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il les prévenait sans les contrarier jamais, riant et jouant avec elle selon qu'elle l'exigeait; enfin, être pensif, on le voyait obéir à un enfant, comme un aveugle s'abandonne à son guide.

Je tiens de lui le récit des tortures qu'il éprouva de ces apprêts, de tous ces soins de la mort, avant la mort; fatale méprise de l'art, cruel jeu de la nature !

Ce récit, autant que je puis bien m'en rappeler les termes, commençait par ces mots :

«

Depuis vingt-quatre heures j'étais plongé dans cet « état d'insensibilité qui paralyse toute liberté d'agir, de « parler, et ne laisse que la faculté confuse d'entendre, de « voir et de souffrir. Masse inerte, on sent en soi la force

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qui manque de remuer un doigt, d'entr'ouvrir les lèvres, d'agiter un cil de l'œil.... Quelle impatience! quel dés« espoir !

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« Je sentais en même temps les médecins presser mon pouls, et mon pouls me trahir. Je vis à deux reprises approcher de ma bouche un miroir, sans que mon souffle « pût le ternir; alors je compris distinctement ces mots: << Il est mort! » et Clémence n'était pas auprès de moi. Je << pensai que peut-être en me donnant un dernier baiser « ma femme eût ranimé mon haleine....... et elle n'était pas « là!... et je ne pouvais l'appeler. Si j'avais pu l'appeler, « j'étais sauvé.

« Toutes ces pensées confuses se décomposaient en moi. « Un prêtre vint, apportant le viatique, et le reprit disant : « Il est trop tard! que Dieu ait pitié de son ame!

« Que me faisait Dieu! Dieu seul, qui pouvait me sauver, « ne m'aidait pas.... Que m'était l'enfer! que m'était le << ciel! je ne voyais qu'une éternité de souffrance et la plan«< che de la bière près de se fermer sur moi... Oh! je ne for« mais plus qu'un vou... d'être enfin mort pour cesser de « voir et de sentir!

« Mon ame, pleine de vie, était étreinte en mon corps « sans pouvoir se débattre, comme mon corps allait être

<< enfermé dans la bière...... Toujours une bière devant les « yeux !

« Douze heures s'écoulèrent ainsi; une garde auprès de « moi, et pas un seul instant ma femme.

«Que ces douze heures furent longues! Ma vie avait passé plus vite à la fin je m'interrogeai : « N'est-ce point « une autre vie que je commence ?... Est-ce donc l'enfer?» « Mon esprit, mon ame se recueillirent, et je doutai. «Qu'aije donc fait qui mérite d'être si cruellement puni?» me demandai-je ; et je maudis le nom de Dieu!

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« Il y avait en moi une rage qui s'irritait de son impuis<< sance et de l'inertie de mon corps. Il me tardait que les « vers vinssent me ronger, que la putréfaction le prît par « lambeaux, et me vengeât enfin de son insensibilité.

« Oh! que ces douze heures furent longues! si longues, « que je vis avec une sorte de joie couvrir mon corps du « linceul, et le placer dans la bière que j'avais tant re« doutée. Je réfléchis que j'allais donc cesser de vivre en «< cessant de respirer.

« On vint clore la bière; au premier clou que frappa <«<le marteau, tout mon corps tressaillit; il allait se rani«< mer... trop tard! Aussitôt je fus précipité comme en un « sommeil profond: il n'y eut plus de bruit.

« Je ne sais rien davantage... Je ne sais pas combien dura «< cet assoupissement, au moins c'était le repos.... Mais quel « fut le réveil? Je ne souffrais plus, j'allais m'épanouir à <«< la vie, comme le matin au lever, après les songes d'une « nuit, lorsque mon bras, heurtant les planches qui le re<< tenaient étroitement, vint me rappeler en sursaut qu'une « bière m'enfermait. Des pas pétrissaient la terre dont on « l'avait couverte ; je voulus m'écrier... mes lèvres s'ouvri« rent, ma voix n'avait plus de son; je meurtris de mes « dents, je devorai à demi mes lèvres mortes, jusqu'à ce « qu'enfin la douleur m'arrachât forcément un cri; il ne fut « pas entendu... Alors je retombai épuisé. Vous savez le « reste............. Que n'étais-je mort! Ma pauvre Clémence,

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« j'ai pu douter de son cœur, si plein de tendresse et d'instinct; mais c'était dans le délire. Oh! sans ma fille qui « me retient, à présent je serais auprès d'elle !... Clémence, << ta fille est un ange, et toi?... >>

Ces mots sont les derniers de son récit : je l'ai parcouru légèrement; je ne le répéterai plus, il me fait trop de mal à dire ; et puis il me laisse toujours une si pénible impression, que de long-temps après je ne pus dormir sans être agité, dans la nuit, par la crainte, quelque jour, de m'éveiller dans une bière...

N'avez-vous jamais eu cette pensée ?

Émile de GIRARDIN.

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Album Pittoresque

DE LA FRANCE.

SOUVENIRS DE LA CHAMPAGNE.

Scilicet et tempus veniet, etc., etc.

VIRGILE.

Un jour le laboureur dans ces mêmes sillons, etc.

DELILLE.

Je laisse à d'autres le plaisir de nous parler de ces rians vallons où la Marne promène ses eaux dormantes, de nous peindre les côteaux délicieux de Damery, d'Épernay, d'Ay, de Mareuil et de tant de jolis endroits ombragés par le pampre qui les couronne, inondés par le nectar qui découle du penchant des collines.

Que les esprits gais et rians rendent hommage en passant à la liqueur pétillante qui ranime un festin, stimule notre esprit, et donne à l'amour plus de témérité, plus d'abandon à la pudeur.

Allez, suivez d'un pas tranquille et rêveur les contours fleuris de cette eau qui murmure; égarez-vous lentement dans ce bois si mollement ondulé, ou bien prenez ce sentier sinueux qui serpente autour du côteau et conduit à l'ermitage; surtout respirez en liberté, et savourez doucement toutes les beautés de la nature que la Champagne peut vous offrir.

Allez, allez sans moi : mes plaisirs ne sont pas les vôtres. Mes regards à moi, mes pensées aiment à s'arrêter sur cette Champagne nue, blanche, pauvre, aride.... Pauvre,

mais riche, mais étincelante de souvenirs.... Aride! Ah! si le sang humain suffisait pour féconder un pays, quelle terre serait plus fertile que ces plaines où tant de légions dorment ensevelies depuis Attila jusqu'à nos jours?

N'est-elle pas toute pétrie d'ossemens humains, cette Champagne où se sont livrées tant de batailles, où se sont tant de fois débattus, entre des millions d'hommes, les intérêts de quelques ambitieux dont le vent balaie aujourd'hui la poussière?... Ne semble-t-il pas que tous ces ossemens de divers âges, réunis, entassés là de toutes les contrées, doivent parfois s'agiter et frémir sous mes pas; que, la nuit, toutes ces ombres grossières ou gracieuses, errent, planent, s'arrêtent autour de moi?... N'entends-je pas leurs armes retentir? Et, par intervalles, le vent du soir ne vientil pas apporter à mon oreille les cris sauvages des soldats d'Attila mêlés confusément aux voix plus distinctes, plus harmonieuses des guerriers enfans de la France?

Vision ossianique !... Partout le néant et le silence. De tous ces corps qui se sont bruyamment agités sur cette surface, il reste à peine quelques ossemens modernes, témoignage muet des luttes sanglantes de notre âge, et quelques fers rongés de rouille, que le soc heurte en passant. Ce fer fut-il forgé aux pieds du Caucase, ou laminé sur les rives du Tage? Armait-il un soldat du peuple-roi, ou un barbare venu des bords du Borystène? Et sont-ils sortis des lieux arrosés par le Niémen ou par la Loire, ces os blanchis, dont le laboureur vient de troubler le repos? Peu lui importe; d'un pied indifférent il les écarte tous : c'est un obstacle à sa charrue.

Je me souviens qu'un jour un jeune laboureur m'ayant apporté un fragment informe d'une armure, qu'il avait ramassé par hasard, je me trouvai fort en peine de satisfaire sa curiosité, et, pour expliquer mon embarras, je me crus obligé de lui faire un récit succinct des batailles et des combats dont son pays, depuis deux mille ans, avait été le théâtre. J'étais sans doute en verve, car peu s'en fallut que

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