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quelles attentions il est sans cesse l'objet! Il n'y a pas à Madrid un prédicateur à la mode, un moine en odeur de sainteté, une religieuse prophétisant l'avenir, qui soit plus fêté et mieux accueilli que cet humble curé de village. Il ne se fait pas dans sa paroisse une livre de beurre, il ne se recueille pas un rayon de miel, il ne se tue pas un jeune chevreau dont il n'ait sa part, et la veille des jours de grande fête, et des jours où l'on sait qu'il recevra du monde, il s'établit à la porte de sa cuisine une procession de bonnes femmes, apportant leurs œufs, leur laitage, leurs poulets, véritable dime qu'elles acquittent sans avertissement de percepteur et sans l'intervention du garnisaire.

L'église est bâtie au point central de la paroisse, et une grande partie des revenus de la commune est employée à lui donner chaque année quelque ornement nouveau. A côté s'élève le presbytère, la maison du maître d'école, et deux ou trois auberges. C'est là que de toute la montagne affluent le dimanche matin les habitans de la paroisse; les vieillards avec leurs habits à la française, leurs culottes de gros drap et leurs grands chapeaux à cornes; les jeunes gens avec la veste ronde et le pantalon de velours; les jeunes filles avec leurs robes d'indienne, à manches courtes, qui ne vienuent que jusqu'au coude, leur corsage élégamment taillé, leurs petits sabots couverts de peau de chèvre, leurs bonnets plats et carrés, et une profusion de colliers et de bijoux en or ou en argent. La tournure des montagnards est gracieuse et légère, leurs manières vives, leur esprit gai, et c'est plaisir que de les voir s'approcher l'un de l'autre, se réunir avec un air de franche cordialité et de joie expansive.

Le dimanche est ici plus que partout ailleurs une véritable fête. C'est ce jour-là que, séparés les uns des autres toute la semaine, par une assez grande distance, l'hiver par des chemins impraticables, les amis et les parens sont convenus de se retrouver, de se rejoindre, et de passer quelques heures ensemble. Ainsi l'on va à la messe, et

après la messe on court au cabaret. Hommes, femmes, jeunes garçons et jeunes filles s'asseyent à la même table, boivent à côté l'un de l'autre, et à la fin du repas entonnent la même chanson. Puis l'on se lève pour aller très dévotement aux vêpres, et le soir on se sépare en se promettant de se revoir le dimanche suivant.

Je ne sais pourquoi je me suis tant appesanti sur ces détails, si ce n'est parce qu'il me semble que j'écris une histoire qui n'est plus de nos jours, et qu'en rapportant au monde fashionable, au monde sceptique, au monde frivole et blasé, cette excursion dans un pays dont les habitans ont conservé la foi religieuse, les mœurs rustiques, la forme un peu âpre qu'ils tiennent de leurs pères, je n'aspire à rien moins qu'à me faire passer pour un voyageur aussi extraordinaire que Cook ou Maccarty.

J'ajoute encore que je suis loin d'avoir épuisé la matière, et qu'il ne me manque à moi, pauvre bonhomme de FrancComtois, qu'une plume un peu élastique pour écrire sur les montagnes de la Franche-Comté trois ou quatre gros volumes, qui ne manqueraient pas d'exciter l'intérêt; car il y a dans ces montagnes quatre peuples à observer: le peuple de pâtres, le peuple marchand, le peuple industriel, et le peuple de contrebandiers, qui pourrait à lui seul fournir plus d'aventures étranges qu'il n'en est jamais venu à la pensée d'un faiseur de mélodrames. Mais c'est déjà bien assez que M. le directeur de la France Littéraire ait voulu m'accorder quelques pages dans son journal, et je laisse la matière à de plus habiles.

X. MARMIER (de Besançon).

LA BRÈCHE AU DIABLE.

(NORMANDIE.)

A gauche de la route de Caen à Falaise, non loin du village de Pôtigny, se trouve l'un des sites les plus remarquables de la Normandie, cette terre où les beautés pittoresques de la nature le disputent aux grands et poétiques souvenirs de sa vieille gloire : c'est la Roche de SaintQuentin, connue dans le pays sous le nom de Brèche au Diable, nom admirablement approprié par le peuple à la configuration sauvage et âpre de ce lieu bizarre. Lorsqu'au détour d'un petit sentier, qui se déroule comme une blanche écharpe sur la verte pelouse du vallon, on aperçoit tout à coup cette roche noirâtre, déchirée depuis la base jusqu'au sommet, et présentant comme une immense gueule béante levée vers le ciel, on est saisi d'un étonnement mêlé de frayeur : il y a dans ce spectacle quelque chose de grand et de terrible qui porte bien l'empreinte de l'œuvre de Satan.

Imaginez-vous une longue chaîne de rochers très élevés, qui traverse un large et magnifique vallon, et se trouve brusquement coupée dans toute sa hauteur par une rupture qui forme une gorge profonde ou plutôt un véritable abime. L'escarpement effrayant du côté oriental présente une muraille de rochers taillés à pic et hérissée d'énormes blocs qui semblent suspendus dans l'air et menacent sans cesse de rouler dans le précipice. Ce déchirement de la montagne n'a pu être produit que par une de ces grandes catastrophes de la nature qui changent et bouleversent certaines contrées de la terre. Le roc à angles saillans et à couches presque verticales paraît avoir été déchiré par une

caux,

violente explosion. Mais on prétend que le vallon qui s'étend au midi était autrefois un lac immense dont les s'ouvrant un passage à travers les flancs de la montagne, s'écoulèrent dans le vallon du nord. Quoi qu'il en soit, on n'y voit plus aujourd'hui que la jolie petite rivière de Poussendre, qui court et bondit en cascades écumantes sur des pointes de roches dans les profondeurs de l'abîme, où ses eaux font tourner deux moulins à huile dont le bruit retentissant et monotone vient seul troubler cette solitude agreste et sauvage.

Il existait autrefois des traditions populaires sur un lieu qui prête tant aux croyances merveilleuses; mais elles ont éprouvé le sort de toutes ces vieilles et curieuses légendes nationales dont, chaque jour, se perd le souvenir. Aujourd'hui, lorsque vous interrogez les gens du pays sur l'origine de la rupture de la montague, ils vous répondent : « Nos anciens l'ont toujours vue comme cela; tout ce que nous savons c'est « que c'est le diable qui l'a faite. » Ou bien quelques uns parlent vaguement de combats livrés en cet endroit, entre Satan et saint Quentin, auquel est dédiée une petite église qui couronne le plateau de la colline.....

Sur le haut de la montagne qui domine le précipice du côté de l'orient s'élève un monument qui ajoute encore à l'aspect romantique de ce site sauvagement pittoresque : c'est le tombeau de Marie Joly, actrice charmante, femme pleine des douces vertus de mère et d'épouse, morte à la fin du siècle dernier. La pierre blanche du mausolée apparaît de loin, au milieu du noir feuillage des pins et des cyprès qui l'environnent, comme une pâle étoile sur un ciel sombre et obscur. Pour visiter cet asile de l'éternel repos, il faut gravir la colline par un sentier escarpé. Lorsque vous êtes parvenu au sommet, vous trouvez dans une espèce de hutte un pauvre savetier ignorant qui ouvre l'en_ ceinte du tombeau, où l'on pénètre par une grille en fer au dessus de laquelle on lit des vers que Marie avait composés elle-même pour le tombeau de J.-J. Rousseau.

Le mausolée s'élève sur la crète du rocher au bord de l'abîme, dont il n'est séparé que par un étroit sentier d'où l'œil plonge avec effroi dans les profondeurs du gouffre, et où il est impossible de passer sans éprouver une sorte de vertige. Sur l'une des faces de la pierre tumulaire est un bas-relief qui représente Marie Joly couchée sur une estrade entre les génies éplorés de la comédie et de la tragédie: ces sculptures, dues au ciseau de Lesueur, sont d'un très beau travail. M. Dulomboy, en consacrant ce monument à la mémoire d'une épouse qu'il paraissait aimer avec une grande exaltation, a déployé un luxe inoui d'ornemens ou plutôt d'enjolivemens funéraires. Les inscriptions surtout, empruntées à Pétrarque et à tous les poètes amans, sont trop multipliées : on ne peut faire un pas sans en rencontrer une, et presque toutes sont pleines d'une froide sentimentalité.

Ce lieu si romantique a joui autrefois dans la contrée d'une grande célébrité qui commence à s'éteindre ; cependant il sera toujours visité avec intérêt par toutes les ames susceptibles d'émotions et de poétiques inspirations. G. S. TRÉBUTIEN (de Caen).

COUTUMES PRÉLIMINAIRES DES MARIAGES

QUI ONT LIEC

PARMI LES PASTEURS DES ALPES COTTIÈNES.

Quino palazzi, non teatro o loggia,

Ma'n lor vece un' abete, un faggio, un pino!
PETRARQUE.

Je ne pense pas qu'on puisse trouver, dans les Alpes françaises ou helvétiques, un vallon plus solitaire que celui de lives-Aigues, au fond duquel nous vinmes coucher ce

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