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Il frémit, il combat l'ardeur qui le possède,
Et voudroit secouer du démon qui l'obsède
Le joug impérieux.

Ces vers sont l'imitation de ceux-ci de Virgile:

Bacchatur vates, magnum si pectore possit

Excussisse deum...

Rousseau ajoute:

Mais sitôt que cédant à la fureur divine
I reconnoît enfin du dieu qui le domine
Les souveraines lois,

Alors, tout pénétré de sa vertu suprême,
Ce n'est plus un mortel, c'est Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.

Virgile dit aussi dans la même occasion:

Nec mortale sonans...

Majorque videri,

Cette description de la Sibylle est sans doute admirable: mais, comme l'a dit un critique moderne, celle de Joad saisi de l'esprit prophétique semble encore supérieure. On sent, pour ainsi dire, l'effort et le trouble du mensonge dans les mouvemens désordonnés qui transportent la prêtresse d'Apollon; mais l'enthousiasme du prophète a quelque chose de naturel et de tranquillo comme la vérité. Il se livre sans résistance à l'esprit divin

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qui le domine; et ses paroles ont l'autorité du dieu dont il explique les oracles.

C'est lui-même, il m'échauffe, il parle; mes yeux s'ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

Virgile est de tous les poëtes celui qui choisit le mieux tous les détails de ses peintures; il les varie sans cesse, et ne les épuise jamais. A cette description poétique de l'antre de la Sibylle il fait succéder le tableau touchant de la mort et des funérailles de Misène; il place à côté l'image gracieuse des colombes de Vénus qui descendent au milieu de la forêt où s'égare Énée, et qui le conduisent vers l'arbre mystérieux où brille ce rameau d'or sans le— quel on ne peut franchir les enfers.

Te quoque magna manent regnis penetralia nostris :

Hic ego namque tuas sortes, arcanaque fata

Dicta meæ genti, ponam, lectosque sacrabo,

Alma viros.

On a déjà remarqué avec quel soin Virgile remonte à tous les anciens usages de sa patrie. Ici, Énée promet à la Sibylle un temple où seront déposés ses oracles, et des prêtres pour les expliquer.

<«< On raconte, en effet, que, sous le règne de Tarquin » le Superbe, les livres sibyllins furent apportés à Rome;

» ce prince en confia la garde à deux personnes distin» guées dans la noblesse, et à deux officiers publics qui » leur obéissoient. Après l'exil de ses rois, la république

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prit un soin plus particulier du recueil de ces oracles; » elle le fit enfermer dans un coffre de pierre qui fut » déposé sous une des voûtes du Capitole, et remis à la » fidélité de deux prêtres nommés pour cette fonction. » L'an 387 de Rome, ces prètres furent augmentés au » nombre de dix, et à celui de quinze sous la dictature » de Sylla. Ils étoient choisis dans les premières familles » de la noblesse. On consultoit les livres sibyllins, par » l'ordre du sénat, dans toutes les grandes calamités. » (Voyez ROLLIN, vol. 1 de l'Hist. Rom. in-4. p. 172 et 173.)

Idem ter socios purâ circumtulit undâ,

Spargens rore levi et ramo felicis oliva,

Lustravitque viros, dixitque novissima verba.

Plusieurs de ces usages religieux se sont conservés dans le christianisme, qui leur donne encore une fin plus noble et plus touchante. Les anciens regardoient avec raison les cérémonies funebres comme le point le plus important de la police sociale et de la science des mœurs;

et c'est pour cela que les honneurs rendus aux tombeaux

des morts tiennent tant de place dans les poëmes grecs et romains. Virgile se plaît surtout à ces peintures attendris

santes. Avant la pompe funèbre de Misène il a déjà décrit celle de Polydore au commencement du troisième livre, et l'apothéose d'Anchise occupe une partie du cinquième. Nous verrons les funérailles du jeune Pallas dans le onzième livre, et ce dernier tableau surpassera encore tous les autres.

Monte sub aërio, qui nunc Misenus ab illo

Dicitnr...

Le nom de cap de Misène n'a point changé depuis Virgile; il est placé dans la Campanie, pays de l'ancienne Italie, aujourd'hui canton de la Terre de Labour. On renvoie à ce qu'on dit, dans une des notes précédentes sur les traditions qui concernent Misène, et qui sont rapportées dans Denys d'Halicarnasse.

Di quibus imperium est animarum, umbræque silentes, Et Chaos, et Phlegethon, loca nocte tacentia latè, 4 Sit mihi fas audita loqui, sit numine vestro

Pandere res altâ terrâ et caligine mersas.

Cette invocation aux puissances de la mort est d'un effet sublime; l'harmonie du poëte est sombre et lugubre comme les enfers dont il veut ouvrir les profondeurs. Des sons graves et lents, multipliés à dessein, imitent l'aniforme immensité de ces royaumes du silence et du vide:

Ibant obscuri sõlā sūb nōctě pèr ūmbṛām...

La longue et pénible marche de la Sibylle et d'Énée se fait sentir dans l'accumulation de ces spondées qui semblent appesantir le vers comme les ombres de la nuit, et l'alonger comme les espaces du chaos.

Cette apostrophe aux divinités infernales n'est, je crois, qu'un très-beau mouvement de l'enthousiasme poétique. Toutes les fois que le génie veut exprimer deschoses nouvelles, il cherche des tours nouveaux pour s'emparer de l'attention, et justifier son audace. Cependant l'évêque Warburton a cru qu'en cet endroit l'auteur de l'Eneide s'excusoit de révéler la doctrine secrète des initiés. Il ne voit enfin dans ce sixième livre qu'une peinture allégorique des mystères de Cérès et de Proserpine. L'opinion de l'évêque anglais a trouvé beau coup de partisans. Voltaire lui-même l'avoit d'abord adoptée ; mais un examen plus réfléchi l'a désabusé daus la suite.

« Cette descente aux enfers, dit-il, imitée d'Homère » beaucoup moins qu'embellie, et la belle prédiction des » destins des Césars et de l'empire romain, n'ont auci » rapport aux fables de Cérès et de Triptolème. Ainsi il » est fort vraisemblable que le sixième livre de l'Eneide » n'est point une description de mystères: si je l'ai dit, >> je me dédis. >>

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