ページの画像
PDF
ePub

Académies.

SORBONNE.

COURS DE M. SAINT-MARC-GIRARDIN.

LES principales chaires de la Sorbonne se renouvellent par époques celle de philosophie, quand un système est parvenu à son dernier période de développement, et qu'une exploration savante dans la science révèle un nouveau progrès à accomplir; — celle d'histoire, quand un revirement politique permet des jugemens plus impartiaux sur les rois morts, sur les gouvernemens tombés, amène aussi des rapprochemens plus directs et des comparaisons plus sincères, avec l'ordre des événemens contemporains. Ainsi M. Jouffroy a succédé à M. Cousin, et sans être plus profond dans les vues, plus élevé dans les conclusions, sans atteindre à un plus haut degré de mérite personnel, il a sur lui l'avantage d'être imbu de l'esprit actuel, de le comprendre, de le juger. Il arrivera donc que son cours, où il pose des questions déjà plusieurs fois débattues, il est vrai, mais dont les solutions sont modifiées selon l'état présent des intelligences et des choses, sera profitable comme celui de M. Cousin l'a été pour son temps. Sans doute il est étrange de morceler un siècle en plusieurs laps d'années; il semble que dans des espaces aussi courts, il ne puisse s'opérer un changement capital dans les tendances philosophiques; mais c'est que les idées vont vite, dans l'âge où nous vivons. Depuis notre première révolu

tion, qui fut si tardive à éclater, elles ont marché si rapidement à des buts différens, elles ont changé si souvent d'allure et de direction, elles ont été si actives à détruire le passé, et si inhabiles à se proposer un avenir, que les systèmes philosophiques ont varié presque à l'égal des opinions politiques.

Quant à l'enseignement de l'histoire, il a éprouvé lui aussi un grand nombre de variations. Avant M. Guizot, dont l'érudition était si vaste et la logique si sévère, on ne voyait le plus habituellement dans l'histoire qu'une série d'actions louables ou répréhensibles, selon qu'elles eussent fini par des revers ou de la gloire; on s'occupait beaucoup des événemens par eux-mêmes, peu ou point de leur cause et de leur enchaînement; la biographie des rois et des empereurs, les faits et gestes des grands et des puissans de la terre intéressaient surtout, et on négligeait d'étudier le peuple. Le peuple, disait-on, c'est un élément sans ame, une force sans raison; entre les mains des ambitieux, c'est un instrument; dans les lois de la Providence, il sert à exécuter les décrets de la destinée. Qu'importaient alors sa physionomie particulière, sa vie privée, le travail intérieur que le progrès des idées excitait en lui, que la marche de la civilisation menait à son terme. Lorsqu'on arrivait à l'heure d'une révolution, elle n'avait pas été prévue, pas annoncée; et on se contentait d'en suivre les mouvemens, les oscillations diverses, d'en condamner les fureurs, d'en flétrir les excès. Puis si de ce chaos, peu débrouillé et confus à l'œil, se détachaient quelques hommes d'énergie et de courage, on se hâtait de les isoler, afin qu'ils servissent de type et de point de comparaison pour juger leur époque. Voyez! ces influences alternatives de l'esprit d'une nation sur celui d'une autre, ces grands déplacemens d'autorité, on les personnifiait dans un héros, et ce héros était grandi de tout le génie du peuple dont il n'avait été que le bras: tel Alexandre dans le triomphe de l'esprit grec sur le monde asiatique ; tel Trajan, lorsque le génie romain conquit la suprématie

sur le génie des Grecs; tel Attila dans l'envahissement barbare sur la puissance usée des Romains.

Il exista encore une autre erreur, conséquence de cet envisagement incomplet des traditions passées. Avec cet usage de ne tenir compte que des sommités sociales, l'emphase académique devait percer dans la plupart des jugemens historiques. Chaque personnage important dans son siècle, quelque grossier qu'il eut été d'ailleurs, fut donc idéalisé, et, au détriment de la vérité, revêtu d'un caractère fictif, doué d'une noblesse factice. Les fondateurs de Rome, par exemple, n'étaient plus les chefs entreprenans de quelques bandes de pâtres et de vagabonds, mais bien des espèces de demi-dieux, aux formes élégantes, à la parole inspirée: on leur conservait avec sollicitude l'auréole poétique dont Virgile les avait entourés. Et les premiers conquérans de la Gaule? métamorphosés en guerriers forts et magnanimes, ils avaient été dépouillés de leur férocité instinctive; leurs vols à mains armées étaient le butin des guerres; leurs pillages, des conquêtes; leurs assassinats, des représailles. Voltaire le premier, avec son irouie et son scepticisme si puissans, renversa ces statues mensongères, abattit ces piédestaux élevés par les adulateurs du despotisme. Il introduisit dans l'histoire l'impartialité méthodique de la philosophie, et fonda une école historique que David, Hume et Gibbon transportèrent en Angleterre, et que M. Guizot a ramenée en France.

M. Guizot a long-temps développé en Sorbonne sa manière neuve et haute de traiter l'histoire, et il a formé plusieurs disciples dont le premier en talent et le plus digne de devenir son continuateur, fut sans aucun doute M. SaintMarc Girardin. A son tour voici ce dernier qui professe, au milieu d'un concours aussi nombreux d'auditeurs que son savant maître. Libre du choix de son enseignement, il l'a commencé par l'Allemagne, par l'histoire de l'ancienne Germanie. C'est là, en effet, que jaillit la véritable source des sociétés modernes, c'est de la Germanie que sont sortis

et se sont répandus en Europe les peuples nouveaux. Pour donner l'idée la plus brève et la moins décolorée possible du cours de M. Saint-Marc Girardin, nous ne parlerons ici que de ses leçons des 7 et 14 février par la différence de leur sujet, l'une toute d'exactitude historique, l'autre remplie surtout d'une philosophie grave et spirituelle à la fois, elles nous semblent en partie résumer l'objet et indiquer le but de cet enseignement remarquable. La première des deux leçons fut consacrée à l'analyse des capitulaires de Charlemagne : les efforts de ce grand homme pour remplacer la confusion permanente de la conquête par l'ordre et la tranquillité, pour débrouiller le chaos de son empire, pour rendre l'harmonie au tumulte de son époque, ses luttes énergiques contre l'esprit de son temps, ses différentes institutions, où le peuple et l'armée confondus par les mêmes droits et les mêmes devoirs, sont appelés ensemble à délibérer au champ de Mai; tout ce travail opiniâtre du génie pour dominer son siècle, a été présenté avec une érudition attachante et mêlé de réflexions pleines de justesse et de critique sur les erreurs des historiens. A mesure qu'un préjugé historique se présentait en avançant dans la narration des faits, M. Saint-Marc Girardin en démontrait l'absurdité avec une causticité piquante. Ainsi justice fut faite de cette croyance que notre patrie avait été inondée tout à coup d'un torrent de barbares; il fut prouvé au contraire, qu'ils venaient en petites troupes, en bandes aventurières et peu nombreuses, puis s'éparpillaient sur le territoire, et peu à peu s'amalgamaient aux indigènes.

Dans sa leçon du 14 février, M. Saint-Marc Girardin s'attacha surtout à apprécier philosophiquement le moyen âge, à le montrer comme un chaos, il est vrai, mais un chaos qui contient, au sein de son tumulte, le monde actuel. Il veut y saisir la formation d'une société, y suivre les mouvemens secrets de sa création. Qu'est-ce qui a fait la société moderne? la féodalité; elle est venue combler le vide que dissolution du monde romain laissait en Europe. Le prin

la

cipe, la vie de l'empire romain avait été l'égalité absolue, le despotisme impérial n'en étant que l'accident; la vie, le principe du monde barbare sera la hiérarchie, la distribution régulière des inégalités. Il y avait des races nobles au Nord; le devoir de la féodalité était de graduer cette noblesse. C'est à propos de l'accomplissement de cette nécessité historique que M. Saint-Marc Girardin a fait un honneur à la féodalité du succès de son œuvre. Il la juge comme une force, non pas brutale, comme quelques écrivains l'ont prétendu, mais au contraire très raisonnable, très méthodique et procédant, par l'analyse, pour créer l'unité moderne. Elle trouve, en effet, une vaste société soumise à Charlemagne, et s'avouant l'impossibilité de la gouverner après lui; la voilà qui défait cette société pièce à pièce, qui en divise les élemens, qui démembre cet empire, qui détruit son administration centrale, et ne conserve à chaque portion morcelée qu'une vie suffisante pour se mouvoir dans son cercle étroit. Certes, si c'est par raisonnement, si c'est par conscience d'elle-même que la féodalité a agi avec cette mesure et cette prudence, la postérité lui doit reconnaissance et gloire: mais elle nous paraît, à nous, avoir été sur son avenir d'une ignorance aussi complète que le xixe siècle l'est aujourd'hui sur le sien; et cependant le progrès de nos idées est incontestable et la supériorité de notre esprit est hautement proclamée.

Nous finirons cet aperçu rapide des leçons de M. SaintMarc Girardin, en nous rangeant entièrement dans la classe des admirateurs de son talent. Ce qui rend, à notre avis, son cours de plus en plus complet et instructif, ce sont les savantes digressions qu'il entreprend à travers les âges qui précédèrent le monde Germain; c'est aussi l'appréciation pittoresque qu'il fait de l'esprit moderne comparé à l'esprit ancien, et enfin les résultats moraux et les enseignemens politiques qu'il tire si judicieusement de l'histoire.

J. A. DAVID.

« 前へ次へ »