillir; on le couvre... deux heures s'écoulent à lui donner des soins ; enfin il sort de l'horrible léthargie qui lui a conservé l'existence quatre jours dans la tombe.

Son tour est venu; il demaude sa femme auprès de lui; elle a cessé de vivre : la mort n'a laissé échapper une proie que pour en saisir une autre. Elle, elle est bien morte! Chère Clémence, si jeune, et si belle, et si naïve, et si pleine de grace et de bonté.

On peut décrire cette horreur mieux que je ne l'ai fait. On ne saurait peindre le désespoir de M. de Béligué. La douleur a ressuscité en lui toutes ses facultés; mais il se donnerait la mort, il la regretterait si l'enfant qu'on a placé dans ses bras n'avait besoin de lui. Un enfant dont on se sent le père, et qu'on baise pour la première fois! quel lien plus fort peut rattacher à la vie, et quoi le peut briser, sinon la mort !... Mot fatal qui se retrouve à toutes les lignes de ce récit; mais, au vrai, l'homme peut-il une fois assembler les lettres d'un nom, se perdre dans une fête, s'isoler dans la souffrance, sans la mort auprès de lui? N'est-elle pas là en avant de ses pas, le menaçant toujours ?

La mort et la vie ne sont pas deux. L'homme, en parlant des êtres qu'anime le souffle de Dieu, dit : « La naissance, la vie, la mort »; en parlant des choses que crée son industrie, il dit: «Le commencement, la durée, la fin. » Pourquoi ce luxe de mots?

Après cet invraisemblable événement, qui fut long-temps le sujet de tous les entretiens, M. de Béligué ne parut plus revivre qu'en sa fille. Ses désirs, ses caprices, ses volontés,

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