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AP 20 .F85

v.l

1077623-190

LITTÉRAIRE.

Littérature.

ORPHÉE, HOMÈRE, HÉSIODE.

Il y a des noms qui ont passé à la postérité comme les monumens impérissables et gigantesques des anciens âges, dont ils offrent le résumé vivant. C'est en eux seuls que tous les autres se sont absorbés et comme perdus; semblables aux débris du monde antédiluvien, ils ont survécu à tous les cataclysmes sociaux et politiques, pour servir de jalons, destinés à marquer les pas de l'humanité dans les voies successives de la civilisation. Tels sont les trois grands noms d'Orphée, d'Homère, d'Hésiode : trinité symbolique des trois phases que, dans l'origine, l'esprit grec a parcourues. Orphée, Homère, Hésiode ont été les premiers initiateurs de la Grèce dans le culte, dans l'histoire et dans la morale. Habile à remplir la haute mission que les muses reçoivent dans l'enfance ou

dans la jeunesse des sociétés, leur poésie, chargée d'une sorte de sacerdoce, a chanté les dieux, célébré les héros, gravé les préceptes de la justice et de la sagesse dans l'ame d'un peuple trop voisin encore de son berceau, pour ne pas allier la naïveté des croyances à l'aveugle emportement des passions. Le scepticisme moderne a nié leur existence. Sans doute les hymnes, revêtus du nom d'Orphée', portent une date postérieure au siècle de cet ancien chantre, et le nombre immense d'ouvrages attribués à Homère et à Hésiode, est un motif de croire qu'ils n'ont pu les composer tous. Mais si le temps a dévoré leurs œuvres, ou si leurs contemporains et la postérité ont mis sur leur compte des travaux étrangers, est-ce là une raison suffisante pour ne voir en eux que des êtres imaginaires et abstraits? Comment supposer que toute l'antiquité grecque ou latine soit tombée dans l'erreur sur la réalité de faits dont l'époque n'était pas encore très éloignée d'elle, et sur lesquels on n'avait, ce nous semble, aucun intérêt à la tromper? D'où serait provenue l'idée d'un Homère, d'un Hésiode, si deux poètes de ce nom n'avaient pas existé? Cette existence ne semble-t-elle pas plutôt confirmée par la variété même des récits auxquels leur vie a servi de texte, par l'empressement des peuples à se disputer l'honneur de leurs berceaux et de leurs tombes, et surtout par le choix que l'opinion commune a fait de leur personne, pour leur attribuer tant d'ouvrages dont ils ne sont pas les véritables auteurs, de même

'Onomacrite, contemporair des Pisistratides, rajeunit les hymnes d'Orphée, dont la forme poétique avait vieilli, ou plutôt il en fut le véritable auteur.

qu'on a rassemblé plusieurs Hercules dans un seul? Nous croyons donc, non pas qu'un Orphée, un Homère, un Hésiode ont composé toutes les œuvres placées sous la protection de leurs noms, mais qu'ils ont réellement existé aux trois grandes époques de la poésie primitive de la Grèce. Cependant comme la nature intellectuelle, semblable à la nature physique, établit une constante harmonie dans ses créations, leur génie a dû sympathiser avec celui de leurs siècles; il ne s'est développé qu'au milieu d'un cycle d'intelligences faites pour l'imiter, ou du moins pour le comprendre. L'histoire a conservé plusieurs noms contemporains des leurs; et si on leur a imputé les ouvrages de tant d'autres poètes, c'est que leurs succès avaient été ou plus nombreux ou plus éclatans. Après tout, cette question, relative à l'existence réelle ou supposée des anciens poètes, ne doit pas nous occuper long-temps qu'importent des noms? leurs œuvres nous restent; c'est là qu'il faut étudier les secrets de leur génie, exhumer l'histoire de leurs siècles.

Avant d'examiner les ouvrages d'Hésiode, nous devons reporter nos regards sur les époques antérieures, parce qu'ils nous offrent un synchronisme des antiques croyances déjà tombées, et des croyances nouvelles prêtes à s'élever sur leurs débris. Tâchons de remonter jusqu'aux premiers anneaux qui forment la vaste chaîne des idées religieuses et poétiques de la Grèce. Nous signalerons ensuite les similitudes et les dissidences qui rapprochent ou séparent Hésiode et ses devanciers. Si, d'un côté, il semble reculer vers le berceau de l'ancienne mythologie, nous verrons que de l'autre il s'avance dans la route du perfectionnement. Sa muse, qui nous apparaît à une époque pa

lingénésique de fin et de renouvellement, est placée, pour ainsi dire, sur la frontière de deux mondes : on pourrait l'assimiler, si une telle comparaison n'était pas trop ambitieuse, à ces statues colossales, que l'art antique représentait debout posant les pieds sur deux rivages, d'où elles dominaient les mers dans une attitude majestueuse.

Le fleuve de la religion et de la poésie grecques se forma et se grossit des nombreuses sources qui des hauteurs de l'Himalaya, des vallées du Nil, des rives de l'Euphrate et du Tanaïs, dirigèrent vers la même contrée leur flots variés et abondans. Mais ces flots luttèrent long-temps avant de suivre un même cours. Les deux races japhétiques et semitiques, se retrouvant face à face dans la Grèce, reprirent leurs haines, recommencèrent leurs combats; les sacerdoces rivaux de l'Asie et de l'Europe se persécutèrent tour à tour, jusqu'à ce que la théologie orphique rassemblât les élémens de tant de cultes et les concentrât dans une seule doctrine. Alors la théocratie qui s'établit au berceau de presque tous les peuples, tenta de prendre également possession du sol de la Grèce. Quoiqu'elle n'y ait jamais régné avec autant d'empire que dans l'Inde, dans la Perse, dans l'Égypte, chez les Hébreux, ou chez les Étrusques, cependant à travers les épais nuages dont est chargé le ciel mythologique de l'ancienne patrie de Linus et d'Orphée, on voit percer quelques rayons qui nous laissent découvrir son vague et mystérieux fantôme. La religion primitive des Grecs avait personnifié les astres, les vents, les métaux, les époques genésiaques et les révolutions physiques du globe, les travaux de l'agriculture, les inventions des arts : non contente de di

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