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neuve et plus grande encore. Quel est le but principal de ce voyage mystérieux ? Pourquoi Anchise ordonne-t-il à son fils de l'entreprendre? C'est pour lui révéler les des– tinées de cette ville nouvelle où les restes de Troie vont s'établir et commander au monde :

Tum genus omne tuum, et quæ dentur mænia, disces.

Cette conception originale et sublime appartient tout entière à Virgile; on n'en trouve nulle part le germe dans Homère : elle a été et sera dans tous les temps une des sources les plus abondantes du merveilleux épique. C'est aussi l'endroit de Virgile que Boileau semble admirer le plus et qu'il désigne dans ces vers de l'Art poétique ;

Bientôt vous le verrez, prodiguant les miracles,

De Styx et d'Achéron peindre les noirs torrens,

Et déjà les Césars dans l'Élysée

errans.

En ouvrant ainsi le livre des destins, en faisant voir dans des tableaux prophétiques tout ce qui doit être un jour, Virgile a trouvé le secret de réunir, pour ainsi dire, la vérité et la fiction. Comment refusera-t-on le titre d'inventeur à celui qui créa pour l'épopée le plus beau genre de merveilleux? Tous les poëtes ont imité à l'envi cette création du poëte latin; tous ils ont multiplié ces visions de l'avenir dont il a le premier donné le mo

dèle. Dans la Jérusalem délivrée, un saint vieillard montre au jeune Renaud toute la suite de ses descendans, et leurs exploits futurs qu'une main divine a gravés sur son bouclier. Le Camoëns a fait entrer dans divers épisodes, par des machines à peu près semblables, toute l'histoire du Portugal. Un envoyé céleste, avant d'exiler Adam du paradis terrestre, rassemble sous les yeux du père des hommes tous les siècles et tous les peuples qu'a perdus son crime, et lui fait entrevoir de loin le Messie qui doit sauver le genre humain. Henri IV enfin transporté en songe dans le palais des Destins, y voit briller d'avance les beaux jours du siècle de Louis XIV. A la fin des notes de ce chant on jettera un coup d'oeil sur ces diverses imitations.

Sie fatur lacrymans, classique immittit habenas,
Et tandem Euboicis Cumarum allabitur oris.

Virgile a soin de rassembler toutes les traditions nationales; il n'omet rien de ce qui peut illustrer les fleuves, les villes, les ports et tous les lieux de l'Italic. Ce n'est pas sans raison que les larmes d'Enée honorent la mémoire du pilote qu'il a perdu : « Les Troyens, selon » Denys d'Halicarnasse, arrivèrent d'abord en Italie, au » port de Palinure; un de leurs principaux pilotes y per» dit la vie, et ce lieu en recut le nom. De là Énée vint

» dans un autre port de la Campanie, où mourut Mi– » sène, l'un de ses plus illustres compagnons; et le pro» montoire voisin s'appela Misène. »

(Antiquités Rom., liv. I, ch. x1.)

Nous avons déjà vu Palinure mourir dans le livre précédent; Misène finira ses jours dans celui-ci; et Virgile marquera dans ses vers les lieux qui doivent garder le souvenir des deux Troyens,

Eternumque tenet per sæcula nomen.

Il ne manque pas d'indiquer aussi l'origine de Cumes. Cette ville avoit été peuplée par Hippocles Cumous, né à Chalcis dans l'île d'Eubée : tel est au moins le récit de Strabon, qui semble regarder la colonie de Cumes comme le plus ancien monument du passage des Grecs en Italie. Le poëte est en tout d'accord avec le géographe. Cumes dans ses vers vient aussi de l'Enbée, oris euboicis; et plus bas il l'appelle ville Chalcidienne, arx Chalcidica.

Redditus his primum terris, tibi, Phœbe, sacravit
Remigium alarum.

Cette expression si hardiment figurée est pourtant d'une extrême justesse : l'air est un fluide comme l'eau.

Dédale ramoit donc avec des ailes dans ce nouvel océan. Lucrèce avoit déjà employé cette image pour les oiseaux.

Cùm advenere volantes,

Remigii oblita pennarum vela remittunt.

Ce n'est pas le seul emprunt que Virgile ait fait à Lucrèce. C'est ainsi que l'art de Racine reprenoit quelquefois des expressions jetées par le génie de Corneille, et leur rendoit un nouvel éclat en les mettant à leur véritable place. On trouve dans Alzire une métaphore du même genre:

Je montrai le premier aux peuples du Mexique
L'appareil, inoui pour ces mortels nouveaux,
De nos châteaux ailés qui voloient sur les eaux.

Ceca regens filo vestigia,

Catulle avoit dit non moins bien :

Errabunda regens tenui vestigia filo.

Ce vers se trouve dans l'épisode d'Ariane qui est un si brillant hors-d'œuvre du poëme de Thétis et de Pélée. On y reconnoît l'original de ces deux vers de Racine:

Pour en développer l'embarras incertain
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.

Tu

quoque magnam

Partem opere in tanto, sineret dolor, Icare,
Bis conatus erat casus effingere in auro;

Bis patriæ cecidere manus.

haberes.

Il n'est pas besoin de faire admirer cette apostrophe touchante à Icare : les vers se soulèvent et retombent avec la main paternelle qui veut en vain graver la funeste aventure de son fils; ils font sentir tour à tour l'effort et l'affaissement de la douleur.

Poscere fata

Tempus, ait: deus, ecce, deus. Cui talia fanti
Ante fores, subito non vultus, non color unus,
Non comptæ, mansere coma; sed pectus anhelum
Et rabie fera corda tument, majorque videri,
Nec mortale sonans, etc.

L'abbé Desfontaines observe fort bien que ce tableau de la Sibylle échevelée, hors d'elle-même, et luttant contre le dieu qui veut la dompter, a fourni les plus belles images des premieres strophes de l'ode au comte du Luc. Rousseau compare fort heureusement les approches du génie qui vient s'emparer du poëte à celles de la divinité qui veut subjuguer la prêtresse:

Tel, aux premiers accès d'une sainte manie,
Mon esprit alarmé redoute du génie

L'assaut victorieus;

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