ページの画像
PDF
ePub

je ne remontasse au déluge. Peut-être aussi n'étais-je pas fâché de compenser mon ignorance en fait d'armures par l'étalage d'un peu d'érudition, d'autant que je parlais en présence du notaire d'un village voisin : toutefois je ne commençai qu'à César. Je crois même que je prononçai le Durocortum des Commentaires, aujourd'hui la ville de Rheims, capitale de cette partie des Gaules, lorsque César en fit la conquête, et que j'eus occasion de glisser aussi le nom des Tricasses, habitans des bords de l'Aisne.

Voilà donc César, à la tête de ses légions venant porter la guerre dans ce pays, et le soumettant à la république romaine. Plus tard, près de Châlons, se livra la grande bataille où Tétricus fut défait par Aurélien son compétiteur à l'empire. Puis vinrent les Francs et les autres peuples de la Germanie, qui s'emparèrent de la Champagne et successivement de toutes les provinces qui composaient les Gaules. Bientôt après, Attila, venu avec ses hordes victorieuses du fond du Caucase aux rives de la Seine, fut défait dans ces mêmes plaines par les Romains, les Francs, les Bourguignons et les Goths réunis.

Depuis l'origine de la monarchie française jusqu'au xive siècle, la Champagne fut constamment ensanglantée par les prétentions ambitieuses de ses ducs et de ses comtes qui parvinrent enfin, vers le x° siècle, à rendre leur dignité héréditaire et leurs domaines indépendans de la couronne de France.

Les débats entre les comtes de Champagne, devenus grands feudataires, et l'autorité royale, qu'ils balançaient par leurs prérogatives, continuèrent jusqu'en 1328, époque à laquelle Philippe de Valois réunit la Champagne à sa

couronne.

Toutes ces luttes contre la couronne de France, pendant près de mille ans, n'empêchèrent pas les ducs et les comtes de Champagne d'être constamment en guerre avec leurs voisins.

Du fond de leur Péninsule, les Espagnols vinrent aussi,

dans le xv siècle, sous les ordres de Charles-Quint, guerroyer dans la Champagne, dont ils détruisirent et brûlèrent plusieurs villes.

Dans les diverses guerres contre les Anglais, comme dans toutes nos luttes religieuses et nos dissensions civiles, la Champagne fut encore un théâtre continuel de guerres et

de combats.

Et vers la fin du siècle dernier, lorsqu'un cri de liberté, parti du sein de la France, attira sur elle la colère des rois de l'Europe, c'est en Champagne, c'est à Valmy que leurs armées furent arrêtées et repoussées sur la terre étrangère. C'est en Champagne que la France devait être sauvée des fureurs du despotisme, et c'est encore là que, vingt ans après, devait se débattre et tomber sous les coups de tous ses ennemis réunis, le fils même de la liberté, celui qui seul les avait tous écrasés tant de fois, et dont le nom fit si longtemps trembler l'Europe.

Faut-il compter tous les combats où son génie, où sa personne se multipliaient?... Montmirail, Champ-Aubert, La Fère-Champenoise, Craone, Brienne!!... Ah! les blessures de la patrie seraient-elles sitôt cicatrisées, qu'il fallût vous rappeler à sa mémoire?

Ainsi le soleil de la Champagne devait éclairer le premier et le dernier jour de vingt années d'une gloire immortelle.

Et trois fois dans cet espace elle s'est vue inondée par les armées de l'Europe qui s'avançaient pour envahir la France.

Aujourd'hui cette même terre ne peut-elle pas retentir encore sous les pas des mêmes armées, et se rouvrir pour recevoir de nouveaux ossemens?

Car telle est sa destinée : il faut du sang pour arroser ses plaines sablonneuses.

Aussi tout atteste chez elle le rôle qu'elle a joué depuis des siècles dans les fastes militaires de l'Europe: partout des villages entourés de fossés et de remparts plus ou moins détruits ici les traces du camp de la Lune, plus loin celui

d'Attila, qu'ont épargné le temps et les hommes; çà et là des débris de retranchemens de tous les âges; au détour de ce bois fut tué un général français, ici un des héros du peuple-roi : ce monticule fút élevé pour lui servir de tombe, car ces cònes, ces buttes factices, espèce de pyramides, aussi durables qu'elles, que vous rencontrez souvent dans la plaine, furent construites pour servir de sépultures aux guerriers ou aux grands personnages morts dans une bataille. Ces chemins longs et droits, bâtis solidement en chaussée, que vous trouvez en partie dégradés, en partie réparés, suivant qu'ils ont pu convenir aux intérêts nouveaux, aux besoins changeans des hommes, ces chemins étaient des routes militaires que fit construire par les troupes romaines, mêlées aux habitans', Agrippa, gouverneur des Gaules. Ce pont fut rompu du temps de la ligue; ce village brûlé par Charles-Quint; ce canon, depuis deux cents ans, sert de borne au coin d'une rue; ces boulets incrustés dans ce mur, datent de 1814.

Et cette montagne que vous découvrez à l'horizon, c'est le Mont-Aymé, d'où trois monarques se plurent à contempler leurs armées qui couvraient la Champagne, étonnées de fouler le sol de la France.

Quelle ville ici ne compte plusieurs siéges? Quelle village ne montre quelques cicatrices? Quelle ferme n'a pas ses souvenirs?

Eh bien! les habitans de cette Champagne si souvent ravagée, où tant de luttes doivent se décider encore, ces braves Champenois, destinés à se voir toujours les premières victimes de nos guerres, loin de s'en effrayer, loin de les craindre, sont toujours les premiers à vouloir courir aux armes, toujours prêts à soutenir de tous leurs efforts nos libertés menacées.

Mais puis-je arrêter ces souvenirs, empreints de je ne sais quelle rêverie pénible, sans les reporter sur Brienne et son château délaissé? Sur Brienne, qui fut le second berceau de Napoléon, et son premier tombeau, car il devait ressus

citer pour expirer deux fois encore. Le vulgaire ne meurt qu'une fois.

Si les lieux consacrés par l'enfance des grands hommes doivent vivre dans la mémoire des siècles, quelle cité peut aspirer à ton immortalité, humble ville de Brienne, toi qui as nourri l'enfance de Napoléon?

Ton château, dominateur superbe, plane solitairement sur tes tristes campagnes, et sa masse éclatante éblouit au loin l'œil du voyageur.

Mais c'est en vain que les trésors d'un autre âge furent prodigués pour l'élever, et pour transformer cette nature aride en un séjour de délices; notre siècle n'a plus d'hôtes pour de tels palais. Ils restent debout parmi nous, comme si notre indifférence leur faisait grâce espèce de ruines toutes neuves, qu'on laisse au temps le soin de noircir et de balayer lentement, à moins que la main spéculatrice de quelques hommes ne vienne les frapper du marteau des

tructeur.

Et bientôt, ô Brienne! on ne parlera plus ni de ton château ni de ses bosquets, ni de ses eaux suspendues; mais tu vivras éternellement pour avoir servi de berceau à Napoléon.

Son nom qui a rempli le monde, et que redira toute la postérité; son nom fut proclamé là pour la première fois. Là se voit encore la chambre étroite où il veillait, fécondant par le travail les germes de son génie.

Là se retrouve la place où, dans ses jeux d'enfant, il préludait au jeu terrible des combats.

Singulière vicissitude! Après que, durant vingt années, il eût réalisé plus de rêves que sa jeune imagination n'en avait créé, ce fut là, aux lieux mêmes où il avait promené et les rêveries du jeune âge et les méditations de son génie naissant, ce fut là que ses mortels ennemis, réunis pour l'écraser, affrontèrent son premier choc sur le sol de la France. La fortune, déjà infidèle à ses aigles, sembla hésiter encore à briser son ancien favori; mais bientôt s'ac

complit l'arrêt fatal. Et dès ce moment, ô Brienne! tu comptes un titre de plus à l'immortalité, car tu as vu l'aurore et le déclin de Napoléon.

CHARLES DE ROSIERES,

du Puy (Haute-Loire).

LA TOUR DE LA REINE BERTHE,

A MONTREUIL-SUR-MER.

La première livraison de la France Littéraire contenait un article remarquable sur la destruction des monumens du moyen âge. Tous les amis des arts déplorent avec M. Victor Hugo notre insouciance à conserver ces souvenirs vivans du passé, ces restes majestueux de la vieille monarchie qui se rattachent essentiellement à l'histoire et aux mœurs de notre nation. J'habite un département où il existe, en assez grand nombre, de ces vestiges de l'ancienne France; depuis plusieurs années j'ai assisté avec un véritable sentiment de tristesse aux mutilations que le vandalisme leur a fait subir, et j'unis aujourd'hui ma faible voix à la voix puissante de l'auteur de Notre-Dame de Paris, pour que l'administration arrête enfin le marteau des barbares qui, chaque jour, couvrent de débris le sol de ma patrie!

Dans l'un des voyages que je fis à Montreuil-sur-Mer, on me parla d'une tour, située au centre de la citadelle de cette ville, et qui se rattachait à une circonstance intéressante de notre histoire. Duchesnes, Velly, Moréri, et beaucoup d'autres écrivains ou chroniqueurs, nous ont laissé des détails assez étendus sur la séparation de Philippe ler, roi de France, d'avec Berthe. Cette princesse, fille du comte

T. I.

23

« 前へ次へ »